Splendeur et misère de la friche industrielle

Puisque la seule chose qui sépare l’Homme de la bête est un goût marqué pour la destruction, poursuivons notre oeuvre de démolition et de désacralisation des mythes et autres fariboles qui encombrent l’inconscient collectif et qui nous amènent parfois à penser que le monde serait parfait, n’eut été la désolante engeance qui le mène à sa ruine et dont, à notre corps défendant, nous devons bien admettre que nous sommes partie prenante.

Notre merveilleux département est ainsi jalloné d’ouvrages dont la laideur le dispute à une incongruité architecturale insultante envers la Nature qui tarde à reprendre ses droits. Telles des madeleines de Proust et d’acier (et pourquoi attribuer à Proust ce qui est à Liverdun?), ces mânes du bassin industriel rappellent au coeur du Lorrain nostalgique que sa Région fut l’un des berceaux de la sidérurgie et de l’extraction des minerais qui ont contribué à polluer et à empoisonner le monde entier pour les siècles des siècles. Si l’on peut aisément comprendre, en ces temps d’incertitude où l’on se demande si la Troisième Guerre Mondiale viendra de Chine, d’Iran, de Wall Street ou des trois, que le chômeur s’inquiète de  ce qu’il adviendra de sa progéniture quand ses droits aux minimas sociaux arriveront à échéance, on peine tout de même à comprendre comment être nostalgique de ces temps grisâtres .

Bien sûr, le sociologue du prolétariat viendra faire son malin en nous jettant au visage le gant nacré de la conscience de classe et du bonheur de se tuer à la tâche pour MM. Wendel & consorts et pour un salaire de misère, mais nous ne répondrons pas à cette dérisoire provocation, car comme le disait Jésus ou Karl Marx ( je n’ai jamais sû les différencier), il faut faire du passé table rase. La dictature du prolétariat a à peu près autant de chances de se concrétiser que la désignation d’un candidat de gauche à la tête du Parti Socialiste.

Pour couronner leur quête de saccage et d’immondices, les industriels, qui veulent bien repeindre tout un panorama en gris mais en dépensant le minimum d’argent, ont transféré leurs usines dans des pays où on est moins à cheval sur la dignité et l’écologie. Pour que l’ouvrier de la vallée de la Fensch ne soit pas trop triste, ils lui ont laissé en souvenir des paysages désolés par les monstres de fer, et un joujou qui, tel Gengis Khan, finira par arracher le dernier brin d’herbe de la main de l’enfant  à qui on tentera vainement d’expliquer ce qu’est  un arbre: la voiture. Si l’Homme, qui est si belliqueux qu’il utilise le vocabulaire guerrier même pour parler d’amour, a pu affirmer que le cheval était sa plus noble conquête, on peut également affirmer que l’Homme est la plus belle conquête de l’automobile.

Pour plaire à son amas de tôle, l’être que nous qualifions avec de plus en plus de consternation d’humain a transformé de riantes vallées en horribles autoroutes, de majesteuses demeures en parkings aussi vides qu’idiots, il a transformé ses villes élégamment pavées en tristes Venises de bitume où nul gondolier ne chante de sérénade, il a trucidé plus souvent qu’à son tour son voisin pour s’assurer que sa chère Titine ne manquera pas de carburant, et il a invité toutes les espèces qui n’étaient pas la sienne à passer le permis de conduire ou à aller voir ailleurs si le berger y était. Il a même poussé  l’outrecuidance jusqu’à  faire accroire que la puissance de son cercueil roulant entretiendrait un rapport avec la taille de son appendice sub-pubien. Si l’on suit ce raisonnement oiseux, les conducteurs de voitures électriques sont-il mieux équipés en sex-toys que le commun des mortels qui continue à pratiquer le missionnaire sur les rivages mille fois explorés de son épouse qui ne côte plus rien à l’argus?

Dans un prochain épisode, nous irons (à pied) rire des tenants du développement durable, et pour tempérer notre joie mauvaise, nous regretterons que les industriels n’aiment le vert que sur les billets de banque.

 

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