Je suis peut-être un peu paranoïaque, mais en ce moment j’ai la vague impression que les sombres années quarante ne sont pas tout à fait finies. Impossible de tourner une page dans un journal sans qu’on nous parle d’un nazi ayant exercé pendant la deuxième guerre mondiale où s’échauffant sur les gauchistes et les immigrés en attendant la prochaine.
Mis à part le fascisme traditionnel et institutionnalisé qui fait école un peu partout sur les ruines des usines, bien fertilisé par les fumiers de la droite « républicaine » qui dans notre contrée ont délaissé le très cosmétique gaullisme social pour le sarkozysme au pas de l’oie et par la gauche qui a du mal à s’assumer comme telle, la résurgence des boules à zéro suit tranquillement son chemin dans toute l’Europe. Ca a commencé à peu près quand le dernier gouvernement hongrois a tenté de réhabiliter une vieille gloire locale du nazisme, sans que personne ne s’en offusque trop bruyamment, après tout ce sont les descendants des Huns, ils sont un peu chahuteurs et ils ont un folklore un peu viril, mais eux au moins n’ont pas déficit budgétaire.
Pas comme ces salauds de Grecs, qui non contents de mordre à belles dents dans la généreuse mamelle européenne au risque de la laisser exsangue, ont failli donner le pouvoir à des gauchistes. Mais qui ont quand même voté en nombre pour les néonazis d’Aube Dorée, qui se défendent de pratiquer l’onanisme devant des posters de tonton Adolf, mais qui aiment quand même bien marcher en rangs serrés et en levant bien la jambe et le bras.
Et depuis quelques jours, chez nous, les infos relatives aux adeptes (présumés ou avérés) de la Croix de Fer et des clubs identitaires se multiplient encore plus vite que les plans sociaux chez PSA. En pagaille: Marion Maréchal Le Pen et Gilbert Collard entrent à l’Assemblée Nationale; Gilbert Collard se félicite du fait que Marine Le Pen ait éloigné les crânes rasés du FN, (il ne doit pas aller souvent aux réunions du Parti); Jean-Marie Le Pen traîte sa fille de « petite bourgeoise » et défend les crânes rasés; le Front National assigne Madonna en justice parce que la mamie de la pop bas de gamme représente Fifille avec une croix gammée juste avant une image d’Hitler; le journal anglais The Sun retrouve en Hongrie une vieille baderne de 97 ans qui a envoyé des milliers de gens à la mort; des tombes allemandes sont profanées en marge de la célébration de l’amitié franco-allemande; Stéphane Hessel, qu’on a connu mieux inspiré, discute des inconvénients comparés des occupations nazies en France et israéliennes en Palestine; j’en oublie sans doute, mais en ce moment les nazis sont vraiment en tête d’affiche.
Justement, en parlant d’oubli: un sondage CSA commandé par l’Union des Etudiants Juifs de France démontrerait que plus de la moitié des jeunes ignore ce que fut la Rafle du Vel d’Hiv. Le chiffre est énorme, mais comme souvent quand la presse relaie un sondage, elle s’abstient fermement de faire preuve du moindre sens critique. Passons outre les outils statistiques d’analyse, qui comme lors d’une élection présidentielle, relèvent d’une méthode scientifique proche de l’estimation de la vitesse du vent au doigt mouillé. Nombre de sondés affirment « n’avoir jamais entendu parler » du Vel d’Hiv. N’en ont-ils vraiment jamais entendu parler, ou ont-ils simplement oublié ce passage du programme scolaire comme la plus grande partie de ce qu’on ingère à marche forcée à l’école, ce qui n’est pas tout à fait la même chose? Vous allez voir que ça va être la faute de l’Education Nationale, cette alliée objective de la réaction, ou des parents indignes qui préfèrent rester des heures au bureau plutôt que d’éduquer leurs enfants. Encore faut-il que les parents, lorsqu’ils n’ont pas abdiqué toute capacité de résistance, connaissent la Rafle du Vel d’Hiv autrement que par son nom.
Autre élément soulevé par le sondage: la plus grande partie du cheptel interrogé ignore le rôle que joua la police française dans ce drame. Tu m’étonnes, John. Demandez à Maurice Rajsfus s’il vit confortablement de ses droits d’auteur après tous les livres qu’il a publiés sur le sujet. Et demandez-vous pourquoi l’Etat français a mis si longtemps à reconnaître la responsabilité des pandores, par la voix de Jacques Chirac qui n’a finalement pas fait que des conneries. Enfin, après douze années ou la France fut bien plus bleue que blanche et rouge par la grâce de Sarkozy qui resta ministre de l’Intérieur même à l’Elysée, la police serait-elle moins obéissante aujourd’hui en de pareilles circonstances (et pas que la police d’ailleurs: regardez « le Chagrin et la Pitié » diffusé sur Arte en ce moment, le mythe de la France ataviquement résistante en prend un coup)?
Enfin, toujours dans le même panel, plus de 85% des sondés reconnaissent l’importance du devoir de mémoire de la Shoah et la nécessité de tirer les leçons de l’Histoire, ce qui devrait amener à penser que les jeunes mis en cause ne sont pas totalement ignorants de ce que fut la barbarie nazie, même si la rafle du Vel d’Hiv’ fut la plus grande opération de déportation organisée sur le sol français et qu’il est toujours bon de la rappeler aux oublieux. Je ne doute pas des bonnes intentions de l’UEJF qui a commandé cette étude, mais le sondage est une méthode trop parcellaire et sans aucune vertu pédagogique.
Et puisque l’UEJF a été fondée par des résistants (et qu’une partie de ses membres a activement participé à Mai 68), il serait de bon ton de remettre au goût du jour les valeurs de résistance, avant même que la barbarie ne reprenne le pouvoir: résistance au système financier qui a créé les conditions d’une crise économique sur laquelle fleurissent les nationalismes et les fascismes les plus immondes; défiance à l’endroit des défilés militaires sur les Champs Elysées comme à Gaza et partout ailleurs, où l’on nous agite du drapeau à nous en rendre malade; résistance au travail qui asservit, qui abrutit, et auquel on nous astreint pour gagner une croûte dégueulasse; résistance aux politiques d’immigration et de discrimination qui ont toujours cours de nos jours; et résistance face aux intégrismes de toutes les chapelles qui n’avaient rien demandé dans cette chronique, mais ça fait toujours du bien de les remettre à leur place.
D’ailleurs, on rappelle à M. Hollande qu’on attend toujours l’application de la loi de 1905 sur la laïcité en Alsace et en Moselle. Voilà bien un lot de fonctionnaires qu’on ne vous reprochera pas de ne pas conserver.