Ce matin, alors que j’émergeais tièdement de ma couche en route vers mon café primordial, mon plus jeune chat me tape sur l’épaule et me fait remarquer que sa litière est sur le point de déborder. C’est un chat extrêmement à cheval sur l’hygiène, pour ne pas dire maniaque, au point de tremper sa langue dans l’eau de Javel avant de faire sa toilette et de mettre des chaussons stériles avant d’entrer dans sa caisse; aussi le soupçonnais-je d’exagérer un peu. « Dis-donc, petit connard (je suis un peu irritable avant mon premier café), va donc te soulager dans ma litière et quand j’aurai bu ma cafetière on en reparlera ».
Je bois donc ma cafetière, je vais aux toilettes et je constate que ce petit salopard griffu n’a pas tiré la chasse d’eau juste pour me provoquer. Je retourne à la cuisine pour voir si la deuxième cafetière a fini de couler, et je constate avec dépit qu’il n’y a plus de sable. Je tombe à genoux sous le poids du désarroi, je maudis le destin cruel et mon imprévoyance pathologique qui vont m’obliger à aller à la supérette alors que j’ai encore deux litres de caïpirinha dans le sang. Je savais que la vie était une chienne, mais je ne soupçonnais qu’elle pousserait l’ironie jusqu’à envoyer mon propre chat, mon fils ma bataille, pour m’empêcher de profiter de ma gueule de bois.
Finalement, je reprends mes moyens. En attendant d’être dans de meilleures dispositions, je décide de remplacer la litière par les journaux que les collectivités locales nous envoient régulièrement pour nous prouver à quel point on a de la chance d’être si bien gouvernés. Hélas, mes greffiers ont le dessous de la queue délicat et des opinions politiques bien arrêtées. Ils consentent à fienter sur le Républicain Lorrain, et sur quelques copies d’écran de Lor’actu que j’avais imprimées pour épaissir la couche de papier, mais ils refusent catégoriquement que Metz Mag tapisse la caisse et ils me jettent la brochure au visage.
En temps normal, je ne lis pas le bulletin de la mairie. J’ai arrêté de suivre l’actualité municipale à peu près depuis que ma pétition pour la reconstruction des remparts et le retour de la Seille sur l’avenue Foch a connu à peu près la même audience qu’une émission sur l’Opéra bulgare en cinquième partie de soirée sur la télé publique du Lesotho. J’envisage d’en faire une autre pour qu’on débaptise ma rue qui porte le blase d’un mecton genre Zemmour début de XXè siècle et qu’on lui donne le nom de mon chat pour apaiser son courroux, mais là n’est pas le sujet. J’allais jeter le fascicule dans la poubelle des recyclables en lui souhaitant de devenir page dans la Plume Culturelle plutôt qu’espace de propagande pour Metz Métropole, quand je fus arrêté dans mon élan par la vision du minois de la toujours délicieuse Marie-Jo Zimmermann, membre du groupe d’opposition « Metz Demain » et vice-présidente du groupe UMP à l’Assemblée Nationale. Retenez-bien ce moment: c’est notre nouvelle rubrique « les Tableaux à Marie-Jo ».
Aujourd’hui, Madame Zimmermann en a gros sur la patate. En effet, Dominique Gros, le maire de notre bonne ville, est un salaud de communiste qui ne pense qu’à augmenter les impôts. Et que je te relève la taxe d’habitation, et que le prix de l’eau s’envole alors qu’il pleut tout le temps et qu’on a de la flotte à ne plus savoir qu’en faire, et que je matraque ce pauvre benêt de contribuable qui n’a plus de libertés civiques avec un ticket de bus à 1,25 euros. Mais ce n’est pas tout: non content d’affamer le Messin et la Messine pour financer ses projets somptuaires, Dominique Gros, j’ose à peine le dire tellement c’est fourbe, a fait grimper le nombre de verbalisations des automobilistes de plus de 43% en quatre ans! Le Maire a réuni tous les roussins, et leur a dit: « les mecs, j’ai envie d’entraver la liberté d’entreprendre et les forces vives de la Nation, comme l’exige mon maître Mao Tsé Toung. Allez me coller des knolles sur toutes les bagnoles que vous trouverez. Allez, ouste , mauvaise graine! La lutte des classes n’attend pas! ».
