Le journal du professeur Blequin (199)

Samedi 7 mai

16h : Je reçois trois de mes anciennes professeurs pour prendre le thé ; au fil de la conversation, l’une de ces trois respectables dames parle du triste cas d’une petite ukrainienne de onze ans arrivée seule à Guilers… C’est triste mais, dans son malheur, cette fillette a de la chance de venir d’un pays européen et chrétien : si elle venait de Syrie ou d’Afghanistan ou, plus simplement, si elle n’était pas blanche, notre beau pays si généreux l’aurait aidée en lui donnant le droit de faire les poubelles ou en lui administrant un grand coup de pied au cul !

Dimanche 8 mai

10h : Au réveil, j’ouvre la fenêtre et j’entends une demoiselle pousser un cri de détresse en bas de chez moi : n’écoutant que ma générosité et mon courage, j’enfile mon costume de super-héros et, d’un bond fantastique, j’atterris au pied de l’immeuble pour châtier l’agresseur de la jeune fille qui, éperdue de reconnaissance et de soulagement, saute dans mes bras musclés et m’offre ses lèvres sucrées en remerciement… Bon, d’accord, j’exagère : en fait, elle me demandait juste de lui ouvrir la porte principale parce qu’elle avait oublié son badge, et comme je venais de me lever, je suis descendu jusqu’au rez-de-chaussée en pyjama pour lui apporter satisfaction. N’empêche qu’elle m’a dit que je lui ai « sauvé la vie » et que, dans ma tenue de nuit, je ne devais pas être beaucoup plus ridicule que les « crétins en collant fluo » (selon l’expression de Joann Sfar) des comics américain !

10h30 : Remis de l’émotion suscitée par ce sauvetage ordinaire mais inattendu, je réalise que le ciel est tout bleu : ce constat, qui serait pour n’importe qui d’autre une source de joie, constitue pour moi un motif d’angoisse ! Quand le ciel est dégagé à ce point, j’ai l’impression que je suis privé de toute protection, comme si une catastrophe pouvait me tomber dessus plus facilement ! De surcroît, le souvenir du premier confinement, au cours duquel une voute céleste exempte du moindre nuage me narguait presque chaque matin, continue à me hanter… Pour ne rien arranger, je trouve qu’il fait quand même chaud pour un mois de mai : quand j’étais plus jeune, à cette période de l’année, les températures étaient à peine plus douces qu’en mars, alors qu’on ne me dise pas que le réchauffement climatique est une vue de l’esprit…

15h : Il y a quand même un avantage à une telle météo : ça me permet de lire en extérieur, ce qui m’est plus facile que cloîtré entre quatre murs ; mon esprit a besoin d’être aéré, au sens propre comme au sens figuré, pour que je puisse tirer pleinement bénéfice de ma lecture… Je lis donc L’assaut de Brest, un livre d’Alix de Carbonnières et Antoine Coste paru en 1951 : cet ouvrage est clairement dépassé, les plaies étant encore trop vives quand il a été écrit puis publié (on y emploie encore les mots « boches » et surtout « fritz » pour désigner les Allemands), mais il permet d’y voir clair dans les différentes étapes du siège de Brest ; ainsi, il ne faut pas confondre l’instauration de l’état de siège avec l’ordre d’évacuation qui n’est survenu qu’une semaine plus tard. De surcroît, ce livre contient bon nombre d’anecdotes qu’il serait dommage d’oublier, comme celle de ce petit vieux porté disparu dans un bombardement… Et qu’on a retrouvé, mangeant tranquillement sa soupe dans son appartement, entouré et couvert de gravats ! Bien sûr, on n’est pas obligé d’y croire, mais je ne vois pas qui irait inventer une histoire pareille et, surtout, pourquoi !

