Louis Ville : J’avais déjà commençé dans Do It, parce que j’aimais bien la langue anglaise d’un point de vue phonétique, avec le rock ça fonctionne trés bien. Mais je me suis toujours tenu à écrire des choses qui avaient du sens, je n’ai jamais fait du yaourt….Mais je ne sais pas ce qui m’a amené à essayer de faire ça…Je voulais peutêtre me prouver quelque chose. Les premiers textes valaient ce qu’il valaient, je n’ai pas la prétention de dire qu’ils étaient énormes.
Missloulou : Tu avais des influences trés rock punk…Tu écoutais des auteurs français également ?
Louis ville : Oui ! Je me souviens du vieux pick up qu’il y avait à la maison , il y avait du Brel, du Brassens, du Ferrat que les parents gauchos écoutaient…J’ai aussi écouté des conneries mais qui, elles, ne m’ont pas beaucoup inspirées.
Missloulou : Je trouve qu’il y a beaucoup de tristesse dans ton premier album » Hôtel pourri « ….
Louis Ville : Oui, c’était cru aussi. Cela correspondait à une certaine époque…
Missloulou : Tu lisais Bukowski à cette période ?!!
Louis Ville : (rires) J’ai toujours lu des trucs assez horribles sur des loosers. des gens, comme ça…Quand on écrit des textes, il y a une digestion qui est assez longue… Ca correspond à une certaine période de ma vie…mais tout n’est pas autobiographique ! J’ai pu voir la folie chez quelqu’un, la schizophrénie…Triste, oui, oui, c’était triste mais c’était dans l’air du temps, je crois…
Missloulou : En 2003, dans ton album » Une goutte « , il y est plus question d’amour avec, notamment, le titre « Aime moi » …Conçois tu tes albums selon ce que tu ressens, dans une continuité artistique ou réflechis tu tes albums comme des concepts ?
Louis Ville : Non pas du tout, je vais là où le vent me méne et…je sais pas si Une goutte était plus gai…Les arrangements étaient différents parce que j’ai jamais voulu resté figé dans un style d’écriture et musical, cela ne m’interesse pas. J’ai envie d’aller là où j’ai envie et de ne pas me sentir coinçé dans des carcans, dans un catalogue. Ca, ça ne m’interesse pas du tout.
Missloulou : Dans « A choisir » (album 2007 ndlr) tu confirmes encore plus, aux côtés d’Albert Boutilier, musicien virtuose, ta capacité à te diversifier en nous proposant des sons allant de la musique cajun aux confins de l’Orient, tout en restant dans ton univers…Tu as beaucoup voyagé pour être aussi à l’aise dans ces sonorités ?
Louis Ville : (rires) Pas du tout, j’ai ouvert les oreilles !
Missloulou : Et bien bravo parce que c’est toujours crédible et il y a toujours un lien, on te retrouve toujours malgré des sonorités différentes…
Louis Ville : Je crois qu’à partir du moment où l’on ouvre ses oreilles et que l’on est curieux…j’ai toujours adoré la musique cajun
Missloulou : Tu arrives à absorber ces musiques ?
Louis Ville : Oui, j’absorbe, ça reste dans un petit coin de ma tête mais c’est complétement digeré, il n’y a pas de plagiat…
Missloulou : C’est assez rare quand même, parce qu’on connaît des groupes et musiciens mélant le rock avec des sonorités hispaniques, mais ils restent dans ce domaine là…Alors que là bien que l’on reste dans le même univers on est transporté vers des sons quelquefois différents, on voyage !
Louis Ville : Oui, le fil conducteur c’est la voix..
Missloulou : Et le rock aussi.
