La nouvelle à peine croyable est tombée vers 18h, heure française, le président tunisien a quitté le pouvoir, devant la colère du peuple tunisien, de ces citoyens qui ont crié leur refus de la misère et de la répression, de la censure de la presse et d’Internet, de ces prix inaccessibles, de la corruption et de ces riches qui s’engraissent pendant que les autres regardent, ils ont hurlé leur rage et leur détermination.
Vingt-trois années de pouvoir d’un régime que certains osent appeler « dictature douce »… Retour sur les jours où tout a basculé…
La misère qui les lie, la révolte qui scelle leur destin
Depuis le 17 décembre, la Tunisie s’est embrasée dans une succession de révoltes à travers tout le pays, consécutives au suicide d’un jeune vendeur ambulant qui s’était immolé à Sidi Bouzid, au cœur de la Tunisie.
Si la Tunisie fait bonne figure en matière de tenue économique, son contexte social et citoyen est pour le moins épouvantable.
Chaque jour a connu son lot de manifestations, et de violences au sein d’une population exaspérée d’un régime qui n’en finit plus de l’écraser. Depuis, d’autres se sont suicidés dans d’autres villes du pays…
Des émeutes ont alors éclaté dans le pays et ont eu pour réponse du régime de violentes répressions. Dimanche dernier vingt-trois morts selon le Monde à mettre en parallèle avec les 14 annoncées selon les autorités. Les décomptes macabres donnent autant l’importance de chaque vie perdue que le sentiment du compte d’apothicaire funeste quand on s’y livre…
La vie démocratique… aux fers
mercredi 12 janvier : « Hamma Hammami, porte-parole du PCOT (parti d’opposition) a été enlevé à son domicile, aujourd’hui vers midi, par la police politique. On a cassé la porte de son appartement pour y accéder et l’enlever sauvagement devant des membres de sa famille et des amis militants. » nous apprend sa fille, Nadia.
Chef du parti communiste tunisien (PCOT) et bête noire du président Ben Ali, Hamma Hammami était arrêté chez lui à Tunis.
Il n’est pas inutile de préciser que l’enlèvement de ce responsable politique est survenu après son appel à la destitution du pouvoir en place et à la tenue d’élections libres et transparentes dans le pays.
Son épouse, Radhia Nasraoui, agressée la veille lors des manifestations, est une militante active dans la défense des droits de l’Homme dans son pays, ce qui est loin d’être une mince affaire, comme cette semaine le MONDE ENTIER, pouvait le constater. Vous pouvez voir d’après ces articles qu’elle en a vu, par ailleurs, de toutes les couleurs. « Dictature douce » ?…
Et la France pas si détachée
La Tunisie pays d’origine de l’épouse d’un Eric Besson, la Tunisie où on apprend qu’un Frédéric Mitterrand en serait ressortissant, la Tunisie, dont le régime aurait décoré un certain Dominique Strauss-Kahn, que l’on voit d’ailleurs circuler sur le net dans une video, costume d’usurier mondial au corps en train de féliciter l’Etat tunisien et de lui souhaiter une sublime continuation… Décidément, il y a dans sa démarche autant de socialisme que de lucidité… Tunisie, on trouve encore sur le net de fort sympathiques images entre Ben Ali et un Nicolas Sarkozy, si bien qu’on aurait presque envie de dire « copains comme hallouf » ?
Et je ne vous parlerai pas de Monsieur « à 50 ans sans rollex, t’as raté ta vie » , et « internet est une saloperie », publicitaire français qui serait allé conseiller jeudi le président tunisien… quelle belle réussite… le lendemain on apprenait son abandon du pouvoir et sa fuite du pays !
Les drames tunisiens, et les émeutes sont dans un premier temps tus par la France, un silence froid, puis des réactions totalement inappropriées, avec une Ministre Alliot-Marie, qui propose le « savoir-faire de la police française à la police tunisienne pour régler les situations sécuritaires »
Je voudrais vous laisser méditer sur des images, tournées l’année dernière en France, et une citation…
« nous pouvons proposer le savoir-faire de la police française à la police tunisienne pour régler les situations sécuritaires ». Michèle Alliot-Marie, Ministre.
La langue déliée
En réaction à cette proposition de la ministre française, j’ai à mon tour pris la plume et adressé un bref message au responsable du groupe de l’opposition à l’Assemblée nationale, dont voici un extrait.
« Nous sommes la nation des Droits de l’Homme (ET du Citoyen !), nous sommes la nation des Lumières ! … et nous proposons aux gouvernants notre aide pour aller réprimer leurs peuples ! Les Citoyens tunisiens doivent recevoir notre solidarité, et sûrement pas l’assurance de finir écrasés par nos armes !!!
