On en entend de bien bonnes depuis que les députés socialistes ont réussi à imposer au gouvernement la modulation des allocations familiales à compter de l’année prochaine. De la droite à la gauche, à peu près tout le monde s’entend pour dire Hollande salaud le peuple aura ta peau en excipant de la sacro-sainte famille de mon cul ou à l’universalité d’un service public aussi endetté qu’un club de foot espagnol.
Mais comme à chaque fois qu’Hollande fait l’unanimité, c’est contre lui, pesons les arguments des uns et des autres pour ne point bêler avec le troupeau . Prends ta tête à deux mains mon cousin ma cousine, et fais chauffer la boîte à synapses. Pour nous mettre en situation, suivons les conditions générales d’ouverture de droit aux allocations familiales et dotons-nous de deux marmots. Si tu n’en as qu’un, tu peux te mettre l’universalité du service public là où ça ne fait pas d’enfant, puisque l’allocation de base (versée de la naissance au deux ans et onze mois de l’enfant) est déjà soumise à conditions de ressources. Et pas modulée, hein: plein de thunes, pas d’allocation de base, c’est comme ça et si vous êtes pas content remettez-vous à l’ouvrage braves gens pour donner une frère/une sœur au fruit de vos entrailles.
Alors voilà, tu as deux gosses et la CAF t’octroie libéralement 129 euros et des queues de cerises pour nourrir et éduquer ce petit monde, exerçasses-tu une fonction bien rémunérée ou créchasses-tu sous un pont. Ça, c’est l’universalité: les mêmes droits pour tout le monde. Cette charmante pratique initiée par le Conseil National de la Résistance à la fin des années quarante visait à redonner aux populations le goût de la procréation pour redorer le blason du pays, mais aussi à réconcilier les badauds dans un souci de justice sociale. Depuis, à chaque nouvelle « problématique sociale », on crée ou on modifie une prestation dans la même optique: l’allocation logement face à la cherté des loyers, la PAJE pour permettre de concilier vie professionnelle et vie familiale, RSA et AAH pour lutter contre la précarité.
Pour calculer toutes ces prestations, la CAF se base sur les revenus et/ou la situation professionnelle des demandeurs. A mon sens, la rupture dans le principe d’universalité ne réside pas dans le fait de moduler les allocations mais précisément dans le fait que l’Etat est incapable (ou ne fait pas trop d’efforts) pour assurer à chacun un emploi qui pourrait lui procurer un revenu décent. Quand l’Etat décide de réduire les cotisations sociales, c’est autant d’argent en moins dans les caisses de la Sécurité Sociale. Quand on préfère brider les salaires et laisser la CAF payer un complément de RSA aux familles en situation de précarité, on assèche le budget de la Sécu à la fois en réduisant ses recettes et en augmentant ses dépenses (et celles des collectivités locales). Quand Manuel Valls veut réduire les dépenses de la Sécu, il te nique donc deux fois. Idem pour l’assurance maladie: tout le monde est remboursé du même montant pour ses dépenses de santé tant qu’on reste dans le tarif conventionnel, mais au moindre dépassement d’honoraires, tu peux presque voir la lutte des classes se marrer quand le dentiste t’arrache un chicot pour te poser une prothèse en ferraille cependant que ton voisin se fait refaire le ratelier à grands renforts de céramique scintillante. Et je ne te parle même pas de l’hôpital.
Donc, aux objecteurs de gauche à la modulation des allocations familiales qui ne touchera que quelques bénéficiaires déjà à l’abri du dénuement, je répondrai qu’il y a déjà du travail en amont avant de s’attaquer à des broutilles pareilles. Et rien n’empêchera de revenir à des barèmes de prestations plus favorables quand la croissance reviendra grâce aux précieux gardiens des institutions qui attendent que le Président ait une popularité proche du zéro absolu pour être de gauche. Quant à la charge de travail supplémentaire à absorber pour la CAF, ne vous inquiétez pas, il y a un logiciel qui fait ça (à peu près) très bien.
Examinons à présent les arguments de l’aile droite des opposants à la modulation. Tu as sûrement vu à la télé ou dans les journaux un échantillon de ces braves mères de familles qui s’inquiète pour l’avenir de sa portée si elle ne perçoit plus les 60 balles par gosse supplémentaire au delà du troisième lardon. Si tu as bien compris l’idée de la réforme, cette personne perçoit sans doute plus des 6000 euros mensuels à partir desquels tu ne bénéficies plus des largesses de la République laïque. Cette personne ne s’est sans doute jamais vu opposer un refus au RSA parce qu’elle gagne 600 euros par mois, cette personne empêche peut-être ses enfants de demander l’aide au logement quand ils deviennent étudiants pour garder sa part d’allocations familiales, et cette personne ne paye peut-être même pas ses impôts en France. Je dis « peut-être », mais ce ne sont pas des hypothèses.
Cette personne fait même sans doute partie d’une association familiale et a des représentants au Conseil d’Administration de la CNAF (l’organisme qui chapeaute les CAF). Pour être membre d’une association familiale chapeautée par l’UNAF (Union Nationale des Associations Familiales), il faut être marié, pacsé, ou célibataires/divorcés avec un enfant à charge; par ailleurs il faut être français ou étranger titulaire d’un titre de séjour au moins égal à trois ans. Ce sont des conditions plus restrictives que pour n’importe quel droit servi par un service public. Dire que ces associations sont légèrement orientées est un euphémisme.
Pendant que le directeur de la CNAF s’inquiète de la charge de travail supplémentaire représentée par la modulation des allocations familiales, les braves associations familiales ont obtenu que les enfants morts-nés enregistrés à l’Etat-Civil soient inscrits sur leur dossier à la CAF, ce qui n’ a rigoureusement aucun intérêt. Si ça c’est pas du boulot de merde. A l’instar des parents d’élèves pour le service public de l’éducation, les associations familiales sont la plaie de la branche famille de la Sécurité Sociale. Pas toutes, évidemment, certaines ont une vraie utilité publique. Mais tu l’auras deviné, il y a souvent de la grenouille de bénitier dans le lot, et sans ces calotins, les allocations familiales seraient déjà modulées depuis bien longtemps.
Bref, taper sur Hollande et son équipe quand ils font des conneries, c’est de bonne guerre tant ils passent leur mandat à cette brillante activité. Mais tu ne m’enlèveras pas de l’idée qu’il y a des combats autrement plus importants, à part pour TF1 et Marine Le Pen.
PS: ce soir dans mon train en retard pour cause d’orage sur la gare de Metz, j’ai vu un train de marchandises distancer à toute berzingue mon malheureux TER qui roulait au pas de Sylvain Kastendeuch en plein footing. Si ça c’est pas du symbole.