Cela fait un petit moment que le Pape Benoît Sechzehn ne vient plus nous rendre visite dans ces lignes. Et c’est bien regrettable, car il y a des coups de pieds au Saint Siège qui se perdent. A l’usage des béotiens dans l’art ancestral de la toxicologie, la morale est un poison extrêment puissant dont le principe actif, la moraline, est inoculé le plus souvent dans les premières années de la vie par la grenouille de bénitier, ou par de multiples autres entités aussi supérieures qu’invisibles qu’on peut nommer travail ou patrie, pour permettre au berger de ne point perdre ses moutons. C’est une substance extrêmement tenace qui aime à se propager dans des environnement cloisonnés comme l’école, la caserne ou la famille, et si sa dangerosité avérée ne provoque plus forcément la mort depuis que l’Inquisition et la Croisade ont rejoint aux oubliettes les traditions fanées qui enluminaient la grise monotonie des temps d’avant la télévision, elle a en revanche conservé toute sa capacité à nuire au moindre progrès humain.
Son symptôme le plus patent est une saine détestation du corps dans toutes ses modalités sous prétexte qu’il appartiendrait à un hypothétique Dieu, ainsi qu’un goût marqué pour la discipline et la souffrance qui serait rédemptrice même quand on a rien à se reprocher. On pensait la pandémie vaincue après la grande campagne de vaccination de 1905 où l’on a procédé à l’ablation de l’Eglise du corps de l’Etat et après le lavement de mai 1968 qui a aussi chassé quelques impuretés. Mais l’imparfaite extraction de la tumeur a conduit les victimes de ce que l’on nommera le syndrome de Saint Paul de Tarse, du nom d’un cas particulièrement furieux de malade de la moraline, à continuer à mordre dans les idées fraîches comme un zombie dans la chair tendre de sa victime impuissante. En effet, des propositions insinuant que les femmes puissent disposer librement de leurs corps, que la pratique sexuelle ait pour la plupart des individus de notre espèce une nette connotation ludique qui ne se manifeste pas forcément dans les liens sacrés du mariage et dans le silence calfeutré de la chambre nuptiale, que Darwin n’est pas un démon évolutionniste, que le corps passant de vie à trépas fournisse un excellent engrais, ou encore que les groupes de death metal sont rarement possédés par autre chose que la bière tiède, leurs sont parfaitement insupportables. A l’inverse du psychopathe dont le délire est parfaitement organisé, le malade atteint par le Syndrome de Tarse refuse d’admettre que c’est peut être son principe supérieur qui essaie d’éprouver sa foi et qu’il ferait peut être mieux de retourner jouer avec ses cierges et ses goupillons.
Parfois, le malade s’engage en politique, où son ardeur est égale à la ferveur de sa croyance. Un médecin du Pays Basque, soupçonné d’avoir pratiqué quatre euthanasies actives, figure aujourd’hui en bonne place pour inaugurer un prochain rétablissement du bûcher à hérétiques. Et depuis hier, une équipe de chercheurs français a réussi à recréer du sang humain à partir de cellules-souches, ouvrant de formidables perspectives. Cette découverte permettrait de pallier à la pénurie de donneurs de sang ( qui est aussi dûe à une insupportable discrimination à l’égard de certains donneurs potentiels), et augure d’une nouvelle ère qui pourrait envoyer Dieu et ses copains pointer à Pôle Emploi pour trouver un vrai travail. La recherche sur les cellules-souches pourrait également permettre de récréer des organes sains dans un domaine où l’on manque aussi cruellement de donneurs, ou même de cloner de la viande animale sans envoyer à l’échafaud des milliers d’espèces torturées avec application avant de finir dans nos assiettes. Enfin, dans les vôtres, car nous ne mangeons pas de ce pain à la viande là. A terme, il sera peut être même possible de guérir la moraline et le virus de la politique qui ne cesse de décimer tant et plus de membres de notre belle jeunesse qui devrait un peu plus s’intéresser à un monde qui recèle encore plus de beautés que de parlementaires inutiles. Ainsi, et à la condition que la bioéthique (qui n’est pas une variante de la morale, même si elle n’en est pas à l’abri, mais un consensus sur ce qui relève d’Hippocrate et ce qui relève de Frankenstein), puisse nous prémunir des rapaces qui ne manqueront pas d’y trouver une manne financière aussi belle et aussi toxique que celles de l’industrie pharmaceutique ou de l’OGM, l’imbécile et le poète auront le droit de chanter un tout petit peu plus fort que la vie est belle.
Dans un prochain épisode, nous nous étonnerons, et nous regretterons amèrement, que la recherche sur les cellules souches n’ait toujours rien pu faire pour la chanson française.