Lundi 9 mai

9h30 : Dans le bus, les charognards débarquent et trouvent leur pitance. Comprenez : les contrôleurs déboulent et tombent sur une voyageuse qui n’est pas en règle, en l’occurrence une vieille dame arabe qui parle à peine le français et qui, circonstance aggravante, pensait que son voile serait considéré comme un masque… Je n’ai jamais vraiment su interpréter le regard des autres, mais là, je n’avais pas besoin d’être extralucide pour lire dans les yeux de cette pauvre femme la terreur quasi atavique qui, depuis qu’elle vit en France, doit s’emparer d’elle à chaque fois qu’elle est entourée de gens en uniforme (car oui, les contrôleurs « en civil » sont tous habillés de la même façon, c’est DONC un uniforme, quoi qu’on en dise), situation qui doit lui rappeler des années de contrôle au faciès, de gardes à vue et d’humiliation infligées par la maison poulaga et laissées impunies… Pour ne rien arranger, ils se mettent à six pour lui demander ses papiers dans une langue qu’elle comprend difficilement et la menacent de la conduire au poste si elle n’obtempère pas ! Tout ça parce qu’elle n’avait pas de ticket sur elle… Etant lâche, je n’ose intervenir, mais quand je descends, je ne peux m’empêcher de crier, sans viser directement qui que ce soit : « à la place de certains, j’aurais honte » ! C’est à se demander pourquoi Marine Le Pen a fait campagne, on traite déjà les Arabes exactement comme elle le souhaitait…

12h45 : Voilà plus de deux ans que je n’étais pas revenu à la cafétéria de la faculté, entre autres parce que je ne voulais pas m’imposer l’humiliation d’y entrer avec un masque… On m’avait bien prévenu que tout y avait été changé : de fait, j’y retrouve les mêmes serveuses qu jadis, mais elles sont réduites à jouer les caissières dans ce qu’elles appellent elles-mêmes leur « supérette ». Désormais, il faut se servir soi-même, il n’y a même plus de comptoir permettant d’échanger avec elles… Voilà le monde que nous construisent les technocrates : il faut payer pour avoir droit de faire le travail d’autrui et le contact humain est réduit à sa portion congrue ! Je ne vois toujours pas où est le progrès là-dedans…

12h50 : Tout en me sustentant, je feuillette un quotidien : j’ai ainsi vent des revers de l’armée russe en Ukraine qui prouvent qu’en dépit des rodomontades de Vladimir Poutine, les Cosaques ne sont pas invincibles. Il est aussi question de l’union de la gauche qui se fissure avant même d’avoir pu vraiment exister : les socialistes sont décidément incorrigibles, mais je les trouve plutôt gonflés de reprocher à La France Insoumise d’adopter aujourd’hui l’attitude hégémonique qui a été celle du PS pendant des lustres, sans compter que, qu’ils le veuillent ou non, se ranger derrière la bannière de Mélenchon est désormais leur seule chance de s’en sortir… Mais ce qui me fait vraiment tomber des nues, c’est l’autocollant « Oui Pub » ! Alors donc, désormais, ce sont ceux qui acceptent le matraquage publicitaire qui vont être invités à afficher sur leurs boîtes aux lettres leur soumission à la propagande des marchands de soupe ! Vous aurez beau prendre le problème dans n’importe quel sens, dire « oui » à la pub aux yeux de tous, ça revient à clamer qu’on est content de se faire berner par les belles paroles des marchands de soupe et qu’on se fout du gaspillage éhonté de papier que nécessite l’impression des prospectus ! Bref, afficher un autocollant « oui pub », ça revient à dire « Je suis un con et j’en suis fier » ! Alors que ce soit clair une fois pour toute : ni « stop pub » ni « oui pub », on ne veut plus de pub du tout !

17h : Je finis de travailler à la bibliothèque du CRBC quand une employée s’approche de la table où je suis installé pour me prévenir que ça va fermer dans une heure ; j’ai ainsi la confirmation qu’ils le disent oralement à tous les usagers, tous les jours à la même heure ! Alors comment dire ? Premièrement, si je viens travailler dans cette bibliothèque, c’est justement parce que je suis à peu près sûr d’y trouver le silence et donc de ne pas être déconcentré, ce genre d’intervention est donc précisément ce à quoi j’espère échapper en ces lieux. Deuxièmement, il est écrit noir sur blanc sur la porte que la bibliothèque ferme à dix-huit heures, de sorte que pour l’ignorer, il faut être illettré ou imbécile, ce qui est rarement le cas du public fréquentant ce genre d’endroit. Donc, non seulement on me dérange quand je travaille mais, par-dessus le marché, on me prend pour un demeuré ! Il y en a qui se feraient sauter à la dynamite pour moins que ça…

