Comment rester dans l’Histoire

Graouliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Les commémorations liées au dixième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 m’ont fait réfléchir, vous savez… Nous aspirons tous, même inconsciemment, à rester dans l’histoire. C’est bien joli, mais pour y arriver, il ne suffit pas d’accomplir un acte qui ait une importance remarquable : il faut aussi bien choisir la date à laquelle on décide de le réaliser ! Il est bien évident que si choisissez une date difficile à retenir pour les écoliers, seuls les historiens garderont le souvenir de vos faits d’armes et, vous l’avouerez, ça ne vaut pas le coup de se casser le tronc pour une poignée de crânes d’œuf qui passent leur temps à consulter des archives poussiéreuses. Écoutez donc les conseils du professeur Blequin pour éviter cela.

LA DATE « READY-MADE »

Il est tentant de prendre une date déjà bien connue du grand public, déjà signalée sur le calendrier comme, par exemple, les fêtes religieuses : si vous faites votre coup le 15 août (Assomption) ou le 1er novembre (Toussaint), il est à peu près certain qu’on s’en souviendra. Évitez cependant les dates passablement ridicules ou encore fêtées par autre chose que par un jour férié : dans le premier cas, il est bien évident que si vous agissez un 1er avril, vous aurez un peu de mal à être pris au sérieux, sans compter que la postérité ne manquera pas d’en parler ainsi : « ce n’était pas une blague, le 1er avril de cette année, il a… » ; avouez que ça la ficherait mal. Dans le second cas, frapper le 25 décembre est à déconseiller aussi : c’est ce jour-là que Gorbatchev avait choisi pour annoncer qu’il démissionnait de son poste de président de l’URSS, mais aujourd’hui, vous trouverez peu de gens qui profitent du 25 décembre pour commémorer la fin de l’Union Soviétique. Dans tous les cas, veillez à ce que la date que vous choisissez n’ait pas déjà une importance qui éclipsera la portée de votre geste : si le jour où vous agissez est un jour où, chaque année, tout le monde fait la fête quoi qu’il arrive, votre capacité à rester dans les mémoires sera pour le moins douteuse.

LA DATE SYMBOLIQUE

Relativement proche de la précédente, la date symbolique a l’avantage de donner une signification supplémentaire à votre acte : ce n’est pas un hasard si Hitler a choisi le 11 novembre, jour de l’armistice de 1918, pour envahir la zone « libre » de la France. De même, le 11 septembre est aussi le jour où, en 1973, la junte militaire dirigée par le général Pinochet prit le pouvoir au Chili avec l’appui de la CIA : les fomenteurs des attentats du 11 septembre 2001 l’ignoraient-ils ? Rien n’est moins sûr… La date symbolique est séduisante mais pose problème : d’une part, elle doit renvoyer à un événement antérieur qui est encore reconnu comme important par le grand public, mais d’autre part, cette importance ne doit pas être telle qu’elle éclipsera celle de vos propres actions ; il vous faut donc trouver la juste mesure entre les deux ou alors être tout à fait sûr que votre acte aura une portée qui éclipsera l’autre dans les mémoires – tout en prenant sens, évidemment, par rapport à cette dernière, sinon, ça ne vaut pas le coup de prendre une date symbolique. Et oui, ce n’est pas facile…

LA DATE MNÉMOTECHNIQUE

Appelée ainsi pour la bonne raison que son énoncé seul est une aide pour la mémoire : en d’autres termes, elle se retient facilement. Il faut, pour cela, jouer avec les nombres composant la date : jour, mois, année, les trois ensemble ou séparément. Un exemple probant est la bataille de Marignan, au cours de laquelle François Ier remporta sa première victoire sur les suisses qui défendaient le Milanais ; cet événement n’a finalement eu qu’une importance relative quant au destin de la France, mais le simple fait qu’elle ait eu lieu en 1515 suffit à ce qu’elle reste dans les mémoires malgré tout. En revanche et pour rester à l’époque de François Ier, peu de gens se souviennent de l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui a pourtant eu une importance capitale puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de l’édit royal par lequel le français est devenu langue officielle du royaume. Et pourquoi s’en souvient-on aussi peu si ce n’est parce que cette ordonnance date de 1539, année difficile à retenir s’il en est ? Une date peut aussi être mnémotechnique si elle permet de produire des interprétations numérologiques farfelues comme ce fut le cas pour le 11 septembre 2001 : si vous n’arrivez pas à en trouver une par vous-même, ne désespérez pas, les adeptes de la numérologie à trois francs six sous ne sont jamais à cours d’imagination et feront le travail pour vous a posteriori ; peut-être même pourront-ils, si vous en comptez dans votre entourage, vous aider à trouver la date avant même que vous ne fassiez quoi que ce soit.

Avant de vous laisser, un dernier conseil : surtout, ne vous sentez pas obligé de tenir compte de ces recommandations si vous cherchez à détruire la planète car, quand vous l’aurez fait, il n’y aura de toute façon plus personne pour commémorer l’événement. Même si vous ne voulez détruire qu’une partie de la planète, l’événement restera dans les mémoires quoi qu’il arrive, ne gaspillez donc pas vos efforts à chercher la date qui s’imposera d’elle-même dans les livres de l’histoire et gardez votre énergie pour soigner votre apocalypse : ne faites pas comme ce cochon (un comble pour un islamiste !) de Ben Laden qui, voulant à tout prix que ses attentats aient lieu le 11 septembre, a bâclé l’organisation, avec le résultat que l’on sait : un des avions s’est écrasé dans un champ en Pennsylvanie au lieu de s’écraser sur la Maison Blanche ! Encore heureux pour lui que les trois autres n’aient pas raté leur cible, parce que sinon, il n’aurait vraiment rien gagné, lui qui a fini au fond de l’eau… Allez, kenavo.

P.-S. : Il va de soi que je ne crois pas un mot de ce que j’ai dit des historiens en introduction. De toute façon, si vous avez pris cet article au sérieux, ne prenez pas le volant.

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