Pas plus tard qu’hier, j’ai reçu un mail me demandant de répondre un questionnaire de satisfaction. Pourquoi ? Tout bêtement parce que j’avais reçu un colis et on voulait savoir si j’étais satisfait de la livraison. Tu parles d’une question stupide ! Le colis était dans ma boîte aux lettres, je l’ai récupéré, quel commentaire pourrais-je exprimer ? Pour ne rien arranger, je ne l’avais même pas commandé : il s’agissait de mon exemplaire d’auteur des actes d’un colloque auquel j’avais participé l’année dernière ; il est bien évident que je n’avais pas contribué à ce colloque dans le but d’avoir un livre gratuit mais parce qu’il est important, dans une carrière de chercheur, de faire des interventions de ce genre, et d’ailleurs, de plus en plus d’organisateurs de colloques se passent de publier leurs actes sur papier, par souci d’économie : le livre, c’est donc un petit plus, et peut-on exprimer une satisfaction personnelle quand on vous fait un cadeau ? Bien sûr que non, ce serait très impoli !
De toute façon, je ne réponds jamais à ce genre de questionnaire, même concernant un service que j’ai effectivement demandé. Pourquoi ? D’abord parce que je suis majeur et autonome et que donc, si j’estime que le service a été excessivement mal rendu, je suis capable de m’en plaindre moi-même sans attendre qu’on m’envoie un questionnaire qui, le plus souvent, ne me permettra même pas de dire pourquoi je suis mécontent. Mais surtout parce que je sais pertinemment une chose : derrière le questionnaire de satisfaction client, il y a le DRH qui, en cas de mauvaise notation, s’en servira inévitablement pour sanctionner l’employé qui aurait failli. Un employé qui, en général, n’exerce cet emploi, souvent précaire, que pour gagner sa vie parce qu’il n’a pas d’autre choix, surtout pas au nom d’une passion qui lui donnerait la motivation nécessaire pour s’investir au maximum comme l’exige la société libérale.
Vous me direz que si j’ai peur d’envoyer quelqu’un au chômage en un clic, je n’ai qu’à mettre la note maximale même si je ne suis qu’à moitié satisfait : je vous répondrai que non seulement je n’aime pas mentir mais qu’en plus, je sais que tout le monde n’a pas mes scrupules et que si j’accorde une excellente note à un employé, ce sera un collègue moins bien noté qui en pâtira. Et oui, les questionnaires de satisfaction, ça sert d’abord à ça : mettre en compétition les travailleurs et aider le DRH à décider qui sera sacrifié quand il faudra dégraisser les effectifs. Et ça peut se jouer à un point près ! Celui qui répond à ces questionnaires ne vaut donc pas mieux que le patricien romain qui assistait aux jeux du cirque et s’arrogeait le droit de décider, d’un coup de pouce, de la vie ou de la mort d’un gladiateur… Et encore, il parait qu’il n’était pas si fréquent que le public demande le sacrifice d’un rétiaire : en revanche, il est beaucoup plus fréquent que la clientèle demande le sacrifice d’un employé !
Mais puisqu’il y a des questionnaires de satisfaction client, pourquoi ne pas rendre le système plus équitable avec des questionnaires de satisfaction employé ? Après tout, il n’y a pas que l’employé qui mériterait d’être noté : il y a souvent des clients qui ne sont pas aimables, qui rudoient les employés pour des broutilles, qui s’imaginent qu’ils ont tous les droits sous prétexte qu’ils ont payé. Alors pourquoi ne pas donner aux employés, une fois qu’ils auront servi un client quelconque, un questionnaire de satisfaction qui leur permettrait de noter ledit client et de signaler s’il a été poli, patient, compréhensif, bref s’il s’est conduit en individu civilisé et non pas, comme trop souvent, en petit roi, en seigneur d’un jour, en enfant gâté ? L’entreprise s’engagerait à ne plus servir le client trop mal noté pendant une plus ou moins longue période ou alors à lui faire payer des pénalités histoire de lui rappeler que l’argent ne donne pas tous les droits et que ça ne le dispense pas de rester courtois, non mais sans blague ! Ce n’est pas parce qu’on doit accepter de faire des boulots ingrats pour gagner sa vie qu’on doit être traité comme une merde !
Oui, quand il y aura des questionnaires de satisfaction employé qui rééquilibreront les rapports entre les travailleurs et les acheteurs, alors je répondrai peut-être aux questionnaires de satisfaction client. En attendant, foutez-moi la paix, vous ne saurez rien, il faudrait me torturer pour que je rentre dans votre jeu abscons.
Le pb de ce genre de questionnaire c’est que souvent ce sont les gens insatisfaits qui répondent . Et du coup ça donne des chiffres mauvais qui retombent sur la gueule des salariés.