Rencontre avec le LKP

Indépendantistes, anti blancs, violents et assez sadiques pour bloquer tout l’archipel… Qu’avons-nous entendu à leur sujet l’année dernière, lors de ces fameux quarante-quatre jours de mouvement en Guadeloupe . Plus sulfureuse que la Soufrière, l’image du LKP.

Mais au delà du trait caricatural brossé par les médias « grand public », presque devenu inexorable contre toute forme d’opposition à l’officiel, le LKP en Guadeloupe, qu’en est-il vraiment ?

La visite métropolitaine de Frédéric Gircour a été l’occasion de rencontrer en plus un chroniqueur critique du mouvement sur le terrain. Et mirabelle sur le gâteau créole : il est originaire de Lorraine !

Avec le Graoully Déchaîné, il est toujours l’heure de se faire une idée.


Contrairement à l’idée répandue et à la présentation un peu confuse qui en a parfois été donnée en Métropole, le LKP n’est pas un syndicat en soi, monolithe, mais comme son nom antillais le laisse entendre, Liannaj Kont Pwofitasyon(LKP), un tissu hétérogène regroupant acteurs politiques, syndicaux, mais aussi associatifs, et culturels. Tous guadeloupéens et tous unis dans un collectif contre ce qu’ils nomment la « pwofitasyon » — mot créole à la sonorité bien utile pour décrire la connivence du profit et de l’exploitation.

« Vandales », « minoritaires », « contraires aux intérêts de la population » : en y repensant, certains aphorismes médiatiques rappellent, par leur fréquence et leurs propagateurs, ceux employés à l’encontre des manifestants, lycéens compris, de cet automne, lors des mobilisations pour les retraites… Une similarité de traitement qui amène à s’interroger sur le fond de ce mouvement guadeloupéen qui, somme toute, composait le prélude aux contestations à venir.

Avec l’ouvrage qu’il a co-signé « LKP, Guadeloupe : le mouvement des 44 jours », Frédéric Gircour revient en détails sur cette période de contestation. A la fois acteur et chroniqueur du mouvement via son blog, il est venu le présenter dans l’Hexagone. J’en ai donc profité — ironie du langage — pour obtenir un panorama sous son éclairage lors d’une entrevue qu’il m’a amicalement accordée. L’occasion donc d’entendre une tonalité différente, en exclusivité pour le Graoully Déchaîné. Rencontre.

* La première question que je me pose, et que je te pose donc : que veut le LKP, exactement ? *

« Le LKP a établi une plate-forme de revendications de 146 points courant décembre 2008, regroupés en 10 grands thèmes principaux couvrant des domaines aussi variés que les conditions de vie, l’aménagement du territoire, l’éducation, la culture, l’environnement, etc…  [1]

« Ces problèmes ont ensuite été classifiés en trois sous-catégories selon que leur résolution exigeait une réponse immédiate, à moyen ou long terme. »

* Et avant ces revendications, qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres ? *

« L’étincelle, ça a été l’essence, même si les syndicats travaillaient depuis longtemps à un rapprochement de ce type, jusqu’alors sans succès ! Il faut savoir que dans les faits, l’approvisionnement de l’essence en Guadeloupe est soumis à un monopole et exception par rapport à la métropole, son prix maximum est fixé par la préfecture, afin en principe de limiter les abus que pourrait justement induire cette situation de monopole.

« Au lieu de cela, le LKP a fait la démonstration que la préfecture autorisait des abus injustifiables que la population exsangue ne pouvait plus supporter. Le sujet sensible de l’essence en Guadeloupe a eu un effet fédérateur comparable à celui des retraites récemment en métropole. Puis une fois assis autour d’une table, les acteurs de ce qui allait devenir le LKP ont élargi le champ des revendications aux autres thématiques que j’évoquais juste avant. »

* Les points forts et les faiblesses du mouvement ? *

« D’emblée, je vois comme principal acquis une prise de conscience guadeloupéenne des mécanismes d’exploitation qui régissent l’archipel, exploitation capitaliste. Les Guadeloupéens ont aussi pris conscience du fait qu’ils pouvaient se réapproprier un destin depuis trop longtemps confisqué et ils ont développé une vision collective que la société de consommation à la suite de l’esclavage puis de la colonie, avait quasiment fini par étouffer au profit d’un individualisme chaque fois plus prégnant. Le LKP envoie aussi un message fort au-delà des frontières antillaises : il est possible de réunir sous une seule bannière toutes les forces progressistes d’une société.

« En Guadeloupe, il s’agit de pas moins de 48 organisations (les syndicats allant de la CGTG à la CFDT ou la CFTC en passant par les indépendantistes de l’UGTG, des partis politiques, les Verts par exemple, ou le PCG et des associations de toutes sortes : défense de l’environnement, de locataires, des handicapés, etc.) 48 organisations donc, qui sur la base de propositions susceptibles de changer concrètement la vie des gens, ont lancé un mouvement ambitieux. Une vraie grève générale illimitée, pas des journées de 24 heures par-ci par-là, qui démoralisent plus qu’autre chose et n’entraînent pas de dynamique forte.

