Samedi soir, vingt trois heures, j’arrive pile à l’heure prévue. Je gare ma Mustang le long du trottoir, juste devant le bar où mon contact m’a donné rendez vous. Je reluque un peu les lieux, je connais ce quartier. Crois moi, tu n’y emmenerais pas tes gosses faire une promenade, ça craint, ça sent le voyou et la pute bon marché à plein nez. J’ai déjà serré assez de gars ici pour remplir l’aile nord de la maison d’arrêt de Queuleu. Bon, un coup d’oeil rapide à mon équipier, lequel, d’un clignement des siens me fait comprendre qu’on peut desendre de l’auto. Je m’execute, lui ouvre la portière et le voilà qui se jette sur le premier reverbère venu afin d’y soulager sa vessie capricieuse.
_ T’as de la chance de pouvoir pisser quand tu veux … lui lancais je.
Il se retourne et me regarde en voulant dire: ben oui, mais n’oublie pas que je suis un clébart … et pas n’importe lequel, la meilleure truffe du pays.
_ Salut inspecteur, alors on vient se payer un peu de bon temps ?
Je me retourne et aperçoit une grue adossée à un mur crasse. Putain, Sergio, le travelo portugais que j’ai coffré il y a quatre ans.
_ Tiens, Sergio, mais c’est que tu ressembles de plus en plus à une vraie fille. Ma parole, dans la nuit et avec une bouteille de whisky dans le cornet, l’illusion serait presque parfaite.
_ Pas de Sergio ici, mon joli. C’est Nina.
_ Nina ou Sergio on s’en branle. Le jour où mon équipier t’a chopé les valseuses, y avait pas de doute sur ta virilité.
_ Oui, mais ça c’était avant. D’ailleurs, je vois que tu l’as encore, ton affreux cabot.
_ Une équipe, c’est une équipe, Sergio et lui manque pas de respect, il raffole du tartare de moule en ce moment.
Sur ces entrefaites, je laisse mon travelo velu sur son trottoir, à la recherche d’un gonzier à plumer et je pousse la porte du bar où m’attend mon contact.
Autant te dire, Albert, que notre entrée est plutôt originale. Ca ne doit pas arriver souvent, un type comme moi, accompagné d’un basset hound qui entrent dans ce bouge. Tu parles d’un bar, mon ami, ça transpire le claque là dedans et les deux gonzesses qui s’affèrent à ruiner la carte bleue d’un pauv’ gars sur une banquette confirment mes soupcons.
Je m’installe au comptoir, fais un signe au serveur afin qu’il ramène sa fraise.
_ Salut vieux, j’ai rendez vous avec Marie, tu veux bien m’annoncer et me servir un scotch en attendant.
Le porte-boisson est plutôt avare en mots puisque sa réponse se résume à un lèger bruit de bouche qui semble vouloir dire Ok.
Tandis que je sirote mon verre, peinard, mon fidèle cerbère me file un coup de museau dans les guibolles et me désigne du même museau, l’arrivée de la divine Marie.
Cette gonz’ m’a toujours rendu dingue, un chassis digne des plus belles américaines avec un pare choc rutilant contre lequel t’a envie de te blottir en t’endormant. Le genre de souris que tu aimes autant voir venir que regarder partir.
_ Salut inspecteur … suis moi.
Faut pas me le dire deux fois, ma belle. Un cul pareil, je le suivrai jusqu’en enfer si il le fallait. Elle m’amène dans une petite alcôve, située au bout du bar. On s’assied.
_ Bonjour Marie, que t’arrives t il ? La dernière fois que tu as eu besoin de moi, c’était parce que Dédé le borgne avait mis un contrat sur toi, je crains le pire ma poule.
_ Non, t’inquiète pas, rien de grâve. C’est juste très important pour moi que tu sois là.
Je n’arriverai jamais à comprendre pourquoi cette fille a toujours preféré sa vie nocturne et dissolue à celle que je voulais lui offrir. Pourtant, c’est la seule pour qui j’aurais accepté d’envoyer promener ma vie d’éternel celibataire.
_ Ecoute, me dit elle, je viens de découvrir un truc complétement incroyable, faut que je te mette au parfum.
Elle fait un geste au serveur. La musique de fond, jusque là insignifiante stoppe immédiatement. Elle prend sa coupe de champagne rosé, et la portant à sa bouche m’envoie un clin d’oeil qui, en plus de provoquer une décharge de cent mille volts dans ma poitrine, fait sursauter monsieur Grandes-Oreilles qui dort à mes pieds.
Le silence est stoppé par un riff de guitare ravageur et un groove venu tout droit de l’enfer. Soudain, la voix entre en piste.
_ Putain, mais c’est lui, me dis je tout bas.
Marie me tend le boitier du CD
_ Voilà ce pourquoi je tenais tant à te voir. Ce disque est tout à fait incroyable, presque inhumain.
Tu parles Charles, il s’agit en fait du dernier album de Gov’t Mule, que la charmante princesse a choper en avant première.
Rarement un groupe n’aura été autant respecté que celui là. Des simples fans de rock, en passant par les metalleux, les jazzeux, ce groupe bénéficie, à juste titre, d’une quasi unanimité dans le milieu.
La preuve en est le second disque, oui car il s’agit d’un double album. Un second disque donc, qui reçoit un invité différent à chaque morceau. Et il suffit de mater ladite liste pour se faire une idée de la renommée de la bande à Warren Haynes, on y trouve en vrac des artistes tels que Ben Harper, Elvis Costello, Myles Kennedy, Steve Winwood, Dave Matthews, Glenn Hugues, Dr Jones ou encore la sublime Grace Potter.
Ses grand yeux clairs me scrutent, attendant la manifestation génée de ma satisfaction. Cette gonzesse me connait mieux que personne.
_ Tu as toujours su comment me faire plaisir, ma jolie.
_ Monte le son, lance-t-elle au serveur. Puis, allongeant ses longues jambes sur moi, elle s’allume une cigarette et tire une longue taffe, la tête rejetée en arrière.
Bon, puisque la loi anti tabac n’est pas appliquée ici, je sors un Churchill Wide de ma poche et procède lentement à la mise à feu. Faut y aller doucement avec les cigares, tout d’abord tu tates, puis tu humes. Ensuite tu approches prudemment la flamme et enfin tu tires dessus.
La musique monte et à travers les volutes bleutées du havane, les courbes de Marie semblent encore plus envoutantes. Bien qu’immobile, la fumée semble pourtant la faire danser.
Ce soir, le crime se portera bien en ville, je suis bien trop occupé pour m’en soucier.
Rien que Marie, moi et la musique de Gov’t Mule.
Voilà pis c’est tout.