Nombreux sont ceux (trop), et même parmi des gens bien intentionnés, qui me gonflent au sujet des Femen. D’aucuns les accusent d’être plus du côté des entertainers que des féministes, parce que Inna Shevchenko est belle comme un mois de congés et que quand elle tombe le haut, elle interpelle plus l’obsédé moyen que, au hasard, Nadine Morano en cuissardes. D’autres les taxent carrément de terrorisme quand elles s’attaquent aux symboles de toutes les religions, en sciant une croix chez les orthodoxes, en mettant un peu de joie de vivre dans les messes basses à Notre Dame, ou en soutenant une féministe tunisienne qui a risqué sa vie en apprenant aux islamistes que ce qu’il y a sous la burqa a aussi envie de prendre l’air de temps en temps.
On peut penser ce que l’on veut de nos amies ukrainiennes, approuver leurs actions ou pas, mais il faut leur reconnaître un sens du happening sauvage aiguisé et un goût pour l’action directe que devrait leur envier nombre de centrales syndicales qui font de la moindre manifestation un appel à boulotter des antidépresseurs au même rythme que mes chats liquident les croquettes.
De même, on a trop peu entendu les féministes « classiques » quand Frigide Barjot et Christine Boutin s’en allaient, toute foi masochiste dehors, défendre le patriarcat et la prédominance de la sainte zigounette procréatrice dans le mariage. Je préfererai toujours le féminisme libertaire d’Emma Goldman et les actions ludiques des Femen à toutes les organisations qui se contentent de montrer du doigt sans jamais taper là où ça fait mal (même s’il faut aussi soutenir leur travail).
Du coup, ça tombe bien, le FRAC Lorraine organise jusqu’au 20 octobre une exposition salutaire intitulée « Bad Girls ». Le principal mérite de l’exposition est de mettre en avant la seule vraie question philosophique, celle que toutes les religions ont contribuer à éluder ou confisquer, qui est la question du corps. Vous pouvez retourner toute l’Histoire de la philosophie et de la politique, des glorieux anciens à BHL (pouf, pouf), tout ce qui ne parle pas de la liberté de disposer de son corps n’est que verbiage juste bon à fayoter auprès d’un souverain ou d’un air du temps toujours peu enclin à se laisser déposséder de ses prérogatives. Tout ceux qui se sont tripotés la nouille ou la coquille sur le salut de l’âme ont fait fausse route, l’âme aussi est une modalité du corps et pas un précieux colis qu’il faut livrer immaculé de tout pêché à un hypothétique au-delà.
Et John Lennon, quand il chantait « Woman Is The Nigger of the World » avait bien compris, lui, que les femmes sont les mieux placées quand il s’agit de causer oppression du corps, puisque tous les obsédés refoulés de toutes les civilisations ont tenté de dépouiller ce corps de son pouvoir (au sens de ce qu’il peut, de ses potentialités existencielles), soit en le sacralisant comme un temple voué à l’enfantement, soit en enfermant tout le monde dans une vision rétrograde des relations de couple qu’on a nommé « amour courtois », et qui a fourbi les armes de nombres de chanteurs à la con qui se prétendent romantiques alors qu’ils ne sont que chiants à crever et pathétiques comme le teckel qui croit que l’amour va lui faire pousser des ailes pour s’accoupler avec la petite Terre-Neuve des voisins, soit encore en faisant du corps féminin un objet de fantasme ou de désir complètement dépersonnalisé.
L’exposition du FRAC reprend tous ces points, en se divisant en trois parties. Dans la première, comme l’explique le dépliant de la manifestation, on assiste à l’émergence de la prise de conscience du corps par les femmes. C’est principalement l’objet du féminisme des années 70 qui fera du corps et de la nudité une arme contre la réaction. Liberté sexuelle, combats pour la contraception et l’avortement, fin de l’impératif d’être belle selon des canons qu’on a pas édictés soi-même, envie d’aller voir hors de la cuisine et d’être au monde de façon claire et nette, les daronnes putatives des Femen n’ont pas peu fait pour se réapproprier ce corps qu’on avait étouffé et conditionné, à telle enseigne qu’aujourd’hui encore des femmes (comme les deux citées plus haut) se liguent contre la liberté de disposer de sa carcasse avec un masochisme qu’on ne retrouve plus guère que chez les écolos qui restent au gouvernement.