17h30 : J’entre à la poste centrale pour expédier un courrier avant la fermeture ; désormais accoutumé à la musique qu’on joue aujourd’hui dans ce genre d’établissement, je me dirige vers le premier automate disponible, ce qui m’évite d’être alpagué par le cerbère posté à l’entrée qui demande à presque chaque individu entrant dans le bureau quelle opération il compte accomplir… Si on me posait la question, je serais capable de répondre « Qu’est-ce que ça peut vous faire ? » On me répondrait que c’est pour me diriger vers l’endroit idoine : figurez-vous que je suis assez grand pour le trouver tout seul ! En fin de compte, il en va aujourd’hui dans les bureaux de poste comme dans les bibliothèques : on se démène pour nous « satisfaire au maximum », et on ne se rend pas compte que le meilleur moyen d’y parvenir, ce serait de nous lâcher la grappe !

18h15 : Je sors de la friterie avec, sous le bras, un cornet de frites soigneusement emballé que je suis bien décidé à savourer chez moi avec un bifteck que j’aurai fait cuire moi-même ; autant dire que je n’ai pas intérêt à le laisser refroidir et à ne pas laisser passer le prochain bus ! Aussi, quand un type au visage poupin et au sourire de ravi m’interpelle, je ne suis pas dans les meilleures dispositions pour accepter poliment la conversation qu’il souhaite engager ! Mais comme je n’ai pas pour habitude d’envoyer paître les gens sans avoir d’abord cherché à les comprendre, je lui demande quand même ce qu’il me veut : bien entendu, il me demande des sous ! Les ressources de ma patience étant épuisées, j’ai bien du mal à l’éconduire avec amabilité, ce qui me vaut, bien entendu, d’encaisser ses insultes et ses malédictions… J’attrape le bus d’extrême justesse : quand vous êtes pressé, la terre entière vous en veut !

19h45 : Après avoir dîné, j’entreprends d’encrer quelques dessins. Comme il fait encore chaud, j’ai laissé ouverte la fenêtre de mon bureau et je ne rate rien des cris que poussent les enfants du voisin jouant dans le jardin… C’est d’autant plus gênant que je ne comprends pas comment on peut laisser les gosses dehors à une heure pareille ! Quand mon frère et moi étions petits, il ne serait jamais venu à l’idée de mes parents de nous laisser sortir après dix-huit heures : c’est là qu’on voit à quel point le statut de l’enfant a changé en quelques années ; tant mieux peut-être pour les mômes d’aujourd’hui, mais pour moi qui, au même âge, avais à peine le droit à parole, c’est un bleu à l’âme supplémentaire…

20h50 : Bien fatigué de ma journée, je m’apprête à me coucher : quand je ferme les volets, je peux voir le voisin arroser son jardin… Drôle d’heure pour jardiner, mais après tout, c’est son affaire et puis je comprends mieux sa conception des horaires qui l’amène à laisser ses gosses casser les oreilles des voisins à une heure indue ! De surcroît, je me demande pourquoi il gaspille de l’eau potable pour sa pelouse qui est pourtant encore bien verte… Quand je pense que cette eau suffirait à soulager bien des enfants au Sahel, je ne peux m’empêcher d’envisager cette scène comme une image résumant à elle seul l’égoïsme de nos sociétés occidentales !

Mardi 10 mai

18h : Après un entretien matinal en visioconférence avec un éditeur parisien (je ne peux pas en dire davantage pour l’instant), j’ai consacré la journée à la préparation de la conférence que je dois donner dans quinze jours moyennant un petit cachet : en fait, le plus important du travail est déjà fait, j’en suis aux derniers préparatifs, les trucs bêtement formels qui concernent le visuel, la présentation, ce qu’il y a de plus bête mais qui, finalement, prend presque plus de temps ou, plutôt, demande plus d’énergie justement parce que c’est tout sauf passionnant à faire… Ça n’a l’air de rien, mais c’est ce qui donne à l’exposé un aspect vraiment professionnel, et y travailler suffit à vous râper les neurones ! Et il y a des cons pour traiter de fainéants les « intellectuels » comme moi…

