On nous avait bien dit que les températures clémentes de cet automne, couplées avec le taux d’humidité allaient faire le bonheur des virus et autres microbes … Roselyne et ses gros sabots nous avait même concocté il y a peu un « grog » un peu trop gros à avaler …
Las … cette année, pas d’alerte nationale …
Et puis nous y voilà !
Comme chaque année depuis plus de 27 ans la Coluche est de retour..Vous vous pensiez protégé ? Vacciné ?
Hélas ….
Adieux veaux vaches, cochons….. Vous vous réveillez un beau jour, la faim au ventre …Si, si : trouille cela s’appelle … Comment ? Vous ne l’avez pas vu venir ??? Mais pourtant ….Il y eut des signes précurseurs, des alertes …
Les incartades de vos maris mesdames, les coups, les plaies, les bosses, les bleus qui n’étaient plus en harmonie avec vos vêtements …
La mine déconfite de votre patron, parlant de difficultés liées à la mondialisation, la restructuration, la suppression… de postes, de potes, et de la compote seul luxe de votre déjeuner dominical.
Vous souvenez vous du jour où , la toux, les douleurs, la fièvre, l’inappétence, la tristesse vous a envahi, laissant planer un doute quant à la nature de vos maux ?
C’est comme ces appels téléphoniques à répétition … ces 0800 .. .. .. auxquels vous n’avez pas donné suite … C’était la banque, votre banque , avec sa nouvelle numérotation … celle qui ne rentre pas dans la gratuité de votre forfait téléphonique …
Et puis… Le rictus de la caissière au supermarché les samedis … Étrange caissière, d’habitude si joviale, mais qui depuis 3 mois annonce d’une voix sourde la montant de votre caddie… Elle vous avait pourtant averti : les produits frais en premiers, parce que si, parce que dans le cas où, il ne pourraient pas être remis en rayon …
Ah ! J’oubliais … pendant que vous courriez de Pôle en emplois, le préposé de la Poste vous avait bien laissé quelques petits cartons portant la mention AR en rouge ! Ils se sont entassés sur la bibliothèque …. Fichtre … pas le temps, plus tard, demain, trop tard, pas envie ….
Lorsque les nuages passent du bleu au gris, il est encore temps de se munir de parapluie… mais lorsque le noir envahi le ciel de votre quotidien, même Franklin avec ou sans carapace ne peut plus rien pour vous …
Trop tard ! Il est trop tard …
La spirale infernale du cyclone vous soulève, vous emporte, vous entraîne, vous traîne sur le pavé … Votre « lune » découvre la froideur du caniveau. Les vautours ou autres corbeaux frappent à l’huis et menacent…
Que faire ? Que dire ? Que vous faites preuve de bonne foi ? Que les circonstances sont telles que …
Les oiseaux de mauvais augure n’ont pas froid aux yeux mais restent sourds à vos explications…
Temps est venu de signer …
Alors, puisqu’il faut continuer à avancer. Parce que votre mari, votre épouse, vos enfants réclament à corps et à cris quelques piécettes pour subsister, vous vous décidez enfin à crier famine chez l’AS (assistante sourde, assistante des assistés sans assiettes …).
La honte au cœur, vous obtenez le précieux rendez-vous en urgence, puisqu’elle est débordée … Dans 18 jours …
18 jours ? C’est long … long comme 18 jours sans pain …
En attendant, on tente de solutionner, on priorite !!! Mais si … du verbe donner des priorités aux priorités …
Le réveil a sonné. C’est l’heure. C’est le jour tant espéré !!!!! On se lève péniblement, on se traîne..
Un effort, juste un effort.. Un mauvais moment à passer et ce sera l’éclaircie …
Elle vous reçoit. Vous demande le pourquoi de votre visite. Vous baissez la tête puisque vous ne pouvez vous résoudre à baisser les bras …
Elle dit comprendre. Elle dit ; « revenez la semaine prochaine » avec tous les documents justificatifs listés sur ce papier … Vous souhaite courage et bonne journée …
Bonne journée ? Si elle le dit …
Une semaine à ramasser les documents réclamés. Une semaine sans pain … C’est long une semaine.. Encore plus lorsque le pain manque …
Le réveil a sonné. C’est l’heure. C’est le jour tant espéré !!!!! On se lève péniblement, on se traîne..
La salle d’attente est bondée … c’est début de mois, et pourtant …. Des humains, de toutes formes, de toutes les couleurs, plutôt de sexe féminins, (la honte est difficilement portable par le sexe « fort ») ..
Enfin votre tour… Vos yeux cernés, révélateurs de nuits d’insomnies et de jours de diète imposée baissés sur la langue que même vos souliers finissent par tirer…
Elle est gentille la dame.. Elle le dit de sa voix douce, suave, inaudible parfois … Elle va essayer de vous aider … Les subventions sont au régime, les caisses vides, les budgets revus à la baisse chaque année ….
