Le monde des artistes a des côtés, des contours, et des faces d’une rêverie éveillée, c’est bien vrai. Mais allez creuser un peu plus en profondeur et vous y trouverez tout autant de règles-explicites mais le plus souvent implicites- que dans n’importe quel forme de société, sous quel que sorte de régime que ce soit. Vous y trouverez également le plus grand ramassis d’ordures et de prétentieux que la Terre ait porté. Moi y compris. Ajoutez à cela les contreparties obligatoires. Si je n’ai pas écouté le dernier morceau qu’un pote a posté sur Soundcloud, il n’ira pas prendre la peine d’aller lire le dernier texte que j’ai publié. C’est donnant-donnant ! Bien qu’il soit beaucoup plus commode pour le commun des mortels de lancer un morceau tout en naviguant à ses occupations sur plusieurs onglets alignés que de devoir prendre cinq, dix, vingt, trente minutes-tout dépend du lecteur- à rester sur la même page à bander sur la beauté d’un texte fort et écrit avec style. Les gens n’ont plus le temps. Tout le monde est pressé et s’éparpille à droite à gauche selon la tendance et les candidats. Je suis néanmoins sûr que mes amis les plus véritables qui disent l’avoir lu l’ont lu. Les autres, ceux qui ne mouftent pas, je ne les calcule même plus à ce sujet. Ils me connaissent trop bien les gens. Ils savent très bien, même sans faire partie de mon cercle privilégié, que s’ils s’avancent sur ce terrain je vais leur poser des questions afin de vérifier la véracité de leurs dires. Je suis comme ça. J’aime vérifier. C’est en partant de ce postulat que je me suis dit qu’une carrière en tant que contrôleur pouvait être une idée. Mais contrôleur de quoi ? Pour qui ? Sûrement pas pour la SNCF, c’est clair. Je me suis donc mis à chercher ce que je pouvais bien foutre pour gagner ma croûte et me payer une piaule quelque part. C’est en farfouillant sur Leboncoin.fr. que je suis tombé sur cette obscure offre d’emploi qui disait :
VOUS AIMEZ LE SEXE ? VOUS ÊTES DU GENRE A VOULOIR TOUT CONTROLER ? LE LATEX EST POUR VOUS COMME UNE SECONDE PEAU ? DEPOSEZ VOTRE CANDIDATURE PAR COURRIER OU PAR MAIL(C.V ET LETTRE DE MOTIVATION) OU PAR TELEPHONE.
Je trouvais l’annonce assez particulière et ma curiosité naturelle a fait que j’ai immédiatement contacté le recruteur. Concrètement, c’était pour tester des préservatifs. Des capotes quoi!
Enfourner…
Agiter…
Retirer…
Jeter…
Oublier…
Ça me paraissait pas mal comme job comparé à toutes les merdes que j’avais du faire jusqu’à présent. J’allais être contrôleur de capotes ; le genre de type qui s’amuse à les trouer pour que toutes les femmes du monde tombent en cloques. J’allais noyer le monde sous un océan de bébés nageurs à têtes chercheuses. Johnny Alasti, contrôleur/testeur à votre service ma bonne dame! C’est un peu le métier dont rêvent tous les mecs non ? Avec acteur porno. Mais là il faut obligatoirement avoir une grosse bite. J’ai donc envoyé par mail mon C.V, une lettre de motivation un peu trop littéraire mais qui est apparemment bien passée. Le recruteur m’a appelé dans l’heure qui suivait. Je devais me rendre dès le lendemain à une adresse dont je n’avais jamais entendu parler. Je connaissais pourtant la ville. Mais le numéro : 69 bis Tout Quêtes faisait que je ne prenais pas la chose vraiment très au sérieux. Je n’arrêtais pas de me poser des questions mais j’y suis quand même allé. Une occas’ pareille ça ne se refuse pas. Et puis quitte à faire l’esclave, autant le faire en jouissant.
