Je ne vous expliquerai pas pourquoi, en ce début d’année, mes pensées vont à Christophe Colomb et à son voyage aux Amériques. Non, je ne parle pas de découverte : vous êtes instruit et cultivé, vous savez donc, d’une part, que le continent et ses habitants existaient déjà depuis longtemps quand les caravelles espagnoles y ont accosté ; vous savez aussi qu’il est attesté que les côtes américaines avaient déjà été visitées longtemps auparavant, notamment par les Phéniciens et les Vikings, mais sans que cela débouche sur la création d’une route maritime exploitable à long terme, les techniques de navigation antiques ne permettant pas de refaire régulièrement un voyage aussi long que la traversée de l’Atlantique. Disons donc que Colomb a créé le lien entre deux mondes qui cohabitaient sur la même planète sans se connaître et que cette rencontre n’a pas été des plus avantageuses pour les indigènes du « nouveau monde ». Certaines représentations du navigateur rappellent irrésistiblement à l’observateur moderne les traits de Coluche : peut-être ce dernier aurait-il décroché le rôle principal dans le film de Ridley Scott à la place de Depardieu, s’il avait vécu ?
Quoi qu’il en soit, vous savez sans doute qu’il a fallu huit ans à Christophe Colomb pour convaincre les souverains d’Espagne, Ferdinand et Isabelle, de financer son expédition vers les Indes Orientales (sic.) par l’Océan atlantique. Ce que vous connaissez peut-être moins, c’est la raison pour laquelle leurs majestés ont tant attendu pour payer au navigateur génois sa flottille de trois caravelles. Il faut donc que vous sachiez que, quand Colomb entra à la cour d’Espagne, Ferdinand et Isabelle ne chômaient pas puisqu’ils étaient en pleine reconquista ; en d’autres termes, ils étaient trop occupés à chasser les souverains musulmans qui régnaient sur la péninsule ibérique depuis sept siècles (c’est dire si la « reconquête » catholique ressemblait plutôt à une invasion) pour s’occuper sérieusement de ce que Colomb leur proposait. Si l’année du premier voyage de Colomb, 1492, est aussi celle où le dernier roi musulman d’Andalousie a été vaincu, ce n’est certainement pas un hasard : avant de lancer l’expédition du Génois, les rois catholiques ont attendu que leur victoire soit totale ; leur « victoire » fut d’ailleurs une catastrophe culturelle et humanitaire pour la péninsule puisque, non contents d’avoir mis à bas l’une des civilisations les plus prodigieuses et les plus florissantes de tous les temps, ces sagouins de cathos ont aussi mis un terme à la tolérance religieuse que pratiquaient les souverains mahométans : si Colomb est parti du petit port de Huelva, c’est parce que celui de Cadix, grande porte maritime de l’Espagne, était encombré par les Juifs qui, après des siècles de cohabitation pacifique avec musulmans et chrétiens, étaient désormais priés par leurs très saintes majestés catholiques d’aller se faire pendre ailleurs…
Conclusion : quels que soient les lieux et les époques, les chefs d’Etat sont bien tous les mêmes : quand il s’agit de chasser les immigrés pour remonter dans les sondages, il y a du monde, mais dès qu’il faut financer la recherche, il n’y a plus personne !