Sortons du gaullisme

 

 » Un prêtre, quel que soit le culte dont il se prétend le représentant, est un charlatan ou un illuminé, un illuminé n’étant jamais qu’un charlatan qui s’ignore lui-même »

Professeur Blequin.

 

Il y a des jours où on devrait rester au lit. Alors que j’allumais mon poste pour m’extasier sur la nullité absolue des programmes (c’est mon loisir préféré le dimanche matin), je fus assez surpris de voir un reportage sur les momies sur une chaîne  bien connue pour sa rigueur dans le traitement de l’info et de l’orthographe. Après six cafés, je m’aperçus qu’ils s’agissait en fait d’un dialogue entre Michèle Alliot-Marie, l’exportatrice de savoir-faire français, et Jean Pierre Elkabbach, le journaliste le plus subversif du paysage audiovisuel. La conversation roulait sur le gaullisme supposé des candidats à la présidentielle qui n’ont ni talonnettes ni rendez-vous tous les trois jours avec Angela Merkel.

On l’a souvent repété, mais la politique se construit toujours sur une mythologie, la riche histoire de notre vieille monarchie (républicaine ou pas) se présentant comme une généreuse boîte à outils autorisant les syncrétismes les plus audacieux. Tous les candidats à la présidentielle se muent alors en prophètes détenteurs d’une vérité absolue, et content la geste d’un homme ou d’une femme qui a rencontré son destin, comme d’autres rencontrent Dieu dans un buisson (version biblique) ou dans un centre de désintoxication (version Johnny Cash). On acquiert une « posture présidentielle » comme on rentre dans les ordres, sous l’égide d’un saint-patron consensuel pour ne pas affoler les moutons. Or, comme l’a noté MAM, le saint-patron que tout le monde s’arrache, aussi bien à droite qu’à gauche, c’est Charles de Gaulle. Vais-je pour une fois reconnaître le prestige d’une figure quasi-incontestée de la République, et rater l’occasion de démythifier le vieux chêne qui ne nous a laissé que des glands? L’esprit des fêtes de fin d’années, où tout n’est qu’amour et dinde fourrée, va t-il m’adoucir au point de me ranger à l’oecuménisme républicain? Certes non. On voit que vous n’avez jamais été réveillé par Michèle Alliot-Marie.

Comme son nom l’indique, Charles de Gaulle était un général. Né en 1890, il aura connu deux guerres mondiales, mais comme tous les généraux, il est mort dans son lit à un âge avancé. Pendant que Jean Moulin se faisait cuisiner par le savoir-faire nazi, De Gaulle résistait à Londres, ce qui est très méritoire quand on connaît le climat et la gastronomie de nos amis d’Outre-Manche. Entre les deux guerres, il a écrit nombre de livres sur la stratégie guerrière, et s’est brouillé avec Philippe Pétain au sujet d’une préface. De tradition monarchiste et chrétienne, il se défiait du parlementarisme mais ne dédaignait pas fréquenter des socialistes ( des socialistes autoritaires, pas des anars bien sûr) tout en citant l’Italie mussolinienne comme modèle. De ce point de vue, on ne pourra pas s’étonner du flou doctrinal que tous ses successeurs entretiendront, à l’image d’un Chirac qui signe l’appel de Stockholm malgré le bruit et l’odeur.

A l’orée de la seconde guerre mondiale, il lance le fameux appel du 18 juin que devait à l’origine prononcer le ministre de l’Intérieur Mandel, mais Churchill trouvait le texte original trop dur pour le gouvernement français. Las du fish and chips, de Gaulle part à Alger, où il contribue à fonder un gouvernement provisoire, puis participe au programme du Conseil National de la Résistance, inspiré notamment des idées du SFIO, du parti communiste et du MRP, que le très gaulliste Sarkozy s’attache à détricoter méthodiquement depuis 2007. Puis il fonde le RPF (rassemblement du peuple français), où il prône un pouvoir exécutif fort, un colonialisme forcené, et l’anti-communisme primaire. Après quelques péripéties électorales, il se retire à Colombey les Deux Eglises et comme Saint Antoine, entame une traversée du désert.

Puis en 1958, il est rappelé par René Coty pour remédier à l’instabilité gouvernementale. La constitution de 1958 est écrite sur mesure pour le Général, l’équilibre entre l’exécutif et le législatif étant très relativisé par la position du Sénat taillé pour ne jamais devenir communiste. Toute la politique actuelle est marquée par cet exercice du pouvoir: l’Europe des nations plutôt que l’Europe fédérale (et le double refus d’intégrer le Royaume-Uni à la CEE malgré le séjour anglais de Charlie dans les années 40), la nucléarisation qui assure l’indépendance énergétique par le pillage des ressources des colonies, le bétonnage pour relancer l’économie, une « certaine idée de la France ». Avant que Sarkozy ne libère la Libye à mains nues, de Gaulle a libéré tout ce qui fut l’empire colonial à son corps défendant. Avant qu’Hortefeux, Besson et Guéant n’expulsent à tout-va, Maurice Papon prouva que le savoir-faire de la police est ancré dans les traditions depuis belle lurette. Avant la crise et l’insurrection qui vient (enfin on l’espère), De Gaulle a préféré se retirer à Baden-Baden pour méditer sur l’opportunité d’envoyer l’armée nettoyer la chienlit soixante-huitarde. Puis le référendum du 27 avril 1969 aura raison de lui, et il prendra une retraite bien méritée d’abord en Irlande, puis chez lui où il s’effondrera en faisant une réussite, ce qui devrait inquiéter tous ceux qui jouent au solitaire sur leurs heures de bureau. En bref, descendons De Gaulle de son piédestal et accordons nous sur le fait qu’il était un homme politique comme les autres, avec ses opinions, ses contradictions, son opportunisme et son égo qui n’est pas pour rien dans sa carrière, et gardons à l’esprit que le « grand Charles » n’est sans doute pas pour rien dans l’état actuel de la France et de son personnel politique.

De nos jours, la cohabitation et le passage du Sénat au PS attestent que la vision maurassienne de la vie politique selon De Gaulle est dépassée, d’autant plus que la France n’a plus ni les moyens ni aucun intérêt à se la jouer grande puissance (de même, on comprend mal qu’un candidat comme Hollande prétende sans trembler s’inspirer à la fois du Général et de mai 68 au lieu de s’inspirer de la pléthore de théoriciens contemporains et créatifs). En bref, arrêtons de confondre le Président de la République et le Père Noël, et sortons du gaullisme comme du nucléaire.

Dans un prochain épisode, nous nous gausserons aussi des anarchistes, qui quoique ne revendiquant ni dieu ni maître, ont aussi leur petit panthéon de saints et de martyrs qu’ils révèrent avec la foi du nouveau communiant.

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