Perdre son temps à en gagner (3è partie)

 

« La politique, c’est l’écume sale sur la surface de la rivière, alors qu’en fait la vie de la rivière s’accomplit à une bien plus grande profondeur »

Milan Kundera

 

On est pas bien, là, à parler de forêts, de files d’attente et de temps pendant qu’une dizaine de malades à l’égo hypertrophié se disputent pour endosser le costume de plus français des Français et poser leur séant sur le trône que Renaud leur réservait dans l’impérissable « Hexagone »? Un philosophe que je cite abondamment (et dont je tairai désormais le nom en me contentant de le décrire par sa moustache de morse) disait que la politique était l’activité des médiocres, des gens sans passion et sans talent qui voudraient être aimés pour tout le génie qu’ils n’ont pas. Peut être bien que la partie de la phrase située après la virgule est de moi, mais si je ne cite plus le penseur de Sils Maria, rien ne m’interdit de me citer moi-même, après tout c’est ma chronique et tant qu’on ne me jettera pas des cailloux pour que j’arrête je ferai ce que je veux.

Pour finir cette méditation sur le temps perdu mais pas pour tout le monde, commençons donc une troisième partie que l’on nommera « Histoires d’eau », non pas en forme d’hommage au bréviaire sado-maso de Pauline Réage, je vous vois venir avec vos fouets et vos pinces à tétons, mais parce que l’on va parler de rivières. Pendant que de gros dégueulasses armaient leurs appâts et leurs cannes à pêche pour torturer de malheureuses truites sur les bords de la Moselle, j’ai pris deux livres dans ma désormais fameuse grotte, deux petits ouvrages de poche que je vous  encourage fortement à  lire parce que je ne vais pas vous mâcher tout le boulot, mais je vais quand même vous les résumer rapidement.

Le premier se nomme « Histoire d’un ruisseau » d’Elisée Reclus. L’auteur est un célèbre géographe, communard et proche de Bakounine. Au fil des pages, Reclus décrit toute l’existence d’un cours d’eau, depuis la source jusqu’à ce qu’il jette dans une rivière, dans un fleuve, dans une mer ou un océan. Tout au long de son existence, le cours d’eau change d’aspect. Il est source cristalline, mince filet dans un champ, torrent de montagne, fleuve paisible et majestueux en plaine, il entre en crue quand les précipitations s’affolent ou s’assèche sous l’effet de la canicule. De même, toutes ces étapes contribuent à façonner  le paysage en creusant des vallées, en perforant la roche, en hydratant tout un bassin, et ce aussi bien à brève échéance que sur des millénaires; il est aussi nourricier ou assassin quand il sort de son lit. Fort heureusement, l’auteur n’écrit pas comme dans un manuel scolaire mais parvient à mettre son verbe, de façon quasiment poétique, au service de son propos: la vie du cours d’eau suit le parcours d’une existence humaine, et inscrit la moindre action dans une série de causes et de conséquences agissant à l’échelle universelle, ce qui est une théorie fréquemment défendue par les anarchistes et un certain monsieur à la moustache de morse.

Deuxième ouvrage: « Siddharta » d’Hermann Hesse. Il s’agit d’une fiction autour de la vie de Bouddha, mais le gros joufflu dont les talibans aiment tant à détruire les représentations n’est qu’un prétexte érudit pour inviter le lecteur à se défier de toute doctrine et toute autorité, à trouver soi-même sa propre voie vers le bonheur. Là encore, quand Siddhartha devient batelier à la fin du livre, il apprend à devenir ami avec le fleuve, car il comprend que de sa source à son embouchure, et au travers de tous les états décrits dans le paragraphe précédent, il s’agit toujours du même fleuve, appelé à devenir ce qu’il est. Il est à la fois un obstacle pour ceux qui voudraient le traverser, et un conseiller dans la recherche de la simplicité qui sied à une existence heureuse. Pour qui sait l’observer, le fleuve enseigne que le temps est en réalité une illusion.

Quelles leçons tirer de cette croisière en bateau-livre, sinon que j’emploie merveilleusement bien le calembour éculé? D’abord que la philosophie au bord de l’eau a découvert depuis des siècles ce que la physique (mécanique ou quantique) commence à peine à soupçonner, à savoir que le temps est une dimension plus que variable, qui pourrait même ne pas exister. Disons ensuite que l’emploi du temps est le plus grand ennemi de l’humanité, et que la première des servitudes c’est de compter le peu d’heures dont on dispose dans une journée pour vivre intensément et selon ses goûts. Exemples: se contraindre à se coucher tôt pour se lever tôt (et subir l’humilation du réveil), se dépêcher et être perpétuellement en retard par la faute de contraintes absurdes, passer des heures à attendre dans des espaces où la convivialité est pour le moins réduite, passer dix longues minutes à lire cet article, et accuser son âge d’être un voleur de temps. Enfin qu’à l’instar du fleuve, la vie de sa source à sa fin est une série de changements d’états faite de pointes, de remous, de cascades déferlantes, mais qu’elle est toute une et qu’elle finit toujours par trouver son chemin, ce qui doit arriver ne pouvant pas ne pas arriver dans l’enchevêtrement de causes, d’effets et de forces qui traversent le monde.

En conclusion, nous affirmerons que ce n’est pas parce qu’on a appris des choses au bord de l’eau qu’on va se mettre à en boire.

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