Et voila. It’s that time of year again. Les soldes s’affichent dans de grands élans quasi-pornographiques sur les vitrines des boutiques. C’est la période maudite entre toutes où la rue Serpenoise devient totalement impraticable, assaillie qu’elle est par des hordes de fashionistas (mâles et femelles) en quête de l’affaire ultime sans laquelle la vie aurait moins de goût, sous les regards dépités des conjoint(e)s qui clopent sans discontinuer à l’entrée du magasin. Pour ceux qui ne connaissent pas Metz, la rue Serpenoise est l’antique portion de la via scarponensis qui reliait Trêves et Lyon, mais n’est plus aujourd’hui qu’une manière de tout petits Champs Elysées où s’alignent piteusement les même boutiques de fringues qu’on trouve partout ailleurs.
C’est une sorte de grand sas de vulgarité mercantile qui mène en droite ligne à la jolie rue Taison où au moins on peut acheter des livres sans courir le risque de se faire déchirer le tympan par une jouvencelle hystérique qui a plus appris sur les fractions pendant les rabais qu’en dix ans de scolarité. Peut-être forcé-je un peu le trait, mais on n’est pas la pour faire dans l’impressionisme.
Lorsqu’on parvient enfin à s’extraire de la rue possédée par la fièvre acheteuse, où l’on ne passait que forcé par la contingence, on n’est pas au bout de ses peines. On est tranquille, on est peinard, accoudé au comptoir, au trottoir, au séchoir, où à n’importe quoi où l’on peut mettre le coude, et la chaleur écrasante inspire des hallucinations dignes d’un film de zombies de George Romero, où les malades hantent les artères de la ville avec douze sacs dans chaque main.Et encore, c’est la crise.
Vient le moment tant redouté, où fatalement quelqu’un lancera LA phrase qu’on ne veut pas entendre, celle qui indique que la maladie a dépassé le stade de l’incubation pour s’attaquer aux facultés cognitives et amorcer la lente chute de la victime jusqu’à la mort cérébrale: « t’as vu ma nouvelle robe? Moins quarante pour cent chez Machin! ». J’en frissonne encore. Non, très chère, je n’ai pas remarqué ta nouvelle robe, je m’en bats les steacks.
Eussé-je posé mon regard sur toi, j’aurais sans doute reluqué tes courbes que nul mathématicien ne pourra jamais réduire à une fonction. Et pourtant une belle fonction f(x), avec son f bien balancé et son x coincé dans ses parenthèses lubriques, ça ne me laisse pas de bois, surtout avec une belle asymptote. Si je t’avais remarqué avant, mon amie, ma soeur, sans soute me serais-je plus attardé sur la chair de ton cou et de ton épaule rendue légèrement brillante par le climat tropical chaud et humide qui nous accable, et comme John Cook à la conquête du Pacifique, j’aurais cartographié mentalement les endroits où l’épiderme est le plus doux et le plus accueillant.
Mieux encore, si tu m’avais adressé la parole pour me demander n’importe quoi d’autre, une clope, l’adresse d’un toiletteur pour chien, mon opinion sur les yaourts au bifidus actif, je t’aurais répondu de bonne grâce, et c’eut pû être le début d’une grande amitié, on aurait pu deviser gaiement de Chopin et de Dimebag Darell, allongés dans l’herbe sous un ciel étoilé, on aurait pu discuter de la cosmopoésie et du tantrisme autour d’une bouteille de vin, je t’aurais appris à jouer au jeu de go, et tu m’aurais appris à me coiffer, que sais-je encore….mais non, tu m’as demandé si j’avais remarqué ta robe et j’ai bêtement dis non. On n’est pas encore amis que tu me déçois déjà.
Mais il y a plus grave que les soldes, après tout Didier Wampas aussi s’habille chez Pimkie. Il y a les infames parasites du commerce, la pire espèce de geignards de la création, à faire passer François Fillon le sinistre ex-ministre pour le quatrième Marx Brother. Il pleut: les voilà qui prenne un Xanax parce que les méchants clients rechignent à se mouiller pour acheter leur camelote. Il fait trop chaud: ça ne va pas non plus parce qu’on n’a pas les frusques idéales en magasins. C’est la crise: bon les gens vont venir parce que c’est le seul moment de l’année où ils en ont les moyens, mais on craint pour l’exercice global. C’est pas la crise: on a fait des records de vente, mais ce serait mieux si on pouvait faire des soldes quand on a envie, parce que le libéralisme, c’est le flux tendu, ou la poubelle. Mais pendez-vous, pendez-vous, allez mourir au loin! Ce ne sont pas les bénéficiaires des aides sociales les profiteurs, c’est vous vous qui polluez nos centre-ville avec vos magasins à vomir où les lumières sont perpétuellement allumées, vous et vos petites colères d’épicier quand on tente de virer les bagnoles dudit centre, vous qui organisez des flash-mobs pour attardés mentaux au centre Saint-Jacques, sans jamais nous fournir aussi l’ecstasy pour nous permettre de supporter la soupe fadasse de David Guetta!
Pendant ce temps, François Normallande s’acoquine avec la CGPME, le syndicat des patrons de petites-boîtes, pour la faire à l’envers à Laurence Parisot qui a léché les talonettes de Sarko jusqu’au dernier moment. Il continue de traverser l’Europe et le monde pour vendre sa politique de croissance (et donc sa consommation à outrance et une rue Serpenoise blindée ad vitam aeternam) avec un petit crochet au sommet de Rio, alors même qu’il venait de céder devant Shell. Amaigri mais gonflé comme pas deux le président normal. Bref, la pulsion de mort du capitalisme a encore de beaux jours devant elle.
Et vu la levée de boucliers contre la modeste augmentation du SMIC, qui en réalité n’est pas une augmentation mais un rattrapage de l’augmentation légale annuelle que Sarko avait bloquée, les petits épiciers de la fringue ne devraient pas trop mal dormir à l’issue de la saison des soldes, parce que les soldes sur les salariés, c’est toute l’année. Poujade not dead.