Le dessin par lequel le malheur est arrivé…

Mercredi 11 mai

10h : Au réveil, j’ai réalisé que je n’ai pas fait de dessin à ramener au cours du soir. Comme je n’aime pas arriver quelque part les mains vides, je décide donc d’improviser une image de harpe inspirée d’un croquis que j’avais fait il y a trois ans. Mais bien entendu, comme à chaque fois que je travailler dans l’urgence, rien ne se passe comme prévu : quand je passe le coup de gomme, l’encre est bien sèche, j’y vais donc en toute confiance… Et le papier se déchire ! Ça ne m’était JAMAIS arrivé et il faut que ça se produise justement au moment où je suis en retard ! En désespoir de cause, j’essaie de camoufler la déchirure sous une couche de gouache blanche, en espérant que ça ne se voie pas trop, mais comme je n’ai plus le temps d’attendre que ça sèche avant de partir, j’en suis réduit à tenir mon dessin à la main en sortant… J’ai l’air fin !

11h30 : Avant de prendre le bus, je me saisis du dernier Côté Brest où ma page « histoire » côtoie des articles annonçant des animations rue Saint-Malo, la nuit des musée, des expositions, des spectacles divers… Pas de doute : les affaires reprennent et les restrictions sont bien derrière nous ! Tant pis pour les volailles hypocondriaques qui ont appris à avoir peur du contact humain…

11h45 : Dans le bus, deux jeunes filles assises devant moi discutent orientation : l’une d’elles se demande quels débouchés elle peut espérer si elle étudie la philosophie. Je ne peux m’en empêcher : je lui sors ma carte de visite, lui dis ce que je fais en ce moment et lui explique que la philo peut mener à tout… A condition d’en sortir. Mais surtout, j’insiste sur un point : elle ne doit pas se laisser bouffer le cerveau par les adultes qui tiennent absolument à la faire rentrer dans une case à tout prix et doit laisser parler ses passions. Je n’aime pas intervenir ainsi dans les conversations d’autrui, mais j’étais moralement obligé de le faire et j’espère que j’aurai été utile à cette demoiselle…

12h30 : Je déjeune au Biorek. Le restaurant du jeune Alexandre Meudec semble trouver son public, avec cependant des hauts et des bas au niveau de la fréquentation ; il est pourtant le seul à proposer des boreks à Brest et on ne peut pas lui faire de reproches concernant la qualité de ses produits ! Une fois levé de table, j’entreprends de lui expliquer ce que j’envisage pour le publi-reportage filmé que je souhaite consacrer à son établissement : je le fais alors que deux clientes attendent leur tour pour commander… Prenant brusquement conscience que mon attitude est déplacée, je prends rendez-vous pour un entretien particulier : ce n’est pas la première fois que je suis pris en flagrant délit de méconnaissance des codes sociaux, mais je n’arrive pas à m’y habituer… 

13h40 : J’arrive devant « La petite épicerie Vegan » (rue Pasteur) où je dois retirer un colis : je pensais naïvement que cette boutique fermait dans les midi-midi et demi et ouvrait à quatorze heures au plus tard, comme la plupart des établissements de ce type… Douche froide : elle ferme de 13h30 à 14h30 ! En somme, j’ai raté la fermeture à dix minutes près et je dois poireauter pendant quasiment une heure pour pouvoir récupérer mon bien ! Tout ça parce que les ânes qui tiennent ce magasin s’imaginent qu’ils auront des clients à une heure où tout le monde est déjà à table ! Parmi les effets pervers du régime vegan je peux noter celui-ci : ça donne une conception farfelue des horaires !

13h45 : Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je risque un tour : j’y achète l’album de Stella Lory, cette dessinatrice découverte dans Fluide Glacial dont j’apprécie l’énergie avec laquelle elle dénonce les diktats de notre société, à commencer par celui de se mettre en couple à tout prix… Au moins, j’aurai de quoi lire en attendant l’ouverture de l’épicerie !

