Si vous parlez à un riche n’ayant pas abdiqué toute probité intellectuelle de l’amélioration du sort de la classe ouvrière, vous obtiendrez le plus souvent une réponse du type suivant : « Nous savons bien qu’il n’est pas agréable d’être pauvre ; en fait, il s’agit d’un état si éloigné du nôtre qu’il nous arrive d’éprouver une sorte de délicieux pincement au cœur à l’idée de tout ce que la pauvreté peut avoir de pénible. Mais ne comptez pas sur nous pour faire quoi que ce soit à cet égard. Nous vous plaignons – vous, les classes inférieures – exactement comme nous plaignons un chat victime de la gale, mais nous lutterons de toutes nos forces contre toute amélioration de votre condition. Il nous paraît que vous êtes très bien où vous êtes. L’état des choses présent nous convient et nous n’avons nullement l’intention de vous accorder la liberté, cette liberté ne se traduirait-elle que par une heure de loisir de plus par jour. Ainsi donc, chers frères, puisqu’il faut que vous suiez pour payer nos voyages en Italie, suez bien et fichez nous la paix. »
George Orwell
Ca y est, la France, ce phare avancé de la civilisation qui projette sa lumière par delà les confins de l’univers, n’a plus que des candidats de gauche. Claude Guéant, vexé d’avoir été quasiment traité de nazi par un député antillais, se venge sur ses amis du Front National, en accusant le parti de la « France de souche » d’être national et, ce qui est pis que pendre, socialiste. Son patron Nicolas Sarkozy, vexé d’être boudé par les électeurs racistes, se prend pour Lénine et est à deux doigts de mettre le drapeau noir au-dessus de la marmite.
Agitant ses petits poings serrés, il s’élève autant que le lui permettent ses talonettes téléscopiques contre la finance assoiffée de sang de prolo, contre les relations de François Hollande avec les bourgeois Pigasse et Bergé (patrons du Monde), et contre la connivence de la compagne d’icelui avec le terrible groupe Bolloré. Ce sale réac de Bolloré, avec son yacht de social-traître et à travers son empire audiovisuel constitué des puissantes chaînes Direct 8 et Direct Star, ne cesse de terroriser la ménagère en mettant de l’insécurité et de la musique pour portugaises ensablées partout, et en plus il fabrique du papier à cigarettes qui n’est sûrement pas pour rien dans l’omniprésence des dealers en banlieue et aux portes des écoles. S’il n’y avait pas des garde-fous garants de l’équité des débats et de l’indépendance des journalistes comme TF1, le Figaro, l’ensemble des médias du groupe Lagardère, et toute la presse quotidienne régionale muselée par la publicité, Dieu seul sait entre les mains de quel tyran nous serions à cette heure. Si Guéant ne surveillait pas lui-même les journalistes, comment saurions- nous quel ennemi vicelard nous menace dans et au bord de nos frontières? Et si le ministère de l’Intérieur n’avait pas le secret-défense, comment Bouygues pourrait créer les emplois qui remplissent notre écuelle quotidienne? Pouf pouf.
Sérieusement, personne ne croit que le tout petit père des peuples, après cinq ans de pouvoir aux frontières de l’autisme, va se muer en chantre de la démocratie participative et des coopératives ouvrières. Il en a même apporté la preuve aujourd’hui-même. Sarkozy veut bien lutter contre le ticket de métro à 4 euros, et il veut bien laisser le commun des péquenots décider si les chômeurs sont des feignasses alccoliques qui métastasent la société ou des feignasses éligibles à la charité publique, mais le référendum c’est comme le Nutella et la vodka red-bull, il faut y aller avec modération. Après avoir fait son crottin sur le non au projet de constitution européenne, Nico-le-Rouge refuse désormais de soumettre l’adoption de nouveaux traités au plébiscite, au motif que ce serait « trop technique ». Ben pourquoi on vote si on est trop con pour comprendre? Pour le plaisir de voir les pommettes plastifiées de Carlita, ou pour la joie de suivre la croissance de la petite Giulia pendant cinq ans de plus? Certes, tout le monde ne maîtrise pas à la perfection les subtilités de l’algotrading, du credit default swap et des asset backed securities, et quoi que nul ne soit censé ignorer la loi, personne ne connaît par coeur la jurisprudence de la Cour de cassation. Et Sarko encore moins qu’un autre: encore candidat en 2007, il voulait favoriser les crédits revolving qui ont entraîné la fameuse crise des subprimes. Et en tant qu’avocat, il n’a bossé (et pas bien longtemps) que pour des pontes de la finance, dont le fameux laboratoire Servier. Oui, je sais, il a changé, et mon cul c’est du poulet fermier élevé en plein air au bon grain sans OGM.
Bref, le petit Timonier garde la truelle et le ciment de la construction européenne parce qu’il est plus intelligent que nous. Et j’aimerais bien qu’il m’explique deux ou trois trucs, tant il est vrai qu’à force de picoler je perds mes neurones aussi vite que Nadine Morano part en sucette quand on lui sort un mot de plus de deux syllabes. D’abord,comment est-il possible que la Chine trouve moyen de délocaliser des usines en Europe? Est-ce une manière d’aumône pour nos industries en déshérence ou y a t-il des citoyens européens encore plus sous-payés que des ouvriers chinois? Ensuite, on a bien compris que les plans de rigueur successifs visaient à comprimer le coût du travail pour que nos patrons restent chez nous au lieu de délocaliser en Chine puis en Bulgarie. Cependant, j’apprends aujourd’hui qu’une compagnie aérienne française recrute des pilotes grecs (ou propose aux pilotes français d’aller se faire voir chez les mêmes) parce qu’ils coûtent moins chers. Dois-je comprendre qu’on a asséché la Grèce pour créer du dumping social à l’intérieur de la zone euro, ou alors est-ce une simple coïncidence que mon esprit paresseux s’est empressé de distordre?
En fin de compte, comme mes concitoyens, la destruction européenne (parce que je ne vois pas très bien ce qu’on construit encore d’européen à part des traités liberticides et des manifestations), je n’y entrave que couic, comme la politique en général, et je ne demande même pas d’explications. Moi vouloir dormir, manger, satisfaire besoin naturels, lire, et jouer à tous les jeux que j’aime. Et je comprends bien que Nicolas c’est pas son délire, ce qui suffit à me le rendre odieux.