– Devezh mat, Metz, mont a ra ? Bonsoir, madame Kervella.
– Tiens, un revenant ! Bonsoir professeur, ça faisait longtemps qu’on ne vous voyait plus ! Vous n’aviez pas une ardoise à régler ?
– Ah ben merci pour l’accueil ! Vous allez me tirer dessus, comme le bijoutier niçois ?
– Rôôh, vous n’allez pas vous y mettre aussi ! Il faut le comprendre un peu, cet homme-là, il se sentait en danger, il a paniqué… Il n’a pas pu faire ça de sang-froid !
– C’est ce que je me suis dit dans un premier temps… Mais il n’empêche qu’il avait un flingue sous la main et qu’il représentait donc déjà un danger pour la société avant de buter son braqueur !
– Ben quand on a un commerce de bijouterie, c’est normal de ne pas rigoler sur la sécurité…
– Ah ? Il me semble pourtant que pour la sécurité de son commerce, un système d’alarme aurait été tout aussi efficace et moins dangereux… Et à la grande rigueur, qu’est-ce qui l’empêchait d’appeler la police ? Les flics, c’est pas ça qui manque, à Nice…
– Vous êtres marrant, vous ! Dans le feu de l’action, il n’était pas en possession de toute sa raison, c’est bien normal !
– Hum ! Non mais dites-moi, comment croyez-vous que ça s’est passé ?
– Et bien les malfrats sont entrées en trombe dans sa bijouterie, ils l’ont menacé, ils l’ont tenu en respect juste assez de temps pour se servir dans les vitrines puis il s’est ressaisi et il a fait feu sur l’un d’eux et les autres se sont enfuis…
– Ah bon ? Mais si tel avait été le cas, de deux choses l’une : ou bien il a tiré sur l’un des malfrats qui se servaient et n’étaient donc pas en état de le tuer et il n’y aurait donc pas eu légitime défense ou bien il a tiré sur le malfrat qui était en train de le tenir en respect et il y a bien eu légitime défense, mais si tel était le cas, il fallait qu’il soit très rapide car le truand aurait sûrement tiré dès qu’il l’aurait vu mettre la main à son arme…
– Heu ? Je n’avais pas pensé à ça !
– De toute façon, votre version est fausse : il est avéré qu’il a tiré dans le dos du braqueur qu’il a abattu !
– Mais comment vous pouvez en être sûr ?
– Ben il y a eu des témoins ! Ça s’est passé dans une rue passante, vous savez !
– Dans une rue passante ? Attendez, vous voulez dire que…
– Et oui ! Il a tiré sur les braqueurs PENDANT QU’ILS S’ENFUYAIENT ! Ils étaient déjà HORS de la bijouterie ! Il n’y avait donc déjà plus de danger pour lui ! Il n’a pas tiré pour sauver sa vie mais pour sauver sa marchandise ! Et s’il avait mal visé, il aurait pu abattre un passant ! Il s’est substitué à la police ET à la justice, qui plus est en appliquant la peine de mort qui est pourtant abolie ! Son geste n’a rien de légitime, il mérite la prison !
– Mais… Comment vous expliquez qu’il y ait autant de monde à le soutenir ?
– Pour les mêmes raisons que vous : ceux qui le soutiennent ont été mal informés et ont réagi sans savoir ! Et puis en France, le pays des résistants de la dernière heure et des femmes tondues, pas étonnant qu’un bijoutier qui tire dans le dos d’un truand à la petite semelle pour sauver sa marchandise hors de prix passe pour un modèle de courage !
– Moui ! Mais si vous voulez mon avis, vous n’avez pas intérêt à ébruiter ça !
– Pourquoi ? Vous avez peur que je me fasse lyncher ?
– C’est pas ça, mais vous oubliez que ce bijoutier est d’origine libanaise : il pourrait donc fournir un argument béton au Front National et à l’UMP pour bramer que les arabes sont des sauvages incapables de s’intégrer à la société française…
– …
– Professeur ?
– Hum ! Vous n’avez pas tort : c’est ce qui fait la force de la connerie, elle n’est jamais en manque de prétextes… Bon, mettez-moi un petit blanc.
– L’ardoise d’abord !
– Vous perdez jamais le nord ! Si je vous en règle la moitié, ça marche ? Kenavo les aminches !