Cette malfaisance, cette « mal-France » qui déjà écorche nos propres concitoyens, à coups d’injustices toujours plus flagrantes, voilà que nous offrons de l’exporter !
Cette France complice, c’est le pays que vous voulez ? Moi pas, mon pays c’est celui qui dit « NON ! », « contre nous de la tyrannie… », la France, celle qui a vu naître tant de grands penseurs, tant de grands artistes, prôner l’exact opposé de l’infâme que nous fait vivre chacune des décisions de la Majorité ! »
Tout s’enchaîne
Médiapart nous apprend jeudi qu’une partie de l’armée tunisienne affichait sa réprobation aux répressions contre la population, que les avocats envisageaient de saisir la Cour pénale internationale, et que le syndicat UGTT s’apprêtait à lancer, historiquement, un appel à la grève générale !
Jeudi soir, Ben Ali fait une allocution télévisée, où soudain après des décennies dictatoriales, il prend conscience des vertus démocratiques, il promet de partir en 2014, il promet la liberté de la presse, le pouvoir d’achat. Dans un grand numéro de « je vous ai compris », « j’ai changé », « je vous ai entendus » (sketch familier des citoyens français… Bizarre, si à 50 ans tu n’as pas le même conseiller en com’ dictatoriale… sûrement cette saloperie d’Internet)
Vendredi après-midi, Mezri Haddad, l’ambassadeur de Tunisie auprès de l’Unesco : »C’est d’ici, de l’Unesco, le temple de l’éducation, de la culture, de la tolérance, de la liberté de pensée et de l’humanisme – toutes ces valeurs pour lesquelles je me suis toute ma vie battu –, que je vous adresse solennellement cette lettre et que je dépose entre vos mains ma démission. » Le sirocco tourne.
Vendredi vers 18h, je découvre au détour d’un entrefilet que l’armée tunisienne encercle le siège de la présidence. A peine le temps de souffler de cette nouvelle aussi subite que surprenante, que par le même truchement, on nous apprend que Ben à vie a quitté le pays !
Le fil à la patte : où est Ben Ali ?
C’est un jeu de piste, on annonce qu’il est en route pour Malte sous escorte libyenne. Mais les autorités locales parlent d’escale. Le quotidien italien La Repubblica rapporte l’atterrissage sur l’île de Sardaigne d’un Falcon tunisien (merci Dassault), avec à son bord un mystérieux inconnu si soucieux de son anonymat que la police de l’île n’aura pas l’autorisation de monter à bord, l’engin est alors raccompagné hors de l’espace aérien italien par l’Esercito
Et là on parle de plusieurs atterrissages en France, au Bourget (93). Démenti par le sommet de l’Etat, à hauteur de talonettes. La presse britannique, The Guardian fait état du refus de Nicolas Sarkozy d’accueillir « l’ami pas à vie », voyant dans ce visiteur une gène bien inopportune.
Finalement vendredi dans la nuit, l’Arabie Saoudite nous affirme la présence de Ben Ali sur son territoire, son avion aurait atterri à Jeddah.
Et la Tunisie plus rien ne la relie à Ben Ali ?
Tout est envisageable, mais des options certainement plus souhaitables que d’autres.
Le premier ministre tunisien, Mohamed Ghannouchi, assure l’intérim et a annoncé la tenue d’élections anticipées.
Il n’est pas inconcevable que le Maghreb, pour la région, et plus largement les régimes à démocratie très variable, dont le nôtre, craignent de voir une contagion de l’exemple tunisien.
Sur place, certains ont l’angoissent d’une guerre des successeurs. A l’extérieur, certains anticipent un remplacement de la « dictature douce » qui arrangeait l’Occident (comprenez, « du moment qu’ils mettaient une sourdine à leur souffrance… ») par une république d’intégristes.
Pour ma part, je suis tellement admiratif du résultat de leur détermination que pour l’heure, je ne vois que le message d’un peuple en révolte qui s’affirme en tant que citoyens. Si j’ai des souhaits, c’est que ce peuple entretienne à jamais cette liberté et ne laisse personne l’entraver ni en interne, ni en externe, cette liberté est la leur : elle a été payée au prix de leur sang.
Il appartient donc au peuple tunisien de décider de son avenir. On l’a assez privé de son passé. Avec un courage qui force l’admiration, et devraient en laisser plus d’un songeurs. Bravo, citoyens tunisiens !