« Il y a quand même moins d’étrangers que de racistes en France »
Coluche
Anecdote authentique: lundi dernier à un concert à Luxembourg, la claviériste du groupe que j’étais allé voir a déclaré adorer la France et son public. Ca a un peu fait grogner les sujets du grand-duc qui comprennent l’anglais, et ça a bien fait rire tous les autres nationalités representées dans la salle. A titre personnel, je savourais autant le concert que la liberté de fumer dans la salle, et j’en ai déduit deux choses: la première, sans rapport avec le sujet qui nous préoccupe, est que l’on peut parfaitement mener une brillante carrière artistique et être une buse en géographie européenne. La deuxième est que si les Américains se mettent à confondre Luxembourg avec nos riantes bourgades de province, c’est que vraiment, la France va à vau-l’eau. (je précise à l’intention de nos lecteurs luxembourgeois sourcilleux et prompts à dégainer l’arrogance innée aux Fransous que je plaisante et que vous serez allègrement vengés dans les paragraphes suivants).
Entre deux murges à faire passer Bukowski pour un pénitent se rendant à genoux à Saint Jacques de Compostelle et un petit concert de bon aloi, j’ai quand même le temps de lire des livres. Celui qui nous intéresse aujourd’hui se nomme « Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises » du journaliste François Reynaert. Dès l’introduction, l’auteur précise son intention de démonter les mécanismes de l’Histoire dite « officielle », pour l’alléger de ses relents nationalistes. Nombre de clichés qui parsèment l’enseignement de l’Histoire commencent déjà à être désamorcés dans l’opinion publique, de nos fameux ancêtres gaulois, en passant par Clovis qu’on considère comme le premier roi de France alors qu’outre-Rhin on le dit allemand bien qu’il soit né en Belgique, via Jeanne d’Arc la pucelle foldingue de Dieu qui me donnerait presque envie d’être alsacien (mais non, mon petit reprends-toi) jusqu’à notre futur ex-président, les mythes ont la peau dure et les tripotages des programmes scolaires n’y sont pas pour rien, mais la vérité suit son chemin.
Pour faire court (et parce que j’escompte bien que vous lirez l’ouvrage vous-même), Reynaert démontre à merveille que sur la période de deux mille ans que recouvre le livre, tout ce que l’on a pu nommer, patrie, civilisation, héros nationaux et tout le saint frusquin, n’est que récupération ultérieure, afin de créer la fiction d’une France qui aurait grandi comme un organisme doué de vie et d’esprit. Les tribus celtiques qui parsemaient l’Europe occidentale porteraient ainsi à leur corps défendant les germes du génie français qui donnèrent la vie à Baudelaire, à Villon, à François Ier, à Marcel Duchamp et à Franck Ribéry (j’ai quand même un doute pour ce dernier). Quand on observe d’un peu plus près , on s’aperçoit que la formation de la France doit plus à d’obscures réalités foncières, à des guerres, des héritages et des mariages qui ont plus fait pour la consanguinité monarchique que la famille de Monaco pour Paris Match. Le sang qui abreuve les sillons de notre glorieuse patrie doit moins à nos estimés ancêtres gaulois, romains, barbares, arabes et tous les peuples qui ont trouvé un jour notre climat clément, qu’au premier roi qui a décidé que l’Etat c’était lui, François Ier pour le citer, et que tout le monde devait parler la même langue pour bien comprendre les ordres. A titre d’exemple pendant la guerre de Cent Ans, les habitants n’en avaient rien à talquer que le roi vive à Londres ou à Paris, ils ont choisi celui qui promettait la paix et moins d’impôts.
Néanmoins, en ces temps électoraux où on se demande si le bleu-blanc-rouge vaut mieux que le rouge tout court, si Jeanne d’Arc est plutôt facho bon teint ou symbole de l’esprit de fronde qui anime les Français (pas plus de deux fois par siècle quand même, faut pas déconner) et si l’on peut encore repousser les hordes d’islamistes qui se bousculent à nos frontières à cause de l’accord de Schengen (encore au Luxembourg, comme par hasard), commettons ensemble une petite infraction passible de 1500 euros d’amende et chions dans les drapeaux de toutes les couleurs et dans le bénitier qui serait le berceau de l’Europe. François Reynaert émet une supposition qui pourrait lui valoir un lynchage en bonne et due forme dans un meeting de la France forte. Imaginons que Charles Martel n’ait pas arrêté les Arabes à Poitiers. Croyez-moi, je connais bien Poitiers, à mon avis ils sont partis tout seuls quand ils ont vu le bled, mais bref, supposons. La France serait devenue une terre musulmane, et là enfer et damnation vous dites-vous en pensant à vos conjointes et vos femmes voilées, à votre barbe hirsute, au boeuf bourguignon halal et au pastis sans alcool, le tout dans un enfer hérissé de minarets. Mais détrompez-vous: dans les temps obscurs dont il est question, la culture musulmane était infiniment plus raffinée que la civilisation qui avait cours en France. Les Arabes pratiquaient une certaine tolérance religieuse, avaient ressuscité la philosophie et les mathématiques grecques antiques, avaient perfectionné l’astronomie et la cartographie au contact des Chinois et construit des universités de prestige comme celle de Cordoue. Et c’est ainsi que la langue française (et encore plus l’espagnole) est pétrie de mots arabes qui sont venus compléter un vocabulaire déficient. Au final, on ne s’en serait peut-être pas trouvé plus mal. J’espère que ça fait bien mal aux seins de Marine Le Pen et de Claude Guéant.
Ainsi, quand Sarkozy a le front (le jeu de mots n’est presque pas intentionnel) de déclarer que la langue française porte un génie national qui n’aurait cours que de Lille à Perpignan et de Brest à Strasbourg, et qu’il convoque des racines culturelles immémoriales pour faire péter de trouille les moutons qui craignent de croiser un bronzage trop marqué ou un accent trop chantant dans un isoloir, vous saurez que comme d’habitude, il ment. Idem quand il parle de la France, de la nationalité, de la frontière, de notre langue qui serait plus belle que toutes les autres (mais combien en maîtrise t-il d’autres, et pourquoi persiste t-il à maltraîter celle qu’il pratique le plus souvent) il manipule des fictions utiles pour regrouper les ovins et leur inculquer la peur du loup.
La France est sans doute un beau pays d’un point de vue géographique, mais la fonction à laquelle Sarkozy et Hollande prétendent c’est président de la République, pas au trône de France. Et la république, elle se fout du drapeau et de nos ancêtres les Gaulois, elle vise à instaurer l’égalité des droits et les conditions propices à l’exercice de la liberté.
En vérité je vous le dis les copains et les copines, la France, ça n’existe pas.