L’automne avait décidé de faire une pause en ce dimanche de novembre. La grisaille et la pluie avaient laissé la place à un splendide ciel bleu, qu’un soleil insolent se fatiguait à réchauffer. Cette clémence météorologique poussait des dizaines de badauds à sortir prendre l’air en se promenant le long du canal.
J’étais moi même en train d’y dégourdir mes jambes et les pattes de mon basset par la même occasion. La soirée de samedi fut forte et mouvementée, aussi j’avais besoin de cette petite promenade dominicale pour m’aérer l’esprit et me changer les idées.
Il y avait donc du monde le long de ce canal qui longe la Moselle aux abords de Metz. Les yeux dans le vague et la tête ailleurs, je m’efforçais de ne pas porter attention à mes contemporains. Toutefois, je fus quelque peu interloqué de croiser ce cycliste, pour le moins étrange. En effet, au guidon d’un mauvais VTT, en piteux état, le gaillard avait l’air grand et costaud, il était vêtu d’un vieux survêtement gris et triste, son visage était caché derrière une large capuche sous laquelle je pus apercevoir une mâchoire carrée, ornée d’un semblant de début de barbe, enfin plutôt quelques touffes hirsutes parsemés ça et là sur des joues creusées. Je croisa des dizaines de gens, tous aussi différents les uns des autres et seul ce type me troubla ce jour là. Ce doit être une déformation professionnelle qui me pousse à voir des suspects partout. Je décidais de ne pas y prêter plus d’attention et continua ma promenade, me focalisant plutôt sur cette femme et sa petite fille.
Elles marchaient à une quinzaine de mètres devant moi. La daronne avait l’air plutôt gironde, avec un valseur adéquat pour mes mains et une démarche qui donnerait le tournis à un DSK en liberté. Elles se sont arrêtées pour regarder les cygnes frimeurs faire leur intéressant devant un public conquis. La petite s’extasiait devant le spectacle magnifique donné par les palmipèdes, elle se méfiait un peu et tenait fermement la main de sa mère, comme pour se protéger d’un quelconque danger.
Je fus cueillis par ce touchant tableau et resta un moment à les contempler toutes les deux … le temps à mon fidèle cerbère d’examiner avec précaution une touffe d’herbe qu’un compatriote canin avait dû souiller de son urine quelques heures auparavant.
Soudain, une détonation terrible se fit entendre, suivi immédiatement par un cri sourd et déchirant lancé par mon chien. Je vis celui ci s’écrouler. Je compris à l’instant ce qui était en train de se passer.
-Couchez vous !! on nous tire dessus, criais je en direction de la mère et de sa petite fille.
La panique s’empara de la rive si tranquille, les cygnes tentaient de s’envolait dans un vacarme assourdissant, les gens criaient, tandis que d’autres balles sifflaient autour de nous. Je sauta dans le fossé, à l’abri derrière les épais fourrés. De là, je pus prendre le temps d’analyser la situation. Celle ci, me paraissait pour le moins grave, voir terrible. Couché sur le flan, au milieu de l’allée, mon fidèle compagnon, mon équipier de choc me regardait de son œil inquiet et fiévreux. La pauvre bête haletait. Je lui fit signe de ne pas bouger, de rester peinard. La balle était venue mourir dans le gras de sa cuisse. Par chance, à cette distance, le projectile n’avait pas du faire trop de dégâts.
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Je reviens te chercher tout à l’heure, mon pôte.
Un rapide coup de gyro me suffit à identifier la provenance des tirs. Ceux ci venait de mon cycliste de tout à l’heure. Il se tenait à une centaine de mètre, son vélo sur béquille et lui debout à coté, son 22 à la main, il était en joue et cherchait de nouvelles cibles.
Je n’avais même pas mon calibre sur moi … quel imbécile. Jamais je n’aurai imaginé que cette petite ballade bucolique allait se transformer en fusillade. Je ne disposais pour unique arme, que de mon couteau, qui me sert plus souvent à découper le saucisson qu’à mettre hors de nuire, un excité de la gâchette. Je me traînais au milieu des buissons, en direction du tireur. Je profitais de la panique générale pour me hâter et rapidement je me trouvait à quelques mètres de l’agresseur.