« La population a répondu immédiatement et s’est mobilisée dans ce rapport de force bien au-delà de ce qu’on pouvait imaginer puisqu’au final, la grève a tenu 44 jours ! C’est la première fois qu’une grève générale aura duré aussi longtemps en France, c’est tout dire !

« Le point négatif a été d’avoir cru naïvement que le dialogue social qui était censé succéder au rapport de force aurait été respecté, puisque dès les blocages levés, on a vu que cela n’a pas été le cas. Pour citer, Elie Domota, le charismatique porte-parole du LKP : « La machine à pwofitasyon est toujours debout. » »

* Une question me taraude : lors de ce mouvement, on a entendu, certes largement relayé par les médias, que le LKP était raciste, particulièrement contre les blancs, et on a parlé d’indépendantisme. Qu’en est-il ? *

« C’est le système qui prévaut actuellement aux Antilles, qui est raciste, pas le LKP qui le dénonce ! En Guadeloupe, on constate que dans la pyramide sociale, plus on est en haut de l’échelle et plus le teint de peau à tendance à s’éclaircir. Il y a bien sûr des exceptions mais la tendance générale est très nette.

« En Guadeloupe, la jeunesse est frappée par le plus fort taux de chômage de toute l’Union Européenne. La discrimination à l’embauche se fait de manière insidieuse. Il faut savoir par exemple que les embauches aux postes de cadres se font souvent dans des cabinets de recrutement à Paris, La Guadeloupe dispose pourtant de jeunes qualifiés qui ne trouvent pas de débouchés chez eux et sont donc condamnés à galérer ou à partir. Je suis prof d’espagnol au lycée d’hôtellerie et de tourisme de la Guadeloupe et ça fait mal au cœur de voir des jeunes s’investir dans un secteur où ils se disent qu’ils pourront apporter quelque chose à leur archipel, pour au final devoir partir se faire discriminer ailleurs parce qu’on aura été recruter quelqu’un à 8000 kilomètres de là ! »

« Il n’y a pas besoin d’être noir pour vouloir lutter contre de telles injustices et contre une racialisation de la société héritée d’un passé colonial qu’on voudrait révolu.

« Songe que l’essentiel de l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique, l’import, la grande distribution, toutes les concessions automobiles, et j’en passe, la liste est très longue, appartient à grosso modo cinq familles békés, descendant d’esclavagistes ! A ce sujet, je recommande à tout le monde de regarder l’excellent documentaire qui était passé sur Canal+, « les derniers maîtres de la Martinique ». Il est tout à fait édifiant ! N’importe qui se revendiquant des valeurs républicaines, ou tout simplement de gauche, devrait être au côté du LKP dans ce combat, pour l’édification d’une société où chacun aurait sa place quelque soit son origine.

« Enfin, pour répondre à ta question, je suis tout ce qu’il y a de plus blanc comme tu peux le constater [large sourire], et je peux t’assurer que je n’ai jamais fait l’objet de la moindre réflexion raciste dans les manifs du LKP. Ceux qui n’ont de cesse de me renvoyer à mes origines, ce sont en fait les adversaires du LKP ! »

* Et l’indépendantisme ? *

« Quant à la question de l’indépendance, elle n’a jamais été posée par le LKP car elle est loin de faire l’unanimité au sein des organisations qui composent le collectif. En fait, ce point a été utilisé essentiellement par les opposants au mouvement, avec l’objectif évident de brouiller son message et ses revendications sociales, qui séduisaient de plus en plus de monde, non seulement en Guadeloupe, mais aussi dans l’hexagone, lequel aurait pu être tenté de suivre le même chemin.

« “La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo” (La Guadeloupe c’est à nous, la Guadeloupe n’est pas à eux), n’est pas une revendication raciale mais bel et bien sociale. Oui, naturellement. Les « yo », le LKP n’a cessé de le répéter, ce sont les exploiteurs. Quant aux « nou », et bien ce sont tous les autres : nous tous qui travaillons, vivons et faisons vivre la Guadeloupe sans exploiter personne, dans le respect de la culture locale. »

* Côté officiel : quelle a été la réaction de l’Etat français lors du mouvement ? Et quelle perception par la population guadeloupéenne ? *

« Ce qui a marqué surtout le mouvement, c’est d’abord le silence du Chef de l’Etat sur la question, pendant un long mois, en dépit de manifestations chaque fois plus massives, dans des proportions jamais vues en Guadeloupe et d’une économie paralysée, lui qui est toujours si prompt à s’exprimer sur n’importe quel sujet un tant soit peu médiatique. Dans mon blog, j’avais parlé de silence assourdissant. Pour les gens sur place, ça a renforcé le sentiment selon lequel les Guadeloupéens seraient vraiment des citoyens de seconde zone. Quand il est enfin sorti de son mutisme, ça a été pour apporter une réponse à une question que les Guadeloupéens ne posaient pas : les fameux états généraux, que le LKP a dénoncés dès le départ comme un vulgaire rideau de fumée.

« Un autre type d’attitude qui a vraiment généré la colère des Guadeloupéens, ça a été les nombreuses volte-face de l’Etat. Le 28 janvier notamment, le préfet, plus haute autorité de l’Etat sur l’archipel, désavoué par Yves Jégo, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, quittait la table des négociations, et devait déclarer nul et non avenu le protocole de négociation auquel il venait d’arriver. Le 8 février, après d’intenses négociations, à deux doigts d’une solution négociée et alors qu’il avait rendez-vous l’après-midi même avec les délégués du LKP pour signer un accord de fin de conflit, ceux-ci apprenait de la bouche du préfet qu’Yves Jégo était dans un avion, rappelé par François Fillon. Comme lui-même avait désavoué le préfet, Yves Jégo sera à son tour désavoué par le premier ministre. Il avait alors été remplacé pour les négociations par des médiateurs encore moins crédibles : le directeur général du travail d’Aquitaine et l’adjoint au directeur général du travail… Beaucoup en sont venus à se demander si Nicolas Sarkozy ne cherchait pas à jouer les pompiers-pyromanes, comme avec ses provocations en banlieue en 2005, qui avaient entraîné l’explosion que l’on sait, ce qui lui avait permis d’être élu grâce notamment à un grand nombre de voix FN ? Enfin, au-delà des 44 jours, c’est encore une fois sa propre parole que ce gouvernement foulera au pied en ne respectant pas ses engagements… »

En Guadeloupe, comme ailleurs, le pouvoir politique et économique entend faire payer aux travailleurs et aux précaires les frais de leur crise, comme en témoigne la récente réforme des retraites, à l’instar de tous les plans de rigueur en Europe notamment. Nous subissons tous aujourd’hui la même offensive, la même politique libérale dévastatrice car elle est mondialisée.

« Le LKP et la Guadeloupe ont commencé à ouvrir la voie, en démontrant qu’avec de la volonté et du courage politique, on arrive à faire bouger les choses. Dans l’hexagone, si ça ne se fait pas avec les directions de centrales syndicales (où l’on a vu, dès le début des grèves sur les retraites les dirigeants syndicaux se demander comment sortir de la crise par le haut, plutôt que de vouloir aller au bout des choses, conformément aux aspirations de la population), et bien il faudra que ça se fasse sans eux. Aujourd’hui on n’a plus le choix. Et bien sûr, nous ne réussirons à infléchir le cours de l’histoire et nous réapproprier nos destin qu’à compter du moment où, tant au niveau national qu’international, nous parviendrons à faire ce que le LKP a réalisé en Guadeloupe, l’union de toutes les forces progressistes. Il faut que les expériences de luttes locales parviennent à faire leur jonction dans une lutte globale »

* Et la fin du mouvement ? *

« Mais ce n’est pas fini ! Maintenant, s’il faut donner une date de fin pour ces quarante-quatre jours, alors ce serait la signature d’un protocole d’accord le 4 mars 2009. La grève générale a alors été suspendue, et non arrêtée : la nuance est importante. »

* Tu veux dire qu’il y a de la reprise dans l’air ? *

« On a constaté qu’une fois le rapport de force levé, les pouvoirs économiques et politiques sont revenus sur l’ensemble des engagements pris. Raison pour laquelle le mouvement de grève du 26 octobre en Guadeloupe a encore mobilisé 22 000 personnes selon les organisateurs (6500 selon la préfecture), et dans une moindre mesure en Martinique et en Guyane, afin de dénoncer le non-respect de ces accords… » [2]

L’ouvrage bien entendu traite du mouvement en soi, mais fourmille également d’éléments qui aident à cerner le mode guadeloupéen. On y apprend par exemple l’importance du carnaval dans l’action revendicative. A noter également la présence de dossiers intercalaires : l’un brossant l’importance des intellectuels guadeloupéens, un deuxième dénonçant les incohérences de l’affaire Jacques Bino, syndicaliste CGTGuadeloupe et militant LKP, assassiné en 2009, et enfin un dossier « empoisonnement d’une population », traitant d’un scandale sanitaire de large envergure et qui n’a pas eu grand écho en Métropole…

Décidément, ce monde baigne moins dans le bleu turquoise qu’en eaux très très troubles…

« LKP, Guadeloupe : le mouvement des 44 jours » est disponible dans toutes les vraies librairies de quartier, et à défaut, dans les grandes. 😉

Je remercie Frédéric de son autre côté du miroir.

[1] NdR : le niveau et les conditions de vie (dont les logements et les transports) ; l’aménagement du territoire et les infrastructures ; l’éducation ; la culture ; la formation professionnelle ; l’emploi ; les droits syndicaux et les libertés syndicales ; les services publics ; la production (agriculture et pêche) ; l’arrêt de la sur-exploitation.
[2] au moment de l’entretien, Frédéric me confiait l’appel lancé en guise d’ultimatum pour le 14 décembre, en prévision d’une reprise du mouvement, ce qui semble se confirmer pour ce début d’année en Guadeloupe

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