14h10 : Une pluie fine se met à tomber. Assis devant la porte de l’épicerie, je bénéficie d’un abri précaire mais suffisant pour apprécier dans un confort relatif les saillies de la talentueuse Stella. C’est alors qu’une femme accourt vers le magasin, découvre les horaires d’ouverture et arbore aussitôt une expression ne laissant ignorer de sa légitime déception… Me sentant une âme de bon samaritain, j’écarte mes affaires personnelles et je l’invite à s’asseoir elle aussi pour ne pas se mouiller ; elle me répond : « Non merci, monsieur, vous m’avez déjà insultée une fois, alors je préfère garder mes distances ! » Une femme que je ne connais même pas ! Les fous ne sont pas tous à Bohars…

14h35 : J’ai enfin pu récupérer ma commande, en l’occurrence un exemplaire de La famille Oboulot en vacances, cet album posthume du grand Reiser reprenant les planches de cette série laissée inachevée, publiée successivement dans Le Monde et Le Nouvel observateur ; mine de rien, la famille Oboulot en préfigure une autre, devenue mondialement célèbre, les Simpson : dans les deux cas, nous avons une famille moyenne apparemment normale mais en fait bien déjantée dont l’auteur utilise les folies pour faire la satire de la société. Dans la planche où ils jouent au menu à 18f50, le père et la mère arborent chacun une attitude qui ne renieraient pas respectivement Homer et Marge… Je doute fort que Matt Groening ait jamais lu cette série, mais si Reiser avait vécu, la famille Oboulot aurait pu avoir une carrière qui n’aurait pas eu grand’ chose à envier à celle des Simpson, à ceci près qu’elle aurait eu l’avantage de l’antériorité !

17h45 : Après un après-midi de travail à la BU pour régler les derniers détails de ma conférence, je prends le bus pour aller au cours du soir, ce qui me permet de remarquer l’affiche annonçant une nouvelle série en streaming consacrée à l’affaire Malik Oussekine avec, comme accroche, « mort d’un étudiant ». Je ne peux m’empêcher de penser que si Marine Le Pen avait été élue, il aurait plutôt été écrit « mort d’un terroriste » !

18h : Enfin au cours du soir ; comme prévu, la tâche blanche sur mon dessin de harpe est visible comme le nez au milieu de la figure et on me demande de le refaire… C’était bien la peine de gribouiller en sixième vitesse ! Comme ma harpe, en tant que telle, est plutôt réussie, j’en serai quitte pour faire un collage histoire de ne pas re-perdre de temps. Il n’empêche que je suis d’humeur plutôt maussade, d’autant que notre professeur nous a demandé de poursuivre nos « planches anatomiques », comprenez des planches sur lesquelles nous dessinons, de façon aussi réaliste que possible, les nez, bouches et yeux d’autres élèves préalablement photographiés. Cette fois, j’ai apporté mon appareil photo et mon PC pour ne pas être tributaire du matériel électronique de l’école comme la dernière fois, mais ça ne facilite pas vraiment l’exercice : reproduire la forme de l’organe, pas de problème, mais restituer ses volumes et ses ombres, c’est une autre paire de manches… L’exercice est sûrement intéressant pour quelqu’un qui ignore qu’aucune partie du visage d’un individu ne ressemble à la même partie sur une autre face ou pour celui qui ambitionne d’exécuter des portraits devant lesquels les ignares se pâment sur l’air de « on dirait une photo » – ce sont généralement les mêmes qui trouvent du talent à ce facho de Marsault. N’étant dans aucun de ces deux cas, je n’éprouve qu’un plaisir limité à m’exécuter… Encore une journée que je termine dans une allégresse mitigée !

Jeudi 12 mai

11h30 : Alors que je termine mon ménage, je consulte mon téléphone et découvre un message : une amie a essayé de m’appeler et m’a laissé un message m’annonçant qu’elle ne pourra pas venir à l’apéritif dinatoire que j’organise samedi prochain pour mon anniversaire, son compagnon étant tombé malade. J’espère qu’il se remettra vite… C’est quand même un maque de de chance : j’ai toujours un mal de chien à trouver des gens disponibles pour fêter mon anniversaire ! J’en veux presque à mes parents de m’avoir donné le jour en mai, en plein dans un mois où des événements sont organisés à tire-larigot… Pourvu que les autres ne me fassent pas faux bond eux aussi, je ne viens pas de sortir de deux ans de crise sanitaire pour me retrouver seul à mon anniversaire…