Je comprends, madame. Oui, madame. Faites pour le mieux … merci, merci …
Elle écrit, des mots, des chiffres, votre nom en lettres rouges et capitales d’imprimerie, sort sa calculatrice, recommence à écrire… sort du bureau, se fait attendre pendant que la langue de vos chaussures vous nargue, tout comme la fermeture éclair explosée de votre pantalon que vous tentez de cacher avec votre pull-over, le plus beau, celui qui a fait votre joie 4 ans en arrière lorsque vos enfants vous l’ont offert en chantant « Joyeux Anniversaire » ….
Retour de la frêle dame… Elle vous rend vos papiers, marmonne que c’est malheureux mais qu’elle n’a plus d’encre dans le photocopieur et que ce serait bien que vous repassiez dans la semaine avec les photocopies des documents qu’elle n’a pu faire elle-même, et qui lui sont i n d i s p e n s a b l e s au traitement de votre dossier ….
Euh … Oui, madame. Je vais essayer…
Elle parle d’un coup d’un seul d’une voix de stentor : « il ne suffit pas d’essayer, il faut se bouger !
On ressort du bureau avec un petit papier … Une adresse est inscrite dessus … C’est joli … il y a un cœur dessus..
L’adresse est à 2 kilomètres à pieds … On y va ? Allez ! Elle l’a dit la dame. C’est une aide d’urgence, il faut y aller, il faut se bouger… le bus passe. Le risque de voyager sans ticket est bien trop grand. Les langues de souliers soupirent …
Difficile de trouver le « cœur » … Au loin, un vieux monsieur sort son chien …
Va-t-on oser demander son chemin ? Il le faut !
C’est fermé dit l’homme ! Il faut revenir après-demain … Mais l’après midi hein ? Ils ouvrent la porte à 13 heures mais c’est mieux de venir une heure avant ….
Merci beaucoup monsieur… merci .. Sourire timide , honteux …
On serre le précieux sésame dans sa main, l’enfouie au fond de sa poche et on repart… Ce ne sera donc pas pour aujourd’hui l’embellie ….
La tête un peu plus enfoncée dans les épaules on rentre ..
Le réveil a sonné. C’est l’heure. C’est le jour tant espéré !!!!! On se lève péniblement, on se traîne..
Avant, il sonnait à 7 heures… mais ça c’était avant. Le réveil n’ose plus sonner avant 11 heures …
On enfile les langues collées et recollées de ses souliers pour aller racoler.
La marche est longue, la démarche n’est plus assurée… La maison non plus d’ailleurs .. Pourvu que ..
Une file interminable au loin… Des femmes, des enfants…
On se place dans la file d’attente… Tout le monde a dans une main un carton vert et un cabas…. Tout le monde ou presque .. On y a pas pensé au cabas … On ne pense plus depuis longtemps, puisque l’on pense trop …On a pas le carton aux couleurs de nos espérances …
On entre au compte-goutte. Notre tour arrive. On réclame le sésame .. Le sésame c’est le carton vert … On ne le possède pas … Juste un papier blanc avec un joli cœur dessiné dessus …
Il va falloir aller ailleurs s’entend-on répondre… Il faut remplir un dossier ….
Les yeux piquent. La dame a parlé fort. La honte est souvent humide….
Elle a du cœur la dame … c’est peut-être elle qui l’a dessiné sur le papier …
Exceptionnellement, pour aujourd’hui, on fera comme si … Merci madame. Merci beaucoup…
A l’intérieur des tables, des chaises, des gens … Le cabas posé au sol ils attendent. Jeunes, vieux, sirotant un café offert, grignotant un biscuit offert lui aussi …
La dame revient vers Moi. Elle m’explique le fonctionnement. Me dit de me rendre la prochaine fois à cette adresse qui n’est pas très loin d’ici … je remplirai certains papiers et obtiendrai le sésame vert…. mais que je devrai être patiente parce qu’il y a toujours beaucoup de monde …. J’ose demander quels documents je dois avoir sur moi.. Elle me donne une liste … je ferai des photocopies. Peut-être qu’ils manquent d’encre eux aussi …
J’avance dans la file … derrière moi, une femme édentée me propose de m’asseoir. Je n’en ai pas envie. Juste envie que cela aille vite et que je rentre dans ma tanière. Elle insiste. Je dois avoir une tête horrible sans doute, proche de celle qu’on les cancéreux le lendemain d’une séance de chimiothérapie….
Je la remercie. Ma tête tourne. Mes jambes tremblent. Sensations de malaise.
Je m’approche de la grande table derrière laquelle officie un monsieur d’âge canonique. Il me demande en quelques mots de parler de moi. Dire quoi ?
Que mon mari est parti me laissant deux adolescentes, des dettes des bleus et pas mal de chagrin…. Que le cancer a décidé qu’il ferait un festin de moi ? Que les Corbeaux et autres charonoirs ne cessent de frapper à ma porte ? Que mon banquier me harcèle ? Que je ne peux plus travailler ? Que je suis fatiguée de vivre et de souffrir mais que je veux me battre encore pour mes deux adorables filles qui cachent leurs larmes sous des sourires entendus ?