Louis Ville : Oui, biensûr…Il y avait plus d’apaisement aussi dans cet album donc peutêtre que ma vision était plus large et que j’avais aussi moi-même envie de voyager…Ca aussi ça se peut. Je ne me suis jamais trop posé la question parce que c’est la première fois que l’on me dit que mon univers s’est élargi à ce moment là…J’ai toujours eu ces choses là dans des cases dans ma mémoire, que ce soient les musiques du Maghreb, Cajun…Bon, le latino, j’ai jamais accroché. J’aimerai un jour explorer le fado…
Missloulou : C’est extraordinaire le fado, tant d’émotions..
Louis Ville : Oui ! Il y a des choses comme ça qui m’ont beaucoup marqué…Quand le propos s’y prête collé comme ça à une peinture bien spécifique, ça c’est ma liberté d’artiste, artiste entre guillemets.
Missloulou : Pourquoi entre guillemets ?
Louis Ville : Je me sens plus un artisan qu’un artiste, je sais faire quelque chose comme sait le faire un artisan. Un artiste, ça me fait rire, je trouve ça prétentieux. Je trouve qu’un carreleur ou un maçon peut faire un beau travail Il n’est pas plus méritoire de faire de la musique qu’un beau mur. Dans le bobotisme actuel on encense beaucoup les musiciens …C’est un peu de la masturbation intellectuelle ; dans les cocktails, aprés les vernissages, on se fait chier ! (rires)
Missloulou : Dans ton dernier album Cinémas, un des titres » Ne te retourne pas « , le est clip une vrai réalisation cinématographique, avec la talentueuse Elisabeth Masse, en totale symbiose avec ton texte. Quand tu as écris tes textes, avais tu déjà l’idée de mettre un » film » derrière tes chansons ?
Louis Ville : Le cheminement est différent. J’écris les textes et une fois qu’il a fallu travailler sur l’album et sur les arrangements je me suis dit je vais faire une sorte de concept sans que ce soit bien énoncé. J’avais envie que chaque morceau plonge les gens dans un univers de cinéma , italien, Fellinien, que ce soit le polar des années 50, le cinéma français, le cinéma des années 70… Si on sait cela à l’avance, on peut écouter le morceau en faisant ces liens. Aprés les images qui ont decoulées de ça c’est le hasard des rencontres avec la chorégraphe Elisabeth Masse qui a appris le langage des signes pour communiquer avec un de ses proches. Dans le clip ce n’est pas du langage des signes pur, il est chorégraphié. Il y a cette lenteur et ce côté inéluctable qui colle bien au propos.
Missloulou : Ce clip est une trés belle réussite. En tant que spectatrice, je l’ai trouvé dérangeant. Il y a beaucoup d’émotions, dans ton texte, dans ta voix, dans la prestation d’Elisabeth Masse, dans la lumière choisie pour la vidéo…C’est dur.
Louis Ville : Oui, c’est dur…C’est un peu » Pétain n’est pas loin » pour moi cette chanson. En chacun de nous sommeille un grand lâche. Je ne veux pas faire non plus faire mon punk, mon révolté !…
Missloulou : Si si chez nous tu peux ! Dans le tournage du clip Sans rien dire, au théâtre de Contrexeville, vous nous faites entrer cette fois çi dans l’univers du cinéma muet…
Louis Ville : Oui on y retrouve le narrateur, des amoureux maladroits…Il fallait dans un seul cadre raconter deux histoires en même temps. Le cinéma muet me semble pas mal du tout pour ça… Colombero est un monstre dans le mime. Il est dans le burlesque. Le montage va se faire dans une quinzaine de jours et sera visible début août.
Missloulou : Pourquoi cette envie de cet album Cinémas ? Tu es cinéphile ?
Louis Ville : Oui, je suis cinéphile. Mais j’ai rencontré des gens trés génereux car ce projet est sorti de la tête de ma compagne Yvanna et en l’espace d’une semaine elle avait réunie toute une équipe de manière bénevole, ce qui est inouïe. Et je pense que, s’ils ne sont pas trop occupés, ils seront prêts à tourner le prochain clip.
