Pour en finir avec les chansons d’amour

 

Ca ne tombe pas forcément sous le sens au regard du ciel pesant, emphatique comme un discours de candidat à la présidentielle, et lourd comme une blague de feu Thierry Roland, mais aujourd’hui c’est l’été. Le jour béni des divinités solaires, le solstice tant attendu où la Terre se trouve à l’aphélie de son orbite, et après ça fait rien qu’à décliner.

Ca ne vous paraîtra pas non plus forcément évident quand vous verrez Daniela Lumbroso ou une quelconque perruche télévisuelle annoncer la lie de la chanson française à la télévision, ou encore quand l’énième fanfare de l’amicale des bruiteurs de Montcul viendront cacophoner sous vos fenêtres, mais c’est aussi la fête de la musique. Grâces soient rendues aux électeurs vosgiens qui ont eu le bon goût de renvoyer Jack Lang à ses pénates pour le punir de nous infliger une fois l’an le vacarme des musiciens en herbe, plus connaisseurs d’ailleurs en herbe qu’en musique, alors que nombre de musiciens de rue se meurent sur le trottoir tout le reste de l’année dans l’indifférence générale. Au moins le printemps de la poésie, ça ne fait pas de bruit.

Tiens, puisqu’on parle de musique: j’apprends que le rappeur Orelsan a été relaxé dans le cadre de l’affaire qui l’opposait à Ni Putes Ni Soumises. Petit rappel des faits: Orelsan a pondu en 2009 une bluette tendrement intitulée « Sale pute », dans laquelle le locuteur énonce les sévices qu’il compte faire subir à l’inconsciente qui vient de le quitter, on se demande bien pourquoi, un si charmant garçon. La chanson avait provoqué un scandale en son temps, à telle enseigne que même la toujours très claivoyante Ségolène Royal avait menacé les Francofolies de retirer la subvention régionale si Orelsan était programmé. Mais non, ce n’est pas de la censure, ne voyez pas le mal partout. L’association féministe Ni Putes Ni Soumises y a vu une incitation au meurtre, mais le juge a estimé que le texte incriminé, même s’il ne brille pas par son lyrisme, ressortait de la liberté de création. Un jugement frappé au coin du bon sens: si l’on suit la logique de NPNS, on pourrait aussi bien interdire les Contes de Maldoror, les Liaisons Dangereuses, et la floraison de séries policières qui envahissent le petit écran.

D’ailleurs, depuis ce procès, le rappeur et l’association se sont plus ou moins réconciliés. Orelsan, qui compte pourtant quelques bonnes chansons à son répertoire, s’est fendu d’un single mièvre et niais intitulé « la Terre est ronde » où il explique que la planète doit sa rotondité au fait que c’est plus pratique pour rentrer à la maison après un tour du monde et gna gna gna, il a gagné une victoire de la Musique, et les féministes l’ont félicité pour son changement d’attitude.

Mais mesdames, faisons fi des éjaculateurs précoces sévèrement burnés du hip-hop et du rock qui prennent les femmes pour des poupées gonflables juste bonnes à rouler des joints et du fessier sur des rythmes encore plus pauvres que le vocabulaire de Frank Ribéry, ainsi que des chanteuses qui misent sur leur anatomie avantageuse pour cacher leur manque total de talent. Je vous propose un os à ronger autrement plus conséquent et contre lequel, à ma connaissance, personne n’a jamais daigné saisir les tribunaux. Autant vous le dire, il y a de quoi engorger les palais de justice pour les siècles des siècles.

Depuis que l’Homme s’est rendu compte que la vibration d’une corde, d’une membrane ou d’une peau tendue pouvait s’accorder aux vibrations de son coeur, il s’est mis en tête d’écrire des chansons d’amour, et pis encore, de couiner tout son chagrin qui ferait passer Baudelaire pour un ancêtre de Louis de Funès, sur des chansons de rupture. La recette est simple, et elle rapporte gros: trois accords mineurs, une tête d’enterrement, des bons sentiments dégoûlinants, et un champ lexical qui n’a pas évolué depuis le XIIè siècle et « les chantres bêlants qui vont se frappant le coeur en léchant le cul d’Aphrodite », comme le disait si bien Georges Brassens.

Que d’odes, que d’aubades, que de poésies hyperglucidiques et conformistes comme un régiment de l’Opus Dei, que d’hymnes à périr d’ennui et de diabète eurent été évités, Mesdames, eussiez-vous consenti à vous pencher sur cette anomalie culturelle qui attache invariablement les coeurs par deux pour l’éternité ( quand bien même l’éternité dure en général ce que durent les roses); et que la cause féministe aurait progressé si vous aviez assigné Julio Iglesias et tous ses semblables devant les tribunaux pour les empêcher de brâmer leur affection pour le modèle patriarcal auquel, je le déplore, tant de nos soeurs, et peut-être même vous, souscrivent encore!

Quand à vous, Mesdames et Messieurs qui persistez à étaler votre vie privée sur la quasi-totalité de la bande FM et numérique, je vous en conjure, cessez de nous briser les noix avec vos états d’âmes! Vous êtes amoureux, j’en suis sincèrement heureux pour vous, mais gardez vos épanchements pour le secret de l’alcôve. Est-ce que vous vous sentez obligé de nous infliger la vidéo de vos ébats? Non, alors gardez aussi vos bêlements pour votre chèr(e) et tendre. Et si, dans les sombres abysses de la déception amoureuse, vous recherchez une oreille attentive et une bouteille consolatoire, je suis tout prêt à vous écouter pérorer (mais pas trop longtemps, faut pas abuser), ou achetez une corde, ouvrez le gaz, tout ce qu’il vous plaira, mais de grâce, rangez la mandoline et désertez les studios d’enregistrement ou je vous fais bouffer tout le matériel.

Pour finir, je vous encourage à écouter « It ain’t me » de Bob Dylan, la « Non-demande en mariage » de Georges Brassens, ou la constellation de chanteurs et chanteuses libertin(e)s qui ne passent pas à la radio pour cause de provocation ou de mauvais goût, c’est nettement moins hypocrite que la dictature du conformisme (fut-il farouchement monogame ou héraut d’une sexualité consumériste) qui squatte les ondes.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *