Le journal du professeur Blequin (188)

Dimanche 16 octobre

10h : Les frissons ont déjà disparu. Si ce n’est que ça, les effets indésirables dont on nous a tant rebattu les oreilles… Je préfère quelques heures de fièvre à des mois de couvre-feu ! Mais j’espère tout de même qu’il ne faudra pas de quatrième dose…

10h30 : Selon certains observateurs, Marine Le Pen serait en train de faire la campagne de trop : je réponds que ses deux précédentes campagnes étaient déjà de trop ! Les six campagnes de son père aussi étaient de trop, le RN est de toute façon un parti de trop, et ses idées sont de toute façon de trop dans un pays démocratique ! Voilà !

10h45 : Macron voudrait remettre en cause la « quasi-gratuité » des études universitaires… Ah bon, elles sont « quasiment gratuites » ? Je suis ravi de l’apprendre ! La plupart des étudiants sont obligés de travailler à mi-temps pour payer leurs études et on dit qu’elles sont quasiment gratuites ? Bon, c’est sûr que dans le milieu dont notre président est issu, où l’on met un point d’honneur à ne pas traiter en-dessous de cinquante patates, le coût des études doit avoir l’air quasiment nul, mais tout est relatif… Ah, mais j’y suis : quand on parle de « quasi-gratuité », on ne parle que du prix de l’inscription ! Mais si on y ajoute tous les frais auxquels les étudiants sont contraints de faire face (à moins de rester, comme moi, chez leurs parents jusqu’à l’obtention de leur diplôme), alors le coût devient proprement mirobolant pour des jeunes qui n’ont pas la chance de pouvoir fréquenter une grande école… Bon, vous m’avez compris, pas besoin d’avoir fait de longues études pour comprendre qu’il est indécent de parler de « quasi-gratuité » des études universitaires !

Lundi 17 octobre

16h : Entre les articles pour Côté Brest et le travail sur les tapuscrits de la regrettée Geneviève, le lundi est le jour que je consacre à l’Histoire… Ma chronique pour l’hebdomadaire évoque le blocus de Brest : les Anglais craignaient une attaque de la France de Bonaparte, mais la rade de Brest était trop dangereuse pour la flotte britannique qui, au lieu d’y entrer, a donc empêché la marine française d’en sortir ; mon article rapporte l’anecdote d’un officier anglais qui, dans ce contexte de siège sur mer, fut reçu à bord d’un navire français dans le cadre d’une trêve… Peu après, je reprends la remise au net du journal de guerre de Geneviève et je tombe sur un témoignage, celui d’un ancien « poilu » qui affirmait que les Allemands, dans les tranchées, avaient l’ordre de ne pas tirer quand ils voyaient passer un officier français ; conclusion évidente (et peu étonnante) : quelle que soit l’époque, les officiers ne s’entretuent pas ; se sacrifier pour la « patrie éternelle » et massacrer « l’ennemi héréditaire », c’est bon pour les troufions, le troupeau, les tas de chair à canon ambulants, « ceux qu’on fait sortir des rangs au hasard et qu’on fusille » comme disait Prévert, bref, tous ceux qui ne sont pas de sérail…

Mardi 18 janvier

14h : Mauvaise nouvelle : l’exposition sur le quartier Saint-Pierre à laquelle je suis censé participer depuis déjà deux ans est reportée pour la énième fois, toujours à cause du contexte « sanitaire »… J’avoue que je ne comprends pas : l’expo est censée se tenir à la mairie de quartier, donc un endroit où tous les gens du coin peuvent entrer, alors où est le problème ? On ne peut pas faire de vernissage ? Et alors ? On s’en passera ! A moins, bien sûr, qu’on tienne absolument à donner aux notables locaux une occasion de se faire reluire l’ego en public, ce qui est bien entendu plus important que soutenir les artistes… Quoi qu’il en soit, le mot « reporter » me rappelle de bien mauvais souvenirs et suffit à me déprimer.

19h : J’ai consacré la journée à l’encrage de deux planches de BD, je la termine en exécutant un petit travail urgent pour un jeune doctorant : au vu de ce qu’il m’en disait, je craignais y passer beaucoup de temps, mais je boucle l’affaire en quelques minutes ; j’ai parfois tendance à oublier que tout le monde n’écrit pas aussi vite que moi… Je suis parfois étonné par ma propre puissance de travail : si je n’étais pas à ce point convaincu d’être nul, je serais à deux doigts de me croire génial !

Mercredi 19 janvier 

9h : Je n’ai pas assez dormi, mais j’ai un rendez-vous avec un ami graphiste en ouverture d’une journée qui s’annonce bien remplie : j’ai donc dû me lever assez tôt pour pouvoir prendre une douche avant de partir, attraper le bus qui passe devant chez moi puis descendre à pied la rue Jean Jaurès ; en effet, comme j’ai au programme de l’après-midi une soutenance de thèse, le cours du soir et une scène ouverte, j’ai l’intention de prendre le repas de midi en ville pour ne pas avoir à me presser, ce qui me fait sortir chargé comme un mulet : j’avais donc le choix entre grimper la côte séparant mon immeuble de la station desservie par le bus menant directement au quartier de mon ami ou alors traverser la rue pour ensuite descendre la grand’ rue : la seconde option me parait moins fatigante au vu de mon chargement et de la pluie fine qui tombe depuis le lever du jour. Jusqu’ici tout va bien…

10h15 : Avant de rejoindre mon ami, je passe à la boutique d’articles pour artistes de Saint-Martin : j’ai seulement besoin de deux tubes de gouache. Bien entendu, je trouve porte close, malgré l’heure d’ouverture déjà dépassée. J’espère que ce sera la première et la dernière contrariété de la journée… 

11h15 : J‘ai déjà quitté mon ami, un peu à contrecœur, mais il faut que je passe chez Bibus pour renouveler mon abonnement puis à la pharmacie pour m’acheter du Doliprane : je suis déjà épuisé par ma marche sous un crachin obstiné, rendue particulièrement pénible par le poids des affaires que je transporte, mais je presse quand même le pas pour arriver dans ces échoppes avant la fermeture méridienne. Je retourne à la boutique d’articles pour artistes : je croise la patronne qui m’annonce que le magasin est fermé pour travaux ! Comme le chantier n’est pas encore commencé, elle accepte quand même de me vendre les deux tubes de gouache dont j’ai besoin : mais elle n’a qu’une seule des deux couleurs que je cherche… Je commence déjà à m’impatienter.

11h25: Je m’arrête juste une minute pour prendre le dernier Côté Brest : j’y trouve mon article sur un immeuble qui a survécu aux bombardements de la seconde guerre mondiale ; j’espère qu’il ne va pas encore m’attirer les remontrances d’un vieux rouspéteur ! Mais le journal propose aussi un reportage sur une usine… De masques chirurgicaux ! Je ne peux m’empêcher de tiquer, d’autant que l’article se conclut par un commentaire du patron de l’usine qui affirme que « cette crise sanitaire n’est malheureusement pas prête de s’arrêter »… Alors, pour commencer : on dit « pas près de s’arrêter », j’espère donc que cette faute de français est le fait de ce marchand de tissu et non celui de mon collègue qui aurait cependant pu faire la correction. Ensuite et surtout, j’aimerais bien savoir de quel droit ce contremaître qui ne sait même pas faire des phrases en français se permet de jouer au virologue et de faire des pronostics sur l’avenir de l’épidémie ! La vérité, c’est qu’il a tout intérêt à ce que le crise continue pour pouvoir vendre toujours plus de masques… En attendant, me voilà de mauvaise humeur pour le reste de la journée : la moindre contrariété risque de me faire exploser, j’en oublie de prendre un deuxième exemplaire du journal pour mes parents comme j’en ai l’habitude – retenez bien ce détail qui a son importance pour la suite.

11h30 : Me voilà chez Bibus ; à ma grande surprise, il n’y a pas la queue, je suis même le seul usager à passer. Je suis donc pris en charge aussitôt par un guichetier auquel j’expose tout de suite les raisons de ma venue : il me demande si j’ai pris la peine de me mettre du gel hydroalcoolique sur les mains en entrant ; comme je lui réponds par la négative, il me dit qu’il y en a à l’entrée et qu’il ne faut pas hésiter… Je suis à deux doigts de l’envoyer paître mais je préfère ne pas répliquer afin qu’il daigne s’occuper de mon abonnement : c’est gagné, et je paie… En liquide. Non, pas pour le plaisir de l’emmerder, mais il faudra plus qu’une épidémie pour me dissuader d’utiliser de la monnaie quand j’en ai sur moi ! Mais voir tiquer ce rond de cuir ne fait qu’accroître mon plaisir de désobéir à des exhortations imbéciles…

