Qui a dit que l’Europe ne servait à rien? Les anti-fumeurs et les buralistes font la gueule parce Bruxelles ordonne à la France de cesser son protectionnisme à l’endroit de toutes les variétés de nicotine. Pour fêter ça, je suis allé m’acheter quelques livres dans une célèbre enseigne qui se targue d’agitation culturelle en diffusant à un volume parfaitement insupportable Christophe Maé miaulant une version dégueulasse d’une des chansons les plus mièvres de Téléphone. Que les anti-fumeurs, les buralistes, Christophe Maé, Jean-Louis Aubertignac et la FNAC aillent se faire foutre, j’ai trouvé mieux à faire dans les rayonnages: j’ai trouvé un des derniers livres de Brigitte Fontaine, le joliment intitulé « Portrait de l’artiste en déshabillé de soie ». J’ai dévoré l’opus, comme chacun des forfaits de ma copine Brigitte, en moins d’une heure et je me suis dit que ça valait le coup d’en causer pour que vous vous précipitiez chez un libraire honnête (ce que j’ai eu le tort de ne pas faire). J’ai bon espoir qu’en contribuant à augmenter de façon sensible les droits d’auteur de la belle, nous lui permettrons de se payer plein de champagne et de clopes pour continuer à nous enchanter de ses mots et de ses notes.
Ceux qui prennent Brigitte Fontaine pour une vieille folle ou une mamie indigne peuvent suivre les emmerdeurs susnommés à la Fistinière. D’ailleurs, pour reprendre ses propres termes, elle est vieille et elle les encule avec son look de libellule. Elle est d’abord très loin d’être ravagée: on ne l’a jamais vue faire son autopromo aux Restos du Coeur ou au Téléthon, où toute la f(r)ange la plus gluante de la chanson française se suce les joues au bénéfice des « défavorisés », comme si ça n’était pas déjà humiliant de devoir vivre de la charité parce que l’Etat préfère payer des milliards à Dassault pour ses Rafales pourris au lieu de se creuser le ciboulot à faire des politiques vraiment sociales . Je vous préviens: si jamais, par un revers de fortune quelconque, je finis sur le pavé ou si une infirmité quelconque m’accable et qu’on m’envoie Yannick Noah ou Mimie Mathy chanter des conneries pour me consoler, je m’auto-euthanasierai non sans avoir au préalable fait bouffer ma bouteille de picrate ou mon fauteuil roulant aux « artistes » qui viendront me casser les oreilles (entre autres choses cassables dans l’anatomie masculine).
Et ça aura peut-être échappé à ceux qui prennent Indochine pour un groupe de rock ou qui persistent à croire que Bénabar est un grand parolier, mais Brigitte Fontaine jouit d’une renommée internationale chez les gens de goût. Tu en connais beaucoup des gens dans nos frontières qui peuvent se payer un featuring de Sonic Youth (notamment sur Demie-Clocharde, sur l’album Kékéland)? Mais assez parlé de Brigitte chanteuse, revenons à Brigitte écrivaine. Le déshabillé de soie dont il est question dans le titre est le fil conducteur du bouquin qui est une sorte de journal intime où elle raconte son corps, sa présence au monde, son angoisse et sa joie, sa passion des chats même quand ils bouffent les fleurs que lui envoient ses admirateurs et qu’ils les vomissent peu après, sa peur de la lumière, sa détestation du nougat (ce qui est un peu con quand c’est ton titre le plus connu), son goût pour les « baisers sur la bouche et les vits vigoureux« , son incroyance en l’amour (« l’amour n’existe pas, c’est pourquoi il faut le faire« ; si vous emballez en soirée avec ça, vous direz merci Brigitte), de la stupide dévotion qu’inspirent les gniards alors qu’elle-même se sent encore une enfant, son addiction aux clopes et au champagne. C’est un livre quasiment totalement écrit à la première personne, un grand « je » décliné sous toutes les formes, au gré des humeurs et des saisons. Et y a t-il vraiment une forme d’art vivante et valable qui ne soit pas éminnement subjective?
Comme Brigitte écrit bien mieux que moi, je ne vais pas en faire des tartines, en plus j’ai un livre d’Hunter Thompson sur le feu. Alors je vous recopie un petit extrait tiré au hasard pour vous mettre l’eau à la bouche. Et si Actes Sud me fait un procès pour copie non autorisée, j’espère que vous m’apporterez des mandarines en prison(sans pépins s’il vous plaît).
« […] La confiance en la vie est le gros noeud de l’être. Il n’y a ici qu’errance et compagnie, mes frères, alors amusons-nous, racontons-nous des drôleries.
Tu te souviens comme on s’est amusés, une fois? Tout vibrait et swinguait, c’était zazou, c’était wap doo wap. Ca existe, ça? Est-ce que les choses folles existent si on ne les fait pas? D’ailleurs, qu’est-ce qui existe?
Tout pourrait être beau si on voulait. Si on avait assez d’imagination, assez d’innocence. Mais nous avons la tête pourrie de jugements de flics et de préjugés de profs, de vengeances obscures, de serments douteux et de laborieuses fidélités.
Nous en sommes au point où la fin d’une cigarette est comme la fin d’un amour. Nous en sommes au point de rire ou de verser des larmes en regardant Autant en emporte le vent à la télé pour masquer notre vie idiote ou magnifique, encombrée de désirs sectionnés et de cigarettes.
On raconte des conneries toute la journée, on se raconte des blagues. On se la raconte, comme on dit. C’est une vérité comme une autre, encore une connerie. On est là, échoués commes des sardines sur la plage. A force de tordre les problèmes, on arrive à affirmer que la question n’est nulle part […]