Tourne, tourne, petite roue qui se joue du destin des mortels : l’être le plus misérable devient nabab comblé, la plus aimable des créatures devient charogne rebutante, tu tournes et tournes encore.
Tourne, tourne, petite roue impassible malgré les démons farceurs : leurs regards louchent à force de te suivre, ils tentent de t’arrêter dans ta course sans fin, ils risquent d’être broyés, tu tournes et tournes encore.
Tourne, tourne, petite roue que ni les flots ni les vents ne peuvent perturber : que te sont les fortunes de mer qui ne dépendent que de toi, même le trident de Poséidon ne t’effraie pas, tu tournes et tournes encore.
Tourne, tourne, petite roue que toise le démon roi, premier parmi ses égaux : sa suprématie n’a qu’un temps, ton arrêt n’est que provisoire, tu l’écraseras toujours assez tôt au prochain tour, tu tournes et tournes encore.
Tourne, tourne, petite roue faite de tous les matériaux, des plus vils aux plus nobles : le vois côtoie l’or, l’acajou côtoie l’émeraude, qu’importe, tous passent par le même trou, tous retournent à la poussière, tu tournes et tournes encore.
Tourne, tourne, petite roue au mouvement insaisissable : on ne peut te représenter qu’immobile, aucune image ne t’est fidèle, tu tiens l’artiste en échec. Reste donc à tourner si ça te chante de tourner, tu tournes et tournes encore.