Modeste satire sociétale où l’auteur, sous couvert d’occuper utilement ses insomnies, persiste à empiéter sur les prérogatives du Vatican et de la Comédie Française, dans l’espoir de ne pas mourir de froid pendant l’Inquisition qui arrive
ACTE II SCÈNE I
(salon personnel de Lucifer. Avachi dans un fauteuil, celui-ci regarde un match de football à la télévision avec des collègues)
LUCIFER
Cornecul, crotte de bique et boyau de chat, friture à l’huile
De langues de sorcières galeuses, la peste soit de ces créatures débiles
Infoutues de tirer un corner correctement,
Et qui font des signes de croix perpétuellement,
J’enrage, je peste, je tempête, je vitupère sans cesse
Depuis que je supporte le FC Metz !
(Le téléphone sonne)
Qui m’appelle sur mon téléphone portable ?
Si je n’étais pas en grève, je te dirais bien d’aller au diable !
Peut-être est-ce le Vieux Barbon qui vient aux nouvelles ?
Zut, c’est le numéro de Gabriel !
(L’archange apparaît dans la pièce)
GABRIEL
Je suis celui qui apporte de bonnes nouvelles, la main gauche de Dieu
LUCIFER
Merci, mais je t’avais reconnu, mon vieux
Je suis quand même un ancien de la Maison
Et je n’ai pas encore perdu la raison
C’est même moi qui l’ait inventée.
GABRIEL
Comme toujours tu ne cesses de te la raconter !
C’était déjà pénible au commencement des temps
Et c’est pour ça qu’on t’a viré, Satan.
En attendant, tu pourrais décrocher quand on t’appelle !
LUCIFER
Pourquoi ? Crains-tu de te froisser tes petites ailes,
Pauvre petite chose fragile et pleine de zèle,
En daignant rendre visite à un ancien confrère ?
Prends donc un siège. Je te sers un verre ?
GABRIEL
Inutile, ma communication sera très succinte.
LUCIFER
Alors quoi ? Serais-je donc enceinte ?
Aurais-tu eu le cœur de m’annoncer sur mon téléphone portable
Que je vais accoucher dans une étable ?
GABRIEL
Garde tes sarcasmes et ravale tes blasphèmes, Lucifer :
Dieu, en son infinie bonté, a bien voulu considérer ton affaire.
Il est disposé à ouvrir des négociations
Et à organiser un Grenelle de la damnation.
LUCIFER
Vois-tu, Gabriel, je dois décliner cette invitation
Je ne marche pas dans cette histoire d’annonciation
Je sens bien venir la supercherie, et je suis fort marri
Qu’on me traite comme une gourgandine de Vierge Marie.
Je te prie de prendre congé, espèce de charlatan.
Pars, je veux regarder la deuxième mi-temps.
(Gabriel s’envole en soupirant)
ACTE II SCÈNE II
(Les démons et les damnés courent en tout sens, comme pris de panique)
LUCIFER
Pourquoi tant d’agitation ? Qui a donné l’alarme ?
Quelle est la cause de ce tintamarre, de ce vacarme ?
(Une limousine dérape et s’arrête devant Lucifer. En sortent trois chérubins, puis Jésus)
JESUS
Bien le bonjour, m’sieurs-dames ! Salut Luci !
Mais dites-moi, ça n’a pas changé ici !
A part peut-être l’accueil ; dites-moi si je suis dans l’erreur,
Mais j’ai déjà été reçu avec plus de chaleur !
LUCIFER
Il faut dire que tes trois trompettistes ont de quoi inspirer
La crainte de souffrir l’éternité les tympans déchirés !
Enfin, Jésus, ne le prends pas personnellement,
Mais le Vieux va-t-il se manifester à un moment,
Ou va-t-il m’envoyer tous les personnages de son bouquin,
Anges, archanges, prophètes, et tout le saint-frusquin ?
JESUS
Tu dis ça pour Jean? Tu le connais, ce n’est pas le mauvais cheval
Et le bougre, en venant ici, ne pensait pas à mal.
Mais d’une ondée il se fait une tempête, un cyclone ;
Quand il tousse, il craint de percer la couche d’ozone ;
Dès que quelque chose échappe à son entendement,
Il veut ajouter une apocalypse dans le Nouveau Testament.
Alors tu penses bien qu’une grève chez Lucifer,
Ca va lui faire douze rentrées littéraires.
LUCIFER
Et le Vieux ? Il a perdu l’omniscience et l’ubiquité ?
Il n’a jamais pressenti le conflit social avec une grande acuité
Mais ce serait tout même la moindre des civilités
Que de donner suite à mes velléités !
JESUS
Pour être tout à fait honnête je partage ton tourment
Et je me demande même par moments
S’il n’est pas bon pour la maison de retraite.