J’ai eu un problème dès le premier jour avec les gars de la sécurité. Ils ne voulaient pas me laisser passer. « Paraît qu’il font ça à tout le monde » m’a dit un mec que j’ai rencontré plus tard en chemin et qui venait pour la même chose. Je m’en fous des autres que je lui ai dit. Ils m’ont vraiment emmerdé ! Il faut les comprendre les types, ils sont laids, bedonnants, et gardiens du plus grand baisodrome légal de la ville. A voir leur gueule, on comprend de suite qu’ils n’ont pas vu une chatte depuis Mathusalem. Ils l’ont mauvaise, l’opinel à portée de main, le cœur plein de rancœur d’avoir été relégués à la place qui est la leur quant un jeune con comme moi débarque en roulant des mécaniques. « T’en fais pas ! C’est comme ça que ça marche » m’a dit mon potentiel collègue. Il venait ici par le biais d’un ami qui avait parlé de lui à Mr. Dussex, le grand patron. « Tout le monde y passe, c’est le rituel obligatoire ici et ils ont pas fini de te titiller. T’as qu’à les ignorer et passer, c’est tout. » J’étais déjà sous tension depuis deux jours car toutes sortes de questions circulaient dans ma tête ;les trois qui revenaient le plus et jamais dans le même ordre : Est-ce que les femmes seront bien foutues ? Est-ce que je vais pouvoir bander suffisamment pour toutes les enfiler ? Est-ce que j’aurais du me sevrer de l’alcool avant de venir ici jouer avec mon engin ?
J’arrive donc comme un brave, les mains dans les poches, essayant de paraître le plus décontracté possible, de transpirer l’assurance. Dans ma tête, ça passe. Je me trouve plutôt convaincant. Ce n’est que lorsque j’arrive à leur niveau que les choses se compliquent. Les deux types qui me barrent la route sont habillés aux couleurs de cette barrière qui m’empêche de passer. J’exhibe fièrement le pass’ que la boite m’a envoyé par la poste il y a tout juste quelques jours et leur explique le pourquoi du comment le plus poliment du monde.
« Bonjour messieurs ! Je suis le nouveau contrôleur ! » que je clame de ma voix la plus assurée. Et là sans que je ne puisse la contrôler, ma bouche s’étire en un rictus jubilatoire. Ca passe encore. Ce n’est que lorsque mon sourcil remonte, donnant à mon expression un air méprisant que je vois les types se foutre de ma gueule sans chercher à s’en cacher le moins du monde. Les types voient que je les toise-attends ! je vais être payé pour baiser- et ça les fait rire. Je ne me pose pas de questions, continue à les prendre de haut et commence à avancer mais les voilà qui font mine de vouloir me stopper.
Un des deux loustics s’approche- si près de moi que je peux sentir son haleine chargé de cette bière bon marché que j’avais l’habitude de boire lorsque je trainais les rues- et fait mine de me balancer une droite sans doute pour m’intimider. Je me doute qu’il ne finira pas son mouvement et n’esquive donc aucun geste qui lui prouverait qu’il me fait peur. Je le fixe droit dans les yeux sans ciller et je répète :
« Bonjour messieurs ! Je suis Johnny Alasti, le nouveau contrôleur » tout en exhibant mon pass’ comme un type du FBI dans les séries télés américaines mais en affichant cette-fois ci mon sourire de joker. Là, les mecs se sont regardés, se sont souris d’un air entendu, mais m’ont laissé passer. « Je suis le nouveau contrôleur de capotes et j’vous emmerde connards d’asexués pansus!!! » Voilà ce que j’avais envie de leur hurler dessus à ces blaireaux. Mais trop tard. Plus besoin. Ils m’ont laissé passer. Je l’ai presque regretté tellement j’avais envie de leur balancer cette phrase en travers de la gueule. Elle sonnait bien sur le coup mais je n’avais maintenant plus aucune raison de le faire donc je suis passé bien tranquillement à côté d’eux sans les quitter des yeux. Allons chevaucher de la sauterelle ! Secouer de la mamelle ! Inflammer de la matrice ! Frictionner du latex ! que je me suis dit.
