On le sait, et la campagne présidentielle qui bat son plein nous le rappelle quotidiennement, l’exercice de la politique s’apparente souvent à une quête mystique, avec son Saint-Graal, ses vérités révelées, son champ lexical manichéen et ses projets prométhéens, ses prophètes, ses apôtres, et ses judas plus ou moins bien intentionnés. Mais le plus intéressant dans ces mini-dévotions, comme dans toutes les variétés de la philologie, ce sont les déviants et les hérétiques qui se méfient du culte officiel et y voient la mainmise d’une entité secrète et malveillante à l’endroit de la communauté.
Tous les courants politiques, même les plus défiants à l’égard de l’autorité, ont ainsi leur petit panthéon de héros et de martyrs qu’il est aussi risqué de critiquer en présence de leurs zélateurs que d’écrire un article sur Nadine Morano dans l’Est Républicain. Pour faire court, la droite a De Gaulle, la gauche centriste a Mitterand, Jaurès et Blum, les anarchistes ont Makhno et Ravachol, et beaucoup n’hésitent pas à arborer fièrement l’effigie du Che Guevara, la figure christique de gauche, en allant se boucher les artères chez Mc Donald’s. Certains, dans un élan de syncrétisme racoleur digne des plus fervents représentants du New Age, n’hésitent pas à puiser dans l’exégèse de l’une ou l’autre chapelle, la citation tronquée de son contexte autorisant toutes les audaces quand on n’a rien de neuf à raconter. Ces figures sont érigées en autant de saintetés et sont des sortes de balises de la pensée, rassurantes parce qu’elles permettent d’inscrire un discours dans une continuité et dans une orthodoxie historique (voire une doxa pour les héllenistes). Parfois, les églises politiques renouvellent leur catalogue à l’aune des découvertes des chercheurs en histoire, en économie, ou en sociologie et ajustent leur doctrine à la conjoncture, comme par exemple quand le PC renonce à la dictature du prolétariat. Tous ces théoriciens s’appuient sur une réalité positive faite de statistiques et d’opinion publique pour vendre leurs projets, leur degré de réalisation étant tributaire de la dose de subjectivité distillée dans l’analyse des faits. L’athée politisé qui préfère rester en marge des troupeaux peut déjà éprouver un scepticisme légitime envers les invitations à la génuflexion de tous ces bergers. Toutefois, il existe une multitude de petites sectes indépendantes qui cultivent la paranoia comme d’autres font pousser des géraniums sur leurs balcons, qui détestent la réalité au point de voir des complots partout, et qui rendraient presque François Hollande attachant.
L’exemple le plus flagrant vient d’extrême-droite, où l’on voit des Juifs et des francs-maçons partout, mais point n’est besoin d’aller si loin dans les banlieues désertes de l’intellect. Rappelons nous Thierry Meyssan, suivi un temps par une frange de la gauche anti-américaine primaire, qui est persuadé que la CIA a organisé les attentats du 11 septembre. Internet a permis la floraison de ces sites qui s’autopersuadent qu’on leur cache des choses et qu’une main invisible a juré leur perte. A côté de ces théoriciens du pire, l’Apocalypse selon Saint-Jean est une promenade automnale en amoureux sur une gondole du Rialto. Ainsi, à la faveur d’une recherche sur la mythodologie de Gilbert Durand, je suis tombé sur cette pépite du « on-nous-cache-tout-on-nous-dit-rien » qui se nomme Wikistrike. Ce site fondé par Grisham et Alexander Doyle, qui sont au webjournalisme ce que les frères Bogdanov sont à l’astrophysique, mélange allègrement sujets de société abordés sous un angle souvent progressiste, présentations de textes et d’écritures antiques abordés de façon aussi scientifique qu’un reportage du 13 heures de TF1, confusion volontaire entre astronomie et astrologie digne d’Elisabeth Teissier, allégations insultantes et non vérifiées sur la judéité et l’appartenance de Mélanchon à une loge maçonnique (tiens, ça me rappelle quelqu’un), et une obsession récurrente pour la fin du monde régulièrement revue et corrigée à chaque fois que la planète oublie d’exploser. Le tout sur un fond de fraternitude et d’espoir de « mondes meilleurs » sur une autre planète qui ressemble à l’accouplement contre-nature de Lutte Ouvrière et de la secte Moon. Le plus étonnant, c’est que je ne mets pas en doute la volonté de Wikistrike de vouloir accompagner la marche de l’humanité vers des lendemains qui chantent, mais à quoi bon si on va tous crever à cause de ces salauds de Mayas qui n’avaient même pas prévu qu’ils allaient se faire péter la gueule par les Espagnols? En tout cas, je n’ai personnellement pas plus confiance en un parti politique qu’en un astrologue quand ils me parlent de révolution.
Dans un prochain épisode, nous déverserons des torrents de boue sur le Figaro si la fin du monde n’a pas lieu en mai 2012 quand Sarkozy se retirera dans un monastère de Malte pour retrouver le Grand Architecte et pour racheter les péchés des pauvres citoyens qui lui auront préféré un manant de socialiste sans foi ni loi.