La deuxième partie de l’exposition s’articule autour d’un féminisme plus moderne et plus politique. Il illustre notamment le combat des femmes palestiniennes et kurdes pour exister, pas seulement en tant que femmes mais aussi en tant que citoyennes. Disposer pleinement de ses droits en tant qu’individu n’est plus suffisant: il faut que tout le monde bénéficie de ces droits pour pouvoir se dire libre. C’est l’époque où la fabrique d’icônes révolutionnaires tombe en panne et ou le catéchisme communiste commence de perdre des adeptes, mais où l’internationalisme reprend du poil de la bête. Le film sur la journaliste Andrea Wolf est à ce titre édifiant. C’est le moment de la convergence des luttes, et si vous êtes de fidèles auditeurs de Graou’Live, vous vous reporterez à l’interview du représentant de Couleurs Gaies avec qui on avait abordé le sujet lors du marathon du Graoully.
Ce qui nous mène en droite ligne au dernier tiers de l’exposition, d’une actualité brûlante, qui pose la question du genre. Simone de Beauvoir disait qu’on ne naissait pas femme mais qu’on le devenait. En effet, la question se pose de plus en plus souvent, avec le retour en force des gender studies et l’opposition farouche de la droite à l’évocation de cette question à l’école. Pourquoi dès la naissance (et même dès l’échographie qui révèle s’il faut acheter du rose ou du bleu à bébé) est-on assigné à un genre? Le queer n’est-il pas l’avenir du genre humain? Ce ne serait pas beau une société où on pourrait se sentir beau ou belle aussi bien en jean qu’en jupette, au gré de ses envies, où on pourrait échapper un peu aux déterminismes, où l’hétéro-beauf de base ne serait pas obligé de boire comme un trou et de remonter l’échelle de l’évolution à rebours, encore plus loin que le singe primordial, pour préparer sa parade nuptiale? En Argentine, pays macho bien comme il faut, on peut déjà choisir son genre quand on va faire ses papiers d’identité. J’ignore si on peut en changer au gré des envies, ce qui pourrait être fastidieux pour les services d’Etat-civil, mais c’est déjà un bon début.
Enfin, je ne vous en dis pas plus, vous n’avez qu’à vous bouger jusqu’à l’Hôtel Saint-Livier au lieu de vous faire griller la couenne au soleil. Moi je prépare ma candidature à Femen, plutôt que chez les pitoyables guignols d’Hommen
Merci de m’avoir signalé cette exposition que je ne manquerai pas d’aller voir lors de mon prochain passage en Moselle.
Juste une question, qui sont les « féministes classiques » que l’on a trop peu entendues ? Pour être assez actif sur twitter et pour y suivre un petit nombre de militantes (Gaëlle-Marie Zimmermann, Mona Chollet, Valérie « Crèpe-Georgette », A.C Husson…) elles n’ont jamais été muettes.
Concernant les femen, je laisse ici ce premier billet de Mona Chollet
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2013-03-12-Femen
Et un autre qui les évoque également
http://www.peripheries.net/article335.html
Cordialement
Bonjour, et merci pour votre commentaire.
Quand j’écris qu’on a trop peu vu les féministes « classiques » (c’est à dire celles qui ont une relative visibilité comme les Chiennes de Garde ou la Barbe) je ne dis pas que c’est leur faute. J’ai trouvé que lors du débat sur le mariage pour tous on a beaucoup parlé d’homophobie et assez peu de la conception pour le moins rigide du rôle de la femme dans l’univers mental de Christine Boutin, et je l’ai évoqué dans d’autres articles.
L’exposition me donnait l’occasion de faire une piqûre de rappel.
Quant à vos liens, j’avais déjà lu ces articles, notamment celui de Mona Chollet. Je ne partage pas toutes les idées de Femen, notamment sur le matriarcat, et j’ai bien précisé que je soutenais aussi le travail d’autres associations/essayistes/journalistes. Mais j’aime l’idée de « philosopher au marteau » et l’action directe.