11h40 : A la pharmacie, une mauvaise surprise m’attend : il y a la queue jusque dans la rue et il n’y a qu’un employé pour accueillir les clients ! J’aurais dû m’en douter : avec la troisième dose et tous les gens qui se font tester, les pharmaciens sont débordés ! Faire la queue pour une boîte de Doliprane, c’est déjà agaçant, surtout quand on a les bras chargés et les pieds déjà fatigués… J’essaie néanmoins de prendre sur moi et je commence à (essayer de) patienter : dans la rue, une jeune passante reconnait un copain dans la file et l’interpelle en lui lançant ironiquement « Alors, t’as le Covid ? » Je craque et je hurle à la demoiselle qu’on ne rit pas avec ça ! Et oui, quand ma patience est sérieusement entamée, j’ai tendance à réagir comme un vieux con… La file avance à pas de tortue : quand je peux enfin entrer dans la boutique, ma fatigue me rend vite insupportable la lumière des néons ; pour ne rien arranger, la file est « fluctuante », certaines personnes sont assises et je ne suis pas certain de ne pas être devant quelqu’un qui serait arrivé avant moi, ce qui me stresse de plus belle ; cerise sur le gâteau, il y a un gosse qui ne tient pas en place et pousse des petits cris que mes boules Quies atténuent à peine. Bref, je craque pour de bon et j’abandonne : je pars avec fracas mais sans mes cachetons…

11h50 : J’arrive à la friterie où j’ai mes habitudes, espérant trouver un peu de réconfort. Mais horreur et putréfaction : mon pass sanitaire n’est pas encore valide ! Je suis obligé de partir sans avoir pu manger : c’est la goutte d’eau, je suis fou de rage ! Je décide de rentrer par le premier bus… Qui n’arrive que dans dix minutes. Dix minutes qui, sous l’effet de mon énervement, ma paraissent un siècle. En attendant, je jette un coup d’œil sur mon pass pour voir ce qui cloche : une dame assise à côté de moi me dit que je pourrais le faire plastifier, je lui réponds (peu aimablement, je l’avoue) que je ne lui ai rien demandé !

12h : J’arrive à Lambezellec : avant de redescendre jusqu’à mon immeuble, je me rends à l’entrée d’un bar où je suis sûr de trouver un autre exemplaire de Côté Brest. Devant l’estaminet, un grand dadais me remarque et me demande si je suis un artiste plasticien : je lui rétorque « Qu’est-ce que ça peut vous foutre ? » A peine suis-je reparti qu’une petite grosse m’interpelle et me dit « bonjour » avec un grand sourire… Je ne réponds même pas et je maudis tous ces ahuris qui me saluent avec leurs airs de ravis alors que même un aveugle se rendrait compte que je suis d’une humeur massacrante !

12h15 : Me voilà rentré : je suis tellement énervé que je ne rouvre même pas les volets, laissés fermés en prévision d’un retour qui ne devait avoir lieu que tard le soir – l’obscurité me calme. Affalé sur mon canapé, je téléphone à ma mère pour lui parler de mon problème de pass : selon elle, c’est normal, il faut attendre une semaine pour qu’il soit valide. Le pharmacien ne me l’avait pas dit ! Me voilà donc au même niveau que ces abrutis d’Antivax : si je veux à nouveau entrer partout avant vendredi prochain, il me faudrait passer un test… Plus ça va, plus toutes ces dispositions me paraissent absurdes !