Il avait des yeux rougis de haine, il transpirait, bavait, il semblait presque en transe. Nom d’un cul, comment un type peut-il avoir autant de rage en lui pour prendre son pied à tirer sur de pauvres innocents, des femmes, des enfants, mon chien ? Ce type avait complètement vrillé, perdu tout sens commun, il était devenu totalement incontrôlable. Si je ne parvenais pas à l’arrêter, il allait faire un massacre. Je n’avais pas le choix. Aussi, profitais-je d’un bref instant où le cycliste tueur rechargeait son arme pour me ruer sur lui. Je lui sauta dans les jambes et enfonça mon couteau dans sa cuisse et prenant bien soin de faire tourner la lame. Sous l’effet de surprise de l’attaque et de la douleur, il lâcha le fusil et se baissa pour se tenir la cuisse. J’en profitais pour me relever et lui asséner une droite au menton dont il se souviendra longtemps. La beigne magnifique avec un ticket de rendez vous chez le dentiste en prime. C’en était trop pour un seul homme, il vacillait. C’est alors que je lui décocha le coup de grâce, je pris mon élan et lança toute ma hargne dans un direct au foie. Le gus fût comme foudroyé et tomba lourdement sur le sol. Plus de son, plus d’image. Il était en mode veille, seule une petite lumière rouge derrière ses yeux témoignait que cezigue était encore en vie. Pour le reste, il ne faudra rien lui demander pendant quelques heures.
Il se passa tout de même une poignée de minutes avant que ne sortent des buissons, des enfants tremblant et pleurant, des parents horrifiés et traumatisés par cet épisode terrifiant.
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Il est mort, demandait en sanglotant un petit bonhomme de huit ans à peine.
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Non, petit, il dors, je lui ai juste chanté une petite berceuse pour qu’il s’endorme plus vite, répondis-je au minot en lui caressant la tête.
Un type me tape sur l’épaule, en me remerciant de lui avoir sauvé la vie, puis tous se mirent à me dire merci.
Heureusement que vous étiez là … sans vous, nous serions sans doute morts… vous êtes un héros. Et bla, bla bla, j’entendis toutes sortes de sornettes qui mirent mes nerfs en pelote.
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Mais fermez la, bande de cons, leur criais je dessus.
Effectivement, j’ai sauvé vos petits culs. Sans moi, l’autre zig vous aurait certainement troué la peau. Vous pensez sans doute que ce type est un taré, un fou furieux, un malade mental ?
Regardez le bien en face, ne détournez pas vos regards, contemplez le, car c’est vous qui avaient engendré un tel monstre. A trop se nourrir et à trop encourager la sous culture, celle distillée par TF1, les télé-réalités et les chaînes d’infos. A force d’apprendre à vos enfants qu’il faut toujours être meilleur que l’autre, quitte à l’écraser, à l’humilier. Que la vie ne serait qu’une absurde compétition où la carrière et le paraître seraient plus important que le bien-être. Cette fuite en avant, cette sur-consommation où l’environnement importe aussi peu que l’exploitation des enfants qui fabriquent vos smartphones à l’autre bout du monde. Tout cela a participé à sa folie. Vous foncez dans le mur et vous entraînez toute l’humanité avec vous.
Vous ne voyez pas ceux qui restent sur le bord de la route et qui accumulent les frustrations, sans rien dire, se sentant de plus en plus rejetés par une société devenue elle aussi, inhumaine, cela année après année et qui un jour, tel le personnage de De Niro dans Taxi Driver, décident un beau matin de passer à l’acte et de commettre l’irréparable.
J’appelle cela le syndrome Taxi Driver et à chaque fois qu’un fait divers nous relate ce genre d’histoire, je pense à ce film et je me dis : Tiens encore un Taxi Driver.
Vous n’avez que ce que vous méritez, maintenant poussez vous, faut que j’aille secourir mon chien qui m’attend sagement, une balle de 22 plantée dans la cuisse.
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