Manifeste pour la réhabilitation du navet

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Une question existentielle vient troubler depuis plusieurs jours mon sommeil. Celle-ci prend de plus en plus de place dans mon lit et me laisse souvent au bord de celui-ci sans couverture, sans quoi faute de pouvoir dormir je dispose de temps pour y répondre. (Toute ressemblance entre la femme et la question existentielle est bien évidemment fortuite). Qui donc un beau jour frapper par la disgrâce culinaire, quel esthète au plaisir gourmet douteux, quel sauvage carnivore est –il venu discréditer l’élégant prince de toutes cuisines raffinées : le navet ?

Un jour, un homme (dont je tairais le nom pour ne pas lui faire de pub ou plutôt parce que je l’ignore d’ailleurs) un homme donc parce qu’il me semble qu’une femme serait incapable d’une telle sottises mais je me trompe sûrement) n’a pas aimé le légume qui accompagnait son rôti. Il s’exprima à peu près en ces termes : « Quel est donc cet affreux légume, dont j’ignore le nom, qui a l’outrecuidance de gâcher ce repas pourtant si bon ? » On s’empressa de lui répondre : « le navet, monsieur ».

Quelques jours plus tard, cet homme affamé qui aimait autant la cuisine que le cinéma se « faisait une toile ». Assis dans son fauteuil il fut une nouvelle fois déçu, il regretta alors l’âge d’or du cinéma américain, ce bon vieux temps où officiait se brave Beethoven, cette époque où les films avaient du chien. Il digéra mal les images qu’on lui proposait et sentant son estomac se nouer, un goût amer lui vint dans la bouche, il était écœuré du spectacle grossier qu’il s’obligeait à regarder. C’est alors que quelques heures plus tard, écrivant la critique du film vu précédemment (pour des raisons pratiques cet homme est critique de cinéma dans la vie), il se rappela le gout amer qu’il avait eu dans la bouche au restaurant, celui-là même qu’il avait eu au cinéma quelques temps plus tôt, et par un processus complexe d’association d’idées, qu’il m’est impossible d’expliquer, il associa le film au navet. C’est ainsi qu’il écrivit, qu’on lut, que certains dirent que « ce film est un navet ».

C’est ainsi que la carrière du navet prit une tournure étonnante, il quitta les assiettes pour Hollywood, séjourna régulièrement en Europe, et n’oublia jamais de rendre une visite à la France, son pays de cœur. Aujourd’hui fatigué d’une vie sans repos, il aspire au réconfort. Il voudrait se blottir dans des marmites, retrouver les carottes de son enfance, bouillir d’impatience dans des casseroles consentantes, retrouver la chaleur des mains des cuisiniers, se sentir écrasé par leur doigts meurtris, se sentir aimé quoi !

Cessons d’importuner ce gentil légume, la langue française est riche et les adjectifs ne manquent pas. Joint par mes soin, alors que je lui soumettais l’idée d’un changement de vocable qui le sortirait de l’embarras, le navet m’a répondu qu’il n’avait «  rien à déclarer ».

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