13h30 : Après avoir réchauffé et englouti une choucroute garnie en conserve, je décide de ne plus sortir du tout : je n’ai plus la tête à suivre une soutenance de thèse, il me faudrait un pass valide pour assister au cours du soir puis participer à la scène ouverte et je n’ai aucune envie de subir la torture du test antigénique… Pour ne rien arranger, j’ai des maux de tête épouvantables, et comme je n’ai toujours pas de Doliprane, je m’écroule sur mon lit dans le noir le plus complet possible… Diem perdidi

19h : Ma tête va mieux, mais je ne me remets pas d’avoir été obligé de changer mes plans au dernier moment (ce genre de situation est toujours insupportable pour un autiste Asperger) ; par curiosité et comme j’ai déjà touché le fond, je consulte mon horoscope : d’après l’astrologue, j’aurais dû passer une très bonne journée ! On devrait toujours lire son horoscope à la fin de la journée : on se rendrait vite compte que ce ne sont que des bêtises… Je fais le bilan de la journée : en une journée, j’ai revécu tout ce qui m’a été insupportable pendant vingt-deux mois ! Si j’entends encore quelqu’un me dire que l’épidémie n’a rien changé à sa vie, je ne réponds plus de mes actes…

Jeudi 20 janvier 

14h : Aujourd’hui, j’étais censé assister à une conférence, mais sans pass valide, c’est impossible, et je suis tellement fatigué que je n’ai pas la tête à ça. Je m’offre donc un répit bienvenu en faisant mon courrier : je devrais démarcher des revues pour proposer mes services d’illustrateur et / ou de rédacteur, mais je préfère écrire à mes amis. Rédiger des lettres à la main, ça ne se fait guère plus, mais ça tombe bien, je déteste de plus en plus mon époque, et le prix des timbres a beau frôler des montants scandaleux, je continue à me payer le luxe de l’élégance et de la lenteur en notre temps de vulgarité et de fuite en avant…

Vendredi 21 janvier

10h : Je fais quelques courses au marché, à l’épicerie, à la boulangerie et chez Artéis. Chemin faisant, je vois deux unes de journaux : d’abord celle du Télégramme, qui annonce la fin du port du masque en extérieur pour le 2 février. L’annonce devrait me réjouir, mais ça me fait une belle jambe, premièrement parce que je ne respecte déjà plus depuis longtemps cette obligation imbécile et deuxièmement parce que je ne me fais pas d’illusions : les gens ont commencé à se couvrir le visage avant même qu’on les y oblige, et on leur a tellement rabâché qu’ils allaient périr dans d’horribles souffrances s’ils respiraient à pleins poumons que tant qu’on ne leur aura pas dit explicitement que la pandémie est finie, ils continueront à se déguiser en Michael Jackson… Ensuite, je tombe sur la couverture du Franc-tireur annonçant une enquête sur les Antivax, mettant en avant que tous ces refus de la vaccination sont irréalistes et incompatibles entre eux ; c’est curieux, j’avais lu « Antivax » sur la couvrante du numéro 1 et j’avais donc cru que ce magazine se revendiquait comme tel ! Il faut croire que j’avais mal compris…

14h30 : Visite éclair de mes parents qui me confirment la fin du masque en extérieur pour le 2 février ; je leur rétorque que je ne respectais déjà plus cette règle, notamment parce qu’elle n’est pas en vigueur dans mon quartier et que je ne vois pas pourquoi il deviendrait dangereux de respirer à l’air libre une fois passé le boulevard de l’Europe. Mon père abonde dans mon sens en me rapportant qu’il serait censé rapporter le masque dans sa rue : une rue pavillonnaire où il passe trois pelés et un tondu par jour ! Tant qu’à faire, imposons-y aussi le port du casque, des fois qu’une météorite tomberait du ciel !

16h30 : Visite d’une vieille amie qui me raconte, entre autres, qu’un de ses fils a récemment fêté l’anniversaire d’un copain : ils étaient six amis à festoyer, deux d’entre eux ont été testés positifs au Covid peu après. Comme les convives n’avaient pas été d’une prudence exemplaire (vous ne croyez quand même pas qu’ils ont passé la soirée à se regarder en chiens de faïence ?), les quatre autres se sont fait tester… Tous négatifs ! Le Covid n’est donc pas une fatalité : vous pouvez très bien ne prendre aucune précaution et ne rien attraper pour autant ! Alors arrêtez d’avoir peur !

2 comments on “Le journal du professeur Blequin (188)

  1. Beenoît je vais rarement à la petite boutique pour mes fournitures de peintures le magasin et trop souvent fermé

    1. Pour être franc, moi aussi, Jean-Yves : mais il se trouve que j’étais dans le quartier et que je pensais que j’aurais un besoin urgent d’un nouveau tube de peinture, alors j’ai voulu en profiter. Je pense que la patronne est peu dépassée depuis qu’elle doit gérer seule le magasin…

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