Il y a déjà quelques temps de cela, Le Pape a ouvert un compte sur Twitter. Il faut dire que c’est un peu le christianisme qui a inventé le réseau de microblogging: les histoires de pigeons virtuels qui gazouillent des conneries sous forme lapidaire et sous les jupes des honnêtes femmes de charpentier, ça le connaît, le Benoît. Le souverain pontife est devenu un geek et ne lève plus le nez de son ordinateur. Il ne se mêle presque plus des affaires du monde. Il laisse ses ouailles donner de la voix, sur le mariage pour tous, sur l’Etat américain qui considère l’IVG en cas de viol comme une « destruction de preuves », et il se les roule tranquillement, de préférence en latin car ces gens-là ne s’échauffent le tempérament que dans l’obscurité.
Du coup, et j’en suis le premier surpris, il n’a pas jugé bon de ramener sa science sur l »hécatombe » provoquée par les pilules contraceptives. Avec tout le mal que ses coreligionnaires se sont donnés pour empêcher les femmes de disposer de leur corps, on pourrait penser que Benoît n’a plus de prise sur la réalité depuis qu’il tweete pour ne pas réagir avec véhémence. Mais s’il avait jamais eu la moindre envie d’être en contact avec la réalité, il aurait sûrement choisi un métier honnête plutôt que de s’user les genoux à prier son patron imaginaire. La véritable explication, à mon humble avis, c’est que le Pape n’a pas besoin de se froisser la mitre pour faire connaître l’opinion de l’Église. Les intégristes profitent des bienfaits de la démocratie où on peut dire à peu près ce que l’on veut, et où on peut même être reçu à l’Elysée tant qu’on ne menace pas Areva et tant qu’il n’y a pas d’élections à l’horizon.
En attendant donc que les grenouilles de bénitier sortent de leur léthargie et viennent couiner contre ces salopards qui génocident des ovules innocents et contre ces gourgandines qui se gavent de Jasminelle, de Minesse et autres Désogestrel Ethinylestradiol et qui meurent par où elles ont peché, penchons-nous sur cet épineux sujet. Comment se fait-il que la pilule, bienfait de la science qui minimise le risque de voir le monde envahi par des gnomes braillards qu’on est forcé de trouver mignons en dépit du bon sens, soit subitement devenu un danger public? Après qu’une femme a failli succomber à un AVC dû à la pilule de troisième génération Méliane, c’est l’anti-acnéique Diane 35 qui est soupçonné de provoquer des accidents thromboemboliques et de boucher les artères de ses utilisatrices encore plus rapidement que la « gastronomie » du Sud-Ouest.
Le coupable se nommerait éthynilestradiol. Les pilules de première génération sont les plus pauvres en ce stéroïde estrogénique, et plus on avance en génération, plus les pilules en sont chargées -et plus le risque est élevé. Mesdames, si vous craignez subitement de mourir d’une embolie pulmonaire, reportez-vous à ce tableau pour connaître la composition de votre pilule. Quant à vous, messieurs, si vous prenez la pilule, laissez tomber votre gynéco et prenez rendez-vous chez un psy.
Cela ne nous explique pas pourquoi la pilule Diane 35, que le Vidal définit bien comme un traitement contre l’acné, a été prescrit comme contraceptif. La notice du médicament, fournie par les laboratoires Bayer, n’est pas d’une limpidité exemplaire. C’est pas une pilule contraceptive, mais si vraiment on en a envie, c’est comme le Médiator et comme les pubs pour les marabouts dans les boîtes aux lettres, ça bloque l’action des hormones androgènes, ça empêche l’ovulation, ça laisse la vaisselle brillante et les mains douces, ça te donne le loto dans l’ordre et la météo de la semaine prochaine, bref c’est génial. Par contre, de l’aveu même du fabricant, comme traitement contre l’acné c’est pas génial : « son effet est modéré et ne s’observe en général qu’après plusieurs mois« .
Alors, la faute à qui? A Bayer qui met sur le marché un traitement dermatologique pas très efficace sur la prolifération de l’acné mais redoutable contre les ovules, ou aux praticiens qui n’ont pas vérifié la notice du médicament qui est pourtant aisément accessible, comme je viens de le prouver? A l’agence européenne du médicament qui ne voit pas où est le problème, ou au tristement célèbre Afssaps (qui a changé de nom depuis) qui distribue les autorisations de mise sur le marché avec le même discernement que le jury des Victoires de la Musique aux pires tacherons de la chanson française? A Marisol Touraine qui veut limiter la prescription et le remboursement des pilules de troisième et quatrième génération qui ne sont déjà qu’exceptionnellement remboursées par la Sécu?
Un peu à tout le monde à la fois. Demandez aux salariés de Sanofi, qui s’inquiètent du fait que leur boîte collabore avec Coca-Cola pour fabriquer des boissons « bien-être », au lieu de promouvoir des recherches sur des sujets moins rentables à court terme mais plus utile à la santé publique. Demandez à ceux d’Unilever, qui fabriquent aussi bien du gel douche que du thé, pendant que le patron se fait le chantre du développement durable. Demandez à Monsanto, qui fait de la propriété intellectuelle un outil de brevetage du vivant, et à tous les labos qui ont fait d’interminables procès à l’Afrique du Sud qui a fabriqué des médicaments génériques pour rendre les traitements contre le SIDA accessibles au plus grand nombre.
Quand vous aurez recueilli l’avis de tout ce petit monde, reprenez les programmes des candidats aux dernières élections présidentielles et cherchez la moindre proposition sur la santé publique ou sur la Sécurité Sociale qui ne tourne pas autour d’autre chose que du fameux « trou » qu’ils ont eux-même creusé au bénéfice de la mafia du médicament, tout en se la jouant hygiéniste comme aux meilleures heures de la prohibition.
Le Pape griffonne un tweet au crayon, et convoque son assistante Ingrid Stampa qui tape en réalité les allocutions papales sur le Net. Il lui demande si le moment est propice pour lancer un anathème rétroactif sur la moindre avancée scientifique depuis le XIXè siècle. Mme Stampa lui sourit.
« La gale revient, monsieur Seize, la tuberculose renaît, et on a bon espoir que la peste refasse son apparition sous peu. Encore un peu de patience. » Benoît se renfrogne, et fait tourner les glaçons dans son verre de martini. Il pense à toutes ces garces qui refusent le refuge de leur utérus à un foetus, et à tous ces invertis qui veulent souiller les voies du Seigneur. Puis il s’endort, en rêvant d’Inquisition.