Vraiment, tout le monde voit qu’il perd la tête :
Il est toujours ubiquitaire, mais il ne sort plus sans son GPS ;
Il choisit ses papes en lançant une pièce,
Et d’aucuns propagent la rumeur
Qu’il souffrirait de la maladie d’Alzheimer !
LUCIFER
C’est un bien joli plaidoyer
Mais il en faut plus pour m’apitoyer
Alors remballe tes trompettistes et tes explications
Quant à moi je campe sur mes positions
JESUS
Amen, comme disent la liturgie et le rite.
Bien, puisque tu restes fidèle à ta ligne de conduite.
Je vais essayer de t’avoir un entretien.
Ce que c’est d’être un bon chrétien !
Allez en voiture les chérubins, il ne s’agit pas de traîner
Si l’on veut être à l’heure pour le dîner.
(Bas, à l’oreille de Lucifer)
Euh, sans vouloir abuser, camarade damné,
Tu n’aurais pas un peu d’herbe à me dépanner ?
(Lucifer hoche la tête et sort un sachet d’herbe. Il se roule aussi un joint et va se coucher)
ACTE II SCENE III
(Dans la file d’attente pour entrer au Paradis)
L’HOMME
Enfin, nous y voila ! Aux portes de l’Eden,
Après toute une existence de peines !
Alléluia ! Alléluia ! A moi la vie éternelle !
Au revoir, la honte du péché originel !
Mais dites-moi, qu’y a-t-il, mon brave ?
Pourquoi, aux portes du Paradis, arborez-vous une mine si grave ?
LUCIFER
(Un peu étonné par cette familiarité)
D’une, je vous prie de ne pas me toucher de la sorte
De deux, je ne vois pas en quoi cela vous importe
De trois, je n’attends pas pour les mêmes motifs que vous
J’ai simplement un rendez-vous
Et Pierre, pour se venger, m’oblige à faire la queue,
A me mêler au commun des mortels, et à côtoyer des gueux !
L’HOMME
Réjouissez-vous, l’ami ! C’est l’heure de la liesse, du ravissement !
L’heure de la récompense d’une vie de renoncement !
LUCIFER
Ca, ça m’étonnerait. Le vin est bon, et la source immortelle,
Mais à part ça c’est d’un ennui mortel, ou plutôt éternel !
Tu aurais mieux fait d’en profiter de ton vivant !
Enfin, tu jugeras par toi-même en arrivant.
L’HOMME
Mais enfin, je n’ai rien eu à me reprocher de mon existence,
Et j’ai quand même fait quotidiennement pénitence.
Les Evangiles seraient-ils à côté de la plaque,
Et le Paradis ne serait-il qu’un cloaque ?
LUCIFER
(goguenard)
Tu l’as dit, bouffi ; en fait, les âmes des morts,
Le Vieux et moi nous les répartissons par tirage au sort
Péché véniel, mortel, vice du laïc ou vertu du bigot
Tout ceci n’est que farce de potache et attrape-nigauds
Et remonte aux temps immémoriaux
Où le Vieux écrivait chaque jour un nouveau scénario,
Ce qu’il fait à chaque fois qu’il fonde une nouvelle religion.
Hélas, même au ciel, les bons auteurs ne sont pas légion.
L’HOMME
(Au bord des larmes)
Mais alors, honorer sa femme à seule fin de procréation,
Les tables de la Loi, la guerre sainte, l’inquisition,
La lutte contre les sodomites et les libertins, contre la contraception,
Le denier du culte et l’Immaculée Conception ?
Tout ceci n’aurait été que le fruit de l’imagination
D’un vieux scribouillard en pleine divagation ?
LUCIFER
Tout juste, Auguste. Et le djihad, et Bouddha,
Et les délires de Thomas d’Aquin et de Torquemada,
Autant de tentatives de l’auteur de corriger ses épreuves
A chaque fois qu’il croit avoir une idée neuve.
L’HOMME
(Pleurant toutes les larmes de son ex- corps)
Mais les limbes, et les flammes de la géhenne, et l’enfer,
Le sombre royaume du seigneur des Mouches, Lucifer ?
Est-ce qu’en vérité ils existent ?
LUCIFER
L’enfer, c’est tout à la fois, un club privé, une boîte échangiste,
Un bar, et un hôtel six étoiles. On y trouve de vrais écrivains,
Pas comme en haut. La seule chose qui nous manque c’est le vin.
SAINT PIERRE
Lucifer est demandé au guichet ! Le Patron va te recevoir !
LUCIFER
(A l’homme, terrifié de connaître l’identité de son interlocuteur)
Bonne éternité mon brave ! Au plaisir de ne jamais te revoir !
(à suivre)