Pour prouver le sérieux de son argumentation, Mme Zimmermann nous pond un petit tableau, avec les années en abscisses et les pruneaux en ordonnées, qui prouve le caractère scientifique irréfutable de son argumentation, et qui est bien pratique au cas où on serait trop cons pour comprendre ce que veut dire 43% d’augmentation. Elle avait déjà fait le coup avec l’augmentation de la fiscalité locale (qui reste très raisonnable pour une ville de cette taille) en resserrant bien les années sur l’axe des abscisses pour montrer à quel point ça monte encore plus vite que la tension du satyre aux premières jupes du printemps. Et pendant que monsieur le Maire déclare la guerre, non pas aux pointes sèches et aux cheveux cassants, mais aux automobilistes qui sont l’avenir de l’Homme quoiqu’en dise ce gauchiste dégénéré d’Aragon, « les PV pour consommation d’alcool, incivilité ou mendicité sont en nette diminution ». On a beau être dans un débat municipal sans envergure, Mme Zimmermann reste dans les classiques de la droite gaulliste ou sarkozyste: les clodos, les poivrots et les malpolis en cabane, et les automobilistes au pouvoir. La sécurité, c’est comme la pierre, c’est toujours une valeur sûre.
L’histoire aurait pu en rester là, et on aurait pu se dire que rien que si ça emmerde les automobilistes, la gauche n’aura pas pris la mairie de Metz pour la première fois depuis l’avènement du suffrage universel pour rien. Hélas, si je ne donnerais pas la main de ma fille à un automobiliste ou à un berger, je la confierais encore moins à un socialiste. Certes, je n’ai pas de fille, (j’ai déjà du mal à me souvenir d’acheter de la litière, alors vous pensez bien, des croquettes pour enfant), mais la sidérante capacité de déception des socialistes et assimilés est à elle seule un contraceptif plus efficace qu’une plage nudiste pleine de sosies de Frigide Barjot.
En effet, le débat qui fait rage au Conseil Municipal en ce moment, c’est la vidéosurveillance. Au cas où vous l’ignoriez, notre bonne ville est déjà truffée de caméras. Mais Dominique Gros, dans son édito, trouve que ce n’est pas assez et nous informe que 120 caméras supplémentaires viendront garnir les stations du Mettis, les parkings-relais et les lieux d’affluence. Un article pleine page ajoute que les caméras seront directement reliées au CSU (Centre de Surveillance Urbaine), qu’elles tourneront 24h/24 et que si vous êtes pas contents, c’est le même tarif, car « une ville plus sûre, c’est une ville où l’on se sent bien, une ville qui donne envie de partager des moments ensembles […] », et une ville où les bleus mettront des PV à tout le monde, pour faire plaisir à Marie-Jo. Encore plus parano, un autre membre de l’opposition, M. Patrick Thil rappelle l’utilité de la vidéo-surveillance (pardon: « vidéo-protection », c’est moins anxiogène) en évoquant les attentats de Boston, mais il trouve que le centre-ville manque encore de flicaille pour canaliser les hordes d’ivrognes et de prostituées sans doute à la solde des terroristes d’Azerbaïdjan qui déferlent sur la rue Serpenoise comme les pintades un jour d’ouverture des soldes.
Pour répondre à Dominique Gros, je ne suis pas certain d’avoir envie de « partager des moments » avec tout ce petit monde acquis au tout-répressif et qui rêve de finir de transformer Metz en maison de retraite. Il fut un temps où Metz était la ville la plus fortifiée du monde, aujourd’hui on n’a plus besoin de ça: les remparts, on nous les érige directement dans le ciboulot en propageant la peur de tout et de tout le monde.
Enfin, si un jour, un kamikaze fait péter la cathédrale St Étienne (et rappelle au passage ce que prouvent les statistiques, à savoir que les caméras n’empêchent pas grand-chose), je me dénonce tout de suite pour vous épargner une fastidieuse enquête alors que tant de voitures sont mal garées: je viendrai sans doute récupérer des gravats. J’ai promis à mon chat une litière en pierre de Jaumont pour excuser ma coupable négligence de ce matin.