Monsieur rêve

Durent que les moments doux … et que ne doux !

Je me répète ces mots, silencieusement. Tandis que des marteaux piqueurs vicieux continuent leur vacarme dans ma caboche. Inlassablement, ils ne connaissent pas de repos ces cons là. J’ai beau leur fait monter de l’aspirine par tonneaux entiers, rien n’y fait. La faute sans doute à ce whisky frelaté que m’a servi le gros Lulu hier soir. J’aurai pas du accepter. Maintenant, tu assumes mon grand.

Cela fait quelques années que j’ai raccroché, retiré des affaires, je vis peinard, caché, à l’ombre des voyous, des flics, à l’ombre de la vie, dans ma propre ombre même. J’étais lassé de cette course effrénée. Tu sais mon petit, l’homme ne se voit pas vieillir. Il le ressent bien certains matins où le réveil est plus difficile que d’habitude. Mais, on trouve toujours une bonne excuse à cela. Tu vois, ce matin, moi c’est la faute à ce breuvage improbable. Non, l’homme ne vieillit pas, il évolue … comme le pinard, en bien ou en mal d’ailleurs.

Les vins, il y en a qui sont à consommer dans leur belle jeunesse. Moi, je connais des gonziers qui étaient très fréquentable étant jeunes mais qui sont devenus aigris avec l’âge. D’autres sont tout l’inverse, les années leurs sont bénéfiques, l’expérience et la vie les ont rendu plus sage.

Oui, l’homme ne se voit pas vieillir, il a souvent besoin d’un repère à côté de lui, une sorte de boussole qui lui fait prendre conscience du temps qui passe. Moi, mon baromètre des piges, c’est mon basset, mon fidèle hound. La truffe la plus fine du pays, celle qui m’a permis de retrouver la trace de nombreux individus, tous moins recommandables les uns que les autres. A lui seul, ce cabot a rempli toute une aile de la prison de Queuleu, rien qu’avec son flair et son intelligence hors du commun.

Quelle belle équipe nous faisions. Je me souviens lorsque j’ai annoncé à mon boss mon désir de prendre du recul, de ranger mon flingue, le patron l’avait mauvaise, il savait qu’il perdait là sa meilleure paire. Il lui restait toujours l’autre tu me diras, bien accrochée au fond de son bénard.

Moi, je sentais qu’il fallait stopper.

C’est donc en observant mon basset, en vivant avec lui, voyant le pelage autour de sa belle gueule grisonner, les difficultés à se mouvoir de plus en plus fréquentes, les crises de rhumatismes naissantes, le voir dormir plus qu’avant, le sentir moins vaillant aussi.

Tiens exemple, l’autre soir, j’accroche une petite souris. Elle était là assise, les jambes croisées, la jupe fendue jusqu’en haut des cuisses. Eh bien, jadis, en moins de temps qu’il n’en faut au curé pour remonter sa soutane lorsqu’arrive le jeune communiant, mon fidèle canidé aurait déjà glissé sa langue entre les cuisses de la dame. Tandis que là, ce gros saucisson sur pattes, dormait du sommeil du brave, se permettant même de laisser s’évader quelques loufes malodorantes en toute quiétude, c’est dire s’il s’en bat les babines de la donzelle.

Moi, je l’observe du coin de l’œil, je me dis qu’il est fatigué le pépére. Me dit que moi aussi, je suis las. Je n’ai même plus trop envie de faire la cour à la dame. J’écoute poliment, pour pas déranger … et la laisse rentrer chez elle.

Depuis, je vis à l’écart, à l’écart du monde, juste avec mon chien. On laisse la vie se dérouler sans nous. Dehors tout s’agite encore comme si de rien n’était. Preuve que toutes ses années à servir ont été inutiles et vaines.

Depuis, la déprime me guette, m’attend au coin de la rue, je vis désabusé, reclus dans mon antre. Cherchant quelques réponses dans des flacons de single malts. Je contemple mon chien se reposer, je contemple mon bide grossir. Le gris prend doucement possession de nous, de mes cheveux, de ses poils, de nos pensées.

Pourquoi est-ce que je raconte tout ça ? Tu t’en fous certainement, non ? et tu as bien raison. Bref, tout cela parce qu’il s’est passé un truc hier soir qui est venu chambouler mon quotidien. Ecoute un peu, te barre pas maintenant, c’est bientôt terminé, le plus dur est passé.

Hier donc, lors de ma promenade journalière, je trainais près du canal, le brouillard toujours présent me laissait seulement entrevoir des ombres au loin.

Au large, les barges se gondolent dans le roulis …

Pourquoi tout ce roulis sur cette rivière si calme me disais-je ? L’intuition me pousse à me rapprocher de la berge. Mon hound m’avait précédé, il était déjà là, les deux pattes avant dans l’eau, m’aboyant dessus pour que je presse un peu le pas. J’arrive et là je le vois prendre dans sa gueule, une manche noire au bout de laquelle se trouve un corps. Je l’aide à tirer le tout hors de l’eau. C’est un corps de femme. Je découvre son visage et je reconnais immédiatement Joséphine, la patronne d’un club privé de la région. Patronne aussi de la pègre locale mais aussi un de mes meilleurs indics. Depuis le temps, il fallait bien que cela arrive un jour, elle s’est fait retapisser, buter Joséphine, fallait Oser.

Je l’aimais bien cette nana, on n’était pas du même côté de la loi mais on se respectait, on s’estimait même.

C’est comme si toutes ces années à lézarder n’avaient pas eu lieu. En un instant, la gamberge magnifique se met en route, je travaille du cigare comme au premier jour. Je jette un coup au hound, je vois ses yeux briller, la babine frétiller. Il semble me dire : « allez mon grand, ce sera notre dernière affaire, on repart pour un tour, le tour de grâce ! »

Immédiatement, j’appelle les anciens collègues pour leur signaler le corps, on me passe le boss au bigophone. On ne se dit presque rien, je l’entends juste me lancer, entre deux volutes de cigares :

  • Ton flingue et ton insigne t’attendent, magne toi.

Voilà pourquoi j’ai terminé chez le gros Lulu hier soir. Ce salaud traine tellement dans la vase de la société, est tellement pourri, qu’il doit certainement savoir quelque chose. Sa petite entreprise plutôt florissante ces derniers temps, confirment mes soupçons. Dans ce milieu, faut se faire de la place pour exister, quitte à éliminer les concurrents. Il faut que j’écume son bar cradingue, je vais le travailler …

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