Et puis, je ne sais pas pourquoi, mais… je parle. J’entends ma voix résonner comme dans une gare vide. Je pleure et mes mots s’entremêlent. Il écoute. Il opine du chef. Il ne m’interrompt pas. Il se lève, reviens prestement avec deux paquets de mouchoirs en papier…
Voilà. J’ai tout dit. Enfin, une bonne partie.
Personne ne me regarde. Personne ne dit rien. La file continue d’avancer. Tout le monde semble se ficher de mon histoire à part le vieil homme. Il me gratifie d’un large sourire. Il me dit qu’ici des histoires comme la mienne il en entend des dizaines … Il me dit que l’on va m’aider. Que je garde foi et courage… Pour le courage, je vais voir ce que je peux faire, pour ce qui est de la foi ….. Par respect je me tais …
Il me demande de le suivre. Je m’exécute. Il ne me gronde pas, de ne pas avoir de cabas. Il a ce qu’il faut dit-il… Il remplis deux sacs : 4 litres de lait UE (don généreux de l’Union Européenne), 1 litre d’huile, 1 kilo de sucre en morceaux, 4 paquets de pâtes (UE), un pain de savon, un pot de confiture (Auchan), me demande si je veux du café ou du cacao pour le petit déjeuner… ce sera cacao monsieur, l’aide est pour mes enfants et je n’ai jamais bu de café de ma vie… Il ajoute alors 2 boites de Mont Blanc qui ont changé de nom pour l’occasion et deux paquets de biscuits secs presque pas écrasés puisque je ne prend pas le café… Il ajoute ensuite deux boites de ratatouille (UE), 2 de cassoulet boites cabossées (don généreux de CORA), 2 boites de pâté terrine, 1 kilo de riz (UE), 6 œufs, qu’il me recommande de manger aujourd’hui même pour des raisons de date de péremption…
Il me donne 8 ou 10 pomme de terre dont il faut profiter puisque c’est une denrée rare semble t-il, et 6 carottes un peu moisies mais qui débarrassées de leur mousse verte …. Je remercie chaleureusement…. Il me rappelle … Me lance un pain de mie et me dit : « cadeau » avec un large sourire … ses dents argentées brillent comme des diamants …
Me voilà bien chargée …
Je suis seule … Mes paquets sont lourds …
Le chemin va être long. Je suis épuisée … Les effets de ma chimiothérapie de la veille commencent à s’amplifier…
J’ai mis 1 heure 30 pour rentrer à pieds chez moi … mes filles étaient à l’école. Je me suis pressée de tout ranger. Je me suis mouillé mes yeux à l’eau bien froide, afin d’effacer toute trace de chagrin, par respect, par honte, parce que je les aime et ne supporte plus de les faire souffrir….
Je suis venue, j’ai vu, j’ai vaincu (ma propre honte), je ne suis jamais revenue …je préfère laisser à d’autres, bien plus malheureux que moi, le peu de plaisir offert par ces gens, bénévoles, sans jugements puisque bien souvent passés par là eux-mêmes…
Le lendemain, je suis allée en centre ville. Je n’ai pas payé le bus, mon porte-monnaie était vide.
Chaplerue, je suis entrée !!! Alliance, bague de fiançailles, chaînes de baptême 24 carats (c’était au temps des veaux gras), et autres babioles brisées ont été vendues. On ne m’a pas demandé pourquoi. On m’a juste réclamé une pièce d’identité. Je suis repartie, allégée de souvenirs douloureux, alourdie de quelques 250 euros en chèque. Je l’ai déposé sur mon compte qui l’a goulûment avalé.
J’ai repris le bus sans ticket. Faute avouée me sera-t-elle aujourd’hui pardonnée ?
Pas de contrôleurs pour mon retour non plus … Un bout de chance sans doute….
Nous n’avons pas été expulsées. Les vestiges d’un mariage raté nous ont sauvé cette fois là ….
A vous qui me lirez, ne chercher pas quelque pitié, je ne pourrai l’accepter ! D’ailleurs, personne ne savait. La honte n’est pas facile à montrer. Ni celle de hier, ni celle d’aujourd’hui. Seuls quelques rares amis ont su détecter la misère qui nous étouffait. Qu’ils soient ici remerciés.
La famille n’est pas obligatoirement celle qui vous lie par le sang, bien au contraire. La famille c’est bien plus souvent elle qui vous accepte en son sein parce qu’elle sait reconnaître la couleur de la détresse puisqu’elle en a souffert un jour, malheureusement ou heureusement elle aussi ….
Nul ne connaît la saveur de la merde tant qu’il n’y a pas goûté lui-même.
I.PERITO qui n’a plus honte de rien, et surtout pas de ce dont elle n’est nullement responsable .
Isabelle, je ne peux pas mettre « j’aime » sur facebook, pour ce récit ,désolée, on ne peut pas aimer la détresse, la misère, le parcours du combattant.
Je préfère dire « j’aime » à toi, Isabelle, qui m’a fichue la chair de poule, par cette vérité écrite avec tellement de talent……….
Chapeau bas, Madame, pour cet article…….
Merci Monique ♥