J’ai pris les escaliers de pierre peinte anthracite et j’ai commencé à les gravir, le cœur battant de plus en plus fort, l’estomac se nouant, à chacune des marches. J’ai simulé une contenance en sifflotant l’air de The Spy des Doors. Je me faisais des films depuis que j’avais eu confirmation de mon embauche. A une vitesse hallucinante. Les images, les situations les plus improbables se mêlaient dans mon crâne sans que je ne puisse rien y faire. J’en avais même rêvé. Enfin j’y étais. L’espion dans l’antre de l’amour, physique. Arrivé en haut, j’ai glissé le pass’ dans la fente et poussé la lourde porte coupe-feu. Et là, j’ai de suite débandé. Il n’y avait qu’une seule et unique grande pièce assortie aux escaliers, divisée en open-space. Pas de moquette ni de lino. Le sol était brut. Ça payait moins de mine que chez pôle emploi mais au moins j’étais sûr ici d’avoir de quoi me payer mon loyer, ma consommation hebdomadaire d’alcool, et d’avoir du temps pour écrire. Et qui sait ? Peut-être allais-je enfin rencontrer l’amour de ma vie…Il y avait néanmoins un truc qui ne collait pas. Je ne sais pas qu… Les femmes !!! Elles sont où les femmes nom de diable !? Puis la porte a claqué derrière moi et j’ai entendu un verrou la condamner à me piéger ici.
A peine ais-je le temps de balayer la grande pièce du regard qu’une dizaine de personnes en combinaison blanche-immaculée se précipite sur moi comme un seul homme. Je gueule, je rue, je parviens même à en mordre un au sang, je balance le plus de coups possibles dans tous les sens, un peu n’importe comment- je ne suis pas fort en baston- mais il n’y a plus rien à faire. Ils sont déjà sur moi, sur chacune de mes extrémités. Ils me maintiennent fermement au sol. Je suis incapable de faire le moindre mouvement. J’en vois alors un autre qui arrive du coin de l’œil, une seringue pleine d’un liquide où différentes nuances de verts plutôt jolies se côtoient. Je le vois, sans que je ne puisse rien faire, ceindre mon biceps maigrichon d’une épaisse corde noire et chercher ma veine la plus saillante- ce n’est pas dur chez moi- celle qui se trouve au creux de mon coude, la serrer avec un peu trop d’exagération et piquer dedans. Je suis totalement impuissant et ne peux qu’assister au spectacle. Je les entends se causer mais je ne parviens pas à saisir le sens de leurs propos. « Oh putain… ! C’est quoi cette cam’ les mecs…? J’ai pas signé pour ça… » que je m’entends leur dire avant de sombrer dans le néant.
Je me suis réveillé dans mon lit. L’oreiller et les draps trempés de sueur, ces horribles images encore très nettes dans ma tête. J’ai jeté un œil prudent à travers la fenêtre. Il faisait nuit noire. Un rêve ?! Ce n’était rien de plus qu’un rêve !? J’ai soufflé mon CO2 de soulagement. Je me suis mis alors à rire tout seul dans mon pieu comme un dément puis me suis dit que réveillé pour réveillé, j’avais autant me servir un petit verre de porto pour faire passer l’horreur avant de m’installer devant mon ordinateur pour développer cette histoire dans une nouvelle. Ce que j’ai fait.
Ce n’est que la bouteille plus tard que j’ai trouvé une petite carte coincé entre les oreillers. Une jolie petite carte bleu et rose en papier glacé avec une inscription dessus qui disait :
« Très cher Monsieur Alasti,
La récolte a bien été effectuée. Nous vous remercions d’avoir contribué volontairement à la politique démographique de notre beau pays qu’est la France. Malheureusement, et à notre grand regret, vous recevrez d’ici peu, une convocation à notre tribunal suite à la plainte déposé contre vous par le docteur Yannick Forblique pour coups et morsures dans l’exercice de ses fonctions.
Avec l’expression de mes sentiments les plus distingués
Jacques Dussex – Président directeur général de Dussex&Con.»
Ne vaut il pas mieux être pauvre, libre et en bonne santé que baisé?. J’adore votre chronique.