Missloulou : Sur le net, tu prends toujours soin de citer les personnes de ton équipe, ce qui n’est pas le cas de tous les artistes. La notion du travail d’équipe me semble avoir été masquée par l’individualisme.
Louis Ville : Je met un point d’honneur à citer des personnes qui ont eu un un tel invesstissement. Une telle génerosité ne s’oublie pas. Il est vrai que le monde individualiste dans lequel on est m’a toujours gonflé Il est vrai que j’ai été un solitaire parce que je trouvais pas mon compte auprés des humains Petit à petit on vit des rencontres, on se sent entouré. Pour plein de raisons je les cite parce que je veux qu’ils existent, ils participent Et si ce que je met en oeuvre peut les aider… C’est une façon d’exprimer sa gratitude. S’entourer de personnes aimantes, c’est du bonheur.
Missloulou : Une question pour nous, profanes, comment se fait il que tes albums soient des succés publics, que la presse soit élogieuse avec toi, que tu sois reconnu par de grands artistes, que tu fasses sensation sur scéne et que pourtant on ne t’entende pas beaucoup sur les ondes ?
Louis Ville : On m’ a entendu sur France Inter pendant quatre mois avec l’album A choisir, en playlist. Je passe également dans les petites radios, sur la bande FM. Mais il y a des formats et l’industrie du disque a tout verrouillé. Je ne suis pas dans les cases…mais c’est pas grave, cela ne m’a jamais derangé ! Je n’ai jamais eu d’autre ambition que de m’exprimer
Missloulou : Oui, ce n’est pas nouveau, certains, comme Thiéfaine, dont tu as d’ailleurs fait une première partie, ont une carrière gigantesque sans avoir été trés mediatisé.
Louis Ville : Oui, une trés belle carrière. Mais c’est vrai qu’il y a une réalité financière et que nous esperons de meilleures ventes avec Cinémas pour pouvoir continuer à s’en sortir. J’ai la reconnaissance des pairs et ça c’est le plus important. J’ai pas à me plaindre. Je n’ai aucune frustration, juste l’ambition de continuer.
Missloulou : Pour finir, qu’est ce que tu penses de la politique actuelle en géneral et en ce qui concerne les intermittents du spectacle en particulier ?
Louis Ville : Ce qui m’a fortement emmerdé en 2003 pendant les gréves est qu’il y avait un individualisme exacerbé dans les revendications Les uns se demandaient on va nous supprimer nos noeuds papillons pour nos concerts classiques etc..Je me suis demandé où était l’unité des intermittents. C’est tous des totos, il faut parler d’une seule et même voix. Il y a plein de gens qui ont été mis à la trappe à cause de ça et je trouve ça lamentable. Aprés l’URSAFF a dit qu’il allaient faire des efforts pour endiguer la fraude mais ils sont allés dans les petits endroits, ils ont pas fait de descente a TF1 ou à Canal Si le système est verolé c’est bien de la faute de ceux qui ont mis ça en place, pas de celle des intermittents. Pour la politique actuelle, je pense que l’on ne peut pas avoir une reflexion sur le plan national si l’on a pas une vision globale de l’économie et du marché dans lequel on est. Gueuler contre le gouvernement de droite, oui, j’ai des génes de gauche et qu’ils reconduisent des personnes aux frontières je trouve cela lamentable et inhumain. Peutêtre qu’un jour il y aura un grand clash qui fera que tous les fondements de la societé seront remis en question et qu’il y aura quelque chose de meilleur qui naîtra. Mais je pense pas que je serai là pour le vivre !
Missloulou : Je sens moi que ça se soulève, je pense qu’on le vivra…
Louis Ville : Chacun milite à son échelle et dans mes chansons j’ai pas l’impression d’être un toto consensuel Aprés il suffit de lire entre les lignes. je met mon petit grain de sable à l’édifice de la contestation (rires)
Missloulou : Terminons sur ça : la contestation !
Sur le Web http://www.myspace.com/louisvillesinger