Le 21 avril 2002, Jacques Chirac se voyait opposé à Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. L’escroc ou le facho, la peste ou le choléra, la pince à linge sur le nez et les gants de vaisselle, l’alternative proposée avait de quoi dégoûter de la démocratie à la française, et la pauvre Marianne semblait n’avoir plus d’autre avenir que la prostitution ou le viol. Comme un seul homme, le Parti Socialiste avait appelé ses électeurs à voter Chirac pour « sauver la République », en pensant que le vieux grigou se sentirait redevable et consentirait à mettre un peu de plâtre sur la fracture sociale qu’il avait si brillamment diagnostiquée avant de la laisser se gangréner.
La candeur et la naïveté des dirigeants du PS étaient touchantes, tout comme le désarroi de Lionel Jospin, l’ermite de l’île de Ré qui a préféré déserter plutôt que d’entrer en Résistance. Comme si Chirac s’était déjà montré redevable de quoi que ce soit, lui qui a laissé plus de « cadavres politiques » et de trahisons dans son sillage que Charles Manson dans les ranchs de Death Valley. Et comme si le Front n’avait pas prospéré sur l’échec de la gauche à voir venir la paupérisation des classes populaires, et sur l’instrumentalisation électoraliste des fachos par Mitterrand. Toutefois, au milieu de ce torrent de bons sentiments à l’endroit de nos institutions qui en ont vu d’autres, un « éléphant » du PS avait eu une phrase prophétique. Dominique Strauss-Kahn, qui à l’époque savait garder sa trompe dans sa poche, avait déclaré devant un Jean François Copé mal à l’aise, qu’il osait espérer sans en être bien certain que si la gauche avait été au deuxième tour, la droite aurait également appelé au report des voix pour barrer la route au Front National. Les dernières élections régionales et le refus de Copé de donner des consignes de vote en cas de triangulaires avec le FN ont prouvé à quel point certains élus et certaines personnalités étaient prêts à franchir le cap, en grande partie aussi grâce à l’opération de décomplexion de la droité amorcée par Sarkozy, et par les rebelles de la Droite Populaire.
Ce rappel des faits un peu longuet nous amène en extrême-droite ligne au rassemblement de l’Obersturmkommandantur de Marine Le Pen, pardon aux « journées d’été » du Front qui se tenaient dans un hôtel niçois c’est à dire justement en plein fief de la Droite Populiste. Les affidés de la repoussante Walkyrie, qui arborait une robe dont la féminité contrastait étrangement avec les aboiements martiaux de sa propriétaire, détestent tellement la culture qu’ils n’ont même pas osé appeler leur meeting « université d’été ». Et comme on les connaît, ça commence par des journées d’été, et ça finit en « Nuit et Brouillard ». La faible fréquentation du raout, dont on aurait pu se réjouir, a été occultée par le fait que le parti fondé par le borgne hostile a annoncé le ralliement d’Yves Bertrand, ancien patron des Renseignements Généraux et ennemi revendiqué de Nicolas Sarkozy depuis l’affaire Clearstream. Le FN n’est plus un îlot en marge de la métropole républicaine, à laquelle il est désormais reliés par des autoroutes. Même si le ralliement d’Yves Bertrand n’est pas encore officiel, il est extrêmement inquiétant qu’un ancien commis de l’Etat, qui plus est un homme qui doit avoir des réseaux tentaculaires, puisse afficher un soutien même discret à Marine Le Pen et réclamer la « dédiabolisation du FN » en vue d’accords aux législatives. Aussi inquiétant est le vide incommensurable des commentaires de l’UMP. Christian Estrosi et Henri Guaino n’y voient qu’un reniement du gaullisme (il faudrait qu’ils en parlent au Président qui aime tant l’OTAN), et estiment que M. Bertrand n’est pas si important pour qu’il y ait lieu de s’inquièter. Et bien moi, ça m’inquiète, d’une part parce que M. Bertrand risque de donner du grain à moudre à Marine Le Pen et à son slogan « tous pourris », et d’autre part parce que les scrutins régionaux cités plus haut ont déjà démontré qu’il n’était pas le seul à se sentir à l’étroit dans le cadre républicain.
Dans un prochain épisode, nous dresserons la liste des îles de la côte Atlantique où l’on espère ne pas trouver d’ex-candidat de gauche en mai prochain.
POST SCRIPTUM: Yves Bertrand a entre-temps infirmé s’être engagé en faveur du Front National, ce qui ne change rien à la teneur de l’article. C’est bien les flics ça, même pris la main dans le sac, ils continuent à nier. Gageons que Marine Le Pen va beugler au complot et dénoncer les pressions des empêcheurs de fasciser en rond.