« L’Histoire des peuples est l’Histoire de la trahison de l’unité »
Antonin Artaud
On a souvent envie de rire des choses pas foncièrement comiques. C’est même la seule forme d’humour digne d’intérêt, loin devant les scatologistes, les chroniqueurs du quotidien bas de plafond ou les imitateurs qui n’arriveront jamais à la cheville de ceux qu’ils caricaturent. Ainsi, on pourra s’amuser, de préférence pas trop à proximité des catastrophistes et prophètes d’apocalypse qui se multiplient comme des champignons, du fait que l’ordre des pays qui s’effondrent sous les coups des agences de notations (et de leurs auxiliaires politiques) suit à peu près l’ordre des chutes des nations antiques. Ainsi, l’Irlande, la Grèce et l’Italie ont rejoint leurs ancêtres celtes, hélléniques et romains au Panthéon des civilisations dont l’avenir est derrière eux. En toute logique, les gallo-romains puis le Saint Empire romain germanique, c’est à dire la France et l’Allemagne, devraient suivre le même chemin qui aboutit à un long Moyen-Age obscurantiste (et je précise à la postérité que quand vous aurez besoin d’une Lorraine à consumer pour sauver la couronne, pensez à vérifier si Mme Morano est disponible).
Du coup, on a pas fini de se gondoler avec notre humour de cimetière, parce que l’Histoire se répète sur le mode tragique. On a beau s’indigner à contre-temps, et se geler devant les places boursières qu’on essaie vainement d’occuper de par le monde, et les plans de la dernière chance ont beau se succéder, l’espoir n’est pas franchement à portée de main. A titre d’exemple, la Grèce qui a servi de laboratoire aux attaques des requins financiers, n’a plus aucun service public en état de marche alors que les impôts flambent; les salaires ont été divisés par deux, la misère fait tranquillement son nid, et les violences se multiplient. Les observateurs, dans un élan d’hypocrisie qui confine au sublime, craignent que le pays bascule dans le fascisme ou l’anarchisme (et pas l’anarchie), comme si c’était la même chose. Dire que la plupart de ces crétins sortent de Sciences-Po, c’est à vous faire douter de l’utilité de l’éducation nationale. De fait, la Grèce compte pas mal de fachos dans son gouvernement, et les émeutiers n’y sont pour rien, c’est M. Papademos qui les a invité à mettre leurs rangers sous la table. D’autre part, avant de faire montre d’une culture historique digne de Valérie Rosso-Debord, autre blonde meurthe-et-mosellane qu’on serait ravi d’offrir aux Anglais et qui confond aussi la tunique brune et le drapeau noir, rappelons aux « observateurs » que ce ne sont ni le FMI ni Merkozy qui ont sauvé la Catalogne de la famine pendant la guerre d’Espagne. Non mais!
On a aussi le droit de se demander si l’alphabet cyrillique ne porterait pas un peu malheur. En Russie, Poutine, l’autoproclamé « plus pur démocrate du monde », a encore une fois confisqué les élections législatives. Il y a peu de chances qu’il connaisse le même sort que Kadhafi, puisqu’il alimente en gaz la majeure partie de l’Europe, et notamment l’Allemagne. L’ex-chancelier Schröder est d’ailleurs membre du conseil d’administration de Gazprom, et sauf erreur de ma part, il n’a pas remis sa démission dans un élan d’indignation suite à cette parodie de scrutin électoral. Quel est le rapport avec la crise grecque, me direz-vous, il est très simple: bien avant que Standard&Poor’s ne se prenne pour l’arbitre de l’orthodoxie bancaire, la Russie est le premier pays a avoir servi de laboratoire aux libéraux intégristes qui ne prennent leur pied qu’en équilibre budgétaire, et ce dès les années 90. Privatisations forcenées, paupérisation massive de la population, montée en puissance de l’oligarchie pétro-gazière et de la mafia, le tout cuisiné par un pouvoir autoritaire, toutes ces joyeuses mesures ont conduit à un nationalisme effréné qui font aujourd’hui du pays de Tolstoï la riante contrée que l’on connaît, et qui dresse un réjouissant tableau de ce qui nous attend.
Maintenant qu’on a bien rigolé, revenons à nos histoires d’éternel retour. Dans la mythologie grecque, Europe était une jeune fille enlevée, violée et abandonnée par Zeus, car Sarkozy n’était pas encore là pour donner la chasse aux récidivistes. Plus tard, lorsque qu’on s’accorda à donner le nom de la pauvresse à la communauté de pays du continent, on la revêtit des couleurs de la vierge (le drapeau bleu aux douze étoiles) pour recoudre son hymen à la va-vite et lui redonner un semblant de dignité. Mais les sévices n’ont jamais cessé à l’encontre de la jouvencelle, pas seulement en ces temps troublés où Marine Le Pen et Mélanchon, l’une par nationalisme haineux, l’autre par « patriotisme social », voudraient se retirer d’Europe, mais seulement pour mieux l’achever. Il y a longtemps que sur tous les tons, nos gouvernants profitent de l’éloignement de l’institution de leur base électorale, et ne cessent de clamer « c’est la faute à Bruxelles » pour masquer leur incompétence ou leur hypocrisie, préférant payer de lourdes amendes (qui creusent la dette publique sans l’aide des assistés) plutôt que d’appliquer règlements et directives communautaires, avec le même mépris qu’un maire de Neuilly pour les lois sur le logement social.
Et actuellement, le duo franco-allemand voudrait réformer l’Union à marche forcée, un peu comme si le président de l’Auvergne et de la Bourgogne décidaient à eux seuls de l’avenir de la France. Or l’Union Européenne n’y peut pas grand-chose: dans toute bonne démocratie, les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires sont séparés et se contrôlent mutuellement. Dans l’Union, le pouvoir exécutif est à la fois diffus (entre Conseil, Commission, Parlement, et chefs d’Etat et ministres) et incontrôlable. Le Parlement européen, qui a au moins la légitimité d’être élu, est curieusement sous-représenté dans les « sommets de la dernière chance ». Avant que d’accuser la méchante UE ou de remettre en question son existence, il serait donc de bon ton de se poser la question de son instrumentalisation par les pouvoirs nationaux qui refusent de se délester de la moindre parcelle de leurs prérogatives pour construire une vraie Europe politique et fédérale, qui reste le meilleur rempart contre le nationalisme belliqueux qui se répand partout où la misère élit domicile.
Dans un prochain épisode, quoique l’on ne goûte que modérément ce genre d’humour, on rira quand même bien si Marine Le Pen glisse sur un peau de banane avant de tenir son meeting à Metz dans quelques heures.