« Mon pire cauchemar serait que mes enfants me disent un jour: papa je suis végétarien. Dans ce cas, je les assiérais sur la clôture et je les électrocuterais ».
Gordon Ramsay
Retournons dans la grotte aux livres en attente. Sur le haut de la pile, se trouve un petit ouvrage vert intitulé « Faut-il manger les animaux? », de Jonathan Safran Foer. Bien que l’auteur ait un prénom absolument magnifique, j’étais un peu réticent à l’idée de dépenser les précieux euros qui récompensent ma résistance à l’ennui morbide en milieu professionnel, car il passe pour la nouvelle starlette littéraire de Brooklyn, on vient même d’adapter son deuxième ouvrage, « Incroyablement fort et extrêmement près » au cinéma avec Tom Hanks et Sandra Bullock, ce qui constitue autant de raison de se défier et de retourner boire un coup avec Bukowski ou Miller. Il y a vraiment trop de bons livres à lire pour se casser les noix et pour s’abîmer les yeux sur les médiocres, même si le sujet me touche de près.
Et bien finalement, j’ai bien fait d’être curieux et dépensier. Jonathan Safran Foer, qui a vraiment un très beau prénom, livre une enquête richement documentée sur la consommation des animaux, en partant des considérations éthiques qui poussent la plupart des gens à être carnivores et à tolérer que quelques milliards de bestioles se fassent torturer quotidiennement. Comme notre ami est romancier, il a également le bon goût de ne pas présenter son récit comme une compilation de statistiques aussi lisibles que l’annuaire du Bas-Rhin, mais précisément, comme un récit.
Avant de chercher à comprendre ce qui se passe dans le ventre et dans les artères pleines de choléstérol du carnivore, il faut comprendre ce qui se passe dans sa tête, et dans son inconscient. Se souvenant de ses repas d’enfance, l’auteur dont le prénom ne cesse de m’émerveiller, observe le rapport quasi mystique que sa grand-mère entretient avec la nourriture. L’ancêtre est une réfugiée juive ukrainienne qui a connu la famine en tentant d’échapper aux nazis, qui a parcouru des kilomètres l’estomac creux, sans savoir quand serait son prochain repas (et même s’il y en aurait un), et qui cultive depuis la manie d’accumuler les vivres largement au-delà de ses besoins. Pour elle, un enfant en bonne santé est un enfant obèse, la nourriture possède toutes les vertus et est le remède à tous les maux (n’importe quelle personne ayant une grand-mère dotée d’un four connaît ce phénomène). Pour sa génération, même avant la guerre, le repas était un rituel, un moment d’échange et de paroles, car la famine était toujours possible et envisageable, et parce que la société d’abondance n’avait pas encore tout transformé en loisir consommable.
La deuxième partie du raisonnement sur l’aspect culturel de la consommation de viande consiste à se demander pourquoi on mange certains animaux et pas d’autres. Peu d’entres nous consentiraient par exemple à manger le chien du foyer. Foer, avec un certain sens de la provocation, avance le fait que manger des chiens pourrait résoudre la faim dans le monde, tant les canidés sont répandus sur tous les continents, d’autant plus qu’aux Etats-Unis, on euthanasie chaque année deux fois plus de chiens qu’on en adopte, ce qui constitue une ineffable barbarie, mais d’un point de vue utilitariste, un gâchis énorme. Pas question de bouffer Médor en sauce bien sûr, mais il apparaît évident que le choix du gibier consommé correspond autant à contexte culturel que géographique.
Vient ensuite le chapitre le plus conséquent du livre, qui traite des conditions dans lesquelles les animaux sont élevés puis abattus. Depuis l’essor de l’industrialisation, la tendance de l’Homme à réfuter son animalité et à se prendre pour une espèce supérieure (l’anthropocentrisme) s’est accélérée au point de considérer le reste du règle animal comme une matière première inanimée. La nécessité de produire à un coût toujours plus bas a incité les industriels à enfermer les animaux dans des espaces de plus en plus restreints, provoquant blessures, déformations, sévices (comme la cautérisation des becs des poussins ou la manipulation de l’éclairage pour faire croire aux pondeuses que c’est le printemps), à pratiquer des mutations génétiques, à envoyer à l’incinérateur des volailles de 39 jours car elles ne seront plus productives avant quelques semaines et ne pondent plus à flux tendus, à gaver d’antibiotiques des animaux rendus malades précisément par leurs conditions d’élevage, j’en passe et de bien plus immondes. De même, les pêcheurs se sont appropriés les technique de repérage de l’armée pour épuiser les ressources alieutiques le plus rapidement possible. Foer donne un exemple extrêmement frappant: quand vous mangez une assiette de sushis, l’ensemble des animaux tués pour pêcher votre repas occuperait une table d’un mètre cinquante de diamètre.
Le problème ne se pose donc pas sous la forme sentimentaliste et charitable que pratiquent malheureusement encore trop de fervents (et néanmoins méritants) défenseurs de la cause animale, mais bien en termes de sauvegarde de l’environnement et de santé publique. A titre d’exemple, l’industrie de la viande, entre le traitement, les manipulations chimiques, le méthane rejeté, les incinérations et le transport, pollue encore plus que la bagnole, l’objet le plus con qu’on ait jamais inventé. D’autre part, à moins que vous ne connaissiez parfaitement la provenance de votre viande et ses conditions d’élevage, il est à parier que vous mangez un animal malade soit de promiscuité soit des nombreux antibiotiques et compléments alimentaires qu’on lui aura donné pour qu’il atteigne sa taille maximale le plus rapidement possible (un peu comme si on gavait un enfant d’hormones et de fast-food pour qu’il pèse 150 kilos à 10 ans). Enfin, la prochaine fois que Roselyne Bachelot essaiera de vous fourguer un vaccin contre la grippe H1N1 ou H1N5, vous serez en droit de lui dire que toutes les grippes se développent dans des élevages porcins et aviaires, les cochons et les oiseaux confinés et drogués constituant un terreau idéal pour toutes les mutations génétiques de la grippe transmissible à l’Homme, et que ce serait un bon début d’assainir ces foyers de contamination en étant plus regardant sur les conditions de détention des animaux.
Quoique je n’ai jamais pratiqué le prosélytisme pour le végétarisme, il serait quand même bon de comprendre que manger moins (ou pas) de viande, c’est aussi un défi écologique majeur. Et que la polémique actuelle sur la viande halal n’est qu’une infime partie démagogiquement traitée d’un problème plus global qu’aucun candidat, à ma connaisance, n’a daigné aborder. Et bon appétit bien sûr!