14h : Je retrouve mon vieux copain Jean-Yves qui m’emmène à L’île de l’impression pour que je puisse y scanner un dessin de grand format : c’est un peu cher, c’est loin, je ne pourrais pas y aller à pied, mais au moins, je suis sûr non seulement que le travail y sera bien fait… Mais même qu’il y sera fait tout court ! Comprenez : que je ne devrai pas payer pour me taper tout le boulot moi-même sur des machines auxquelles je ne comprends rien, comme c’est le cas à Bureau Vallée ! En attendant que la numérisation soit effectuée, je feuillette un quotidien régional et j’apprends que l’obligation de porter le masque dans les transports en commun sera levée lundi prochain ! Il était temps car ça devenait foncièrement absurde : je sortais de petites salles bondées où personne ne portait de maque pour ensuite ré-enfiler cette muselière humiliante dans des bus presque vides ! C’est logique, ça ? Sans compter que quand je m’approche de l’arrêt pile au moment où le bus arrivait, je dois fouiller à toute vitesse dans ma sacoche pour en retirer non seulement ma carte de bus mais aussi mes boules Quiès car je ne supporte décidément pas le brouhaha des autres voyageurs : comme il fallait EN PLUS retirer le masque, c’était donc un facteur de stress supplémentaire… « Ben t’avais qu’à mettre le masque avant d’entrer dans le bus, ducon ! » TA GUEULE !

Vendredi 13 mai

10h : En ce jour réputé pour porter malheur, je sors quand même faire mon marché – je dois m’y prendre trois fois car je trouve le moyen d’oublier d’emmener successivement mon deuxième sac et mon courrier à expédier. C’est cependant le seul malheur que je dois essuyer, mis à part la queue devant le maraîcher en compagnie de commères qui sont presque prêtes à s’étriper quand elles soupçonnent quelqu’un (à tort ou à raison) de vouloir doubler dans la file… Les Bidochon en vrai, en quelque sorte ! Tout en attendant mon tour, je vois des ouvriers qui s’échinent à restaurer l’église : ça me fait le même effet que si je voyais des Juifs réparer un camp de la mort ! Si ce n’était pas aussi dangereux pour les riverains, je laisserais bien s’écrouler cette sinistre usine à abrutir ! Tiens, encore une preuve que les curés sont des nuisibles : incapables de bâtir des édifices susceptibles de durer sans être régulièrement raccommodés, ils ont légué à la postérité des épées de Damoclès qui pèsent sur de nombreux citoyens innocents… Je suis à deux doigts d’en parler aux militants de la France Insoumise qui sont en train de distribuer des tracts ! Mais il me tarde déjà de finir mes courses et de rentrer au bercail…

16h30 : Pour être sûr d’avoir le temps de tout préparer avant que mes invités arrivent demain soir, j’enregistre aujourd’hui même ma vidéo de la semaine. Pour célébrer la fin annoncée du port du masque dans les transports en commun, j’essaie dans un premier temps d’enregistrer une nouvelle fois mon slam « (A) bas les masques » en l’assortissant d’une scène où l’on me voit brûler un masque chirurgical. Je pensais que le masque se consumerait gentiment comme un papier, mais bien entendu, il n’en est rien : bourré de matières dérivées du pétrole, il FOND et de grosses « gouttes » enflammées tombent sur mon bureau ! Comme ce dernier est en bois, je vous laisse imaginer quelle aurait la catastrophe si je n’avais pas posé sur ce dernier mon texte protégé par un film plastique ! A l’époque où des féministes radicales brûlaient leur soutien-gorge en public, il devait y avoir moins de fibres synthétiques qu’aujourd’hui… J’avais heureusement pris la précaution de mettre juste à côté de moi une bassine remplie d’eau : je m’empresse d’y jeter le masque déjà à moitié consumé afin que les flammes s’éteignent. Je réfléchis deux secondes et je me dis : est-ce que je peux me permettre de diffuser les images de la consomption de l’objet ? Je réponds doublement non : d’une part parce que j’y suis ridicule et, d’autre part, parce que je ne tiens pas à être tenu responsable si un enfant ou un irresponsable venait à reproduire ce comportement dangereux… Alors je préfère en revenir à ma première idée et me filmer en train de lire la biographie du résistant Paul Fonferrier que j’avais écrite pour Côté Brest il y a quatre ans et demi de cela : mine de rien, ce n’est pas beaucoup plus facile car, n’étant pas Virginie Despentes, j’ai tendance à faire des phrases à rallonge sur lesquelles ma langue trébuche… Et oui, la vidéo, c’est du boulot !

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