De la nuisance du clocher d’église

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Après nous être penché sur la curieuse propension des commentateurs politiques en mal de métaphores à vouloir marier des cyprinidae et des léporidés, intéressons-nous à un autre adage tout empreint de cette profonde sagesse populaire qui fait la gloire de la France chez le coiffeur, à la machine à café ou au comptoir des PMU. Quand le membre du peuple (c’est vous qui le dites) sent que le débat lui échappe et que son interlocuteur commence à partir en sucette, il assène un définitif: « il faut remettre l’église au milieu du village ».

Mais pourquoi? Est-ce que si l’église est légèrement en périphérie, Dieu va en prendre ombrage et va faire péricliter le petit commerce, les récoltes, et la croissance des enfants sur toute l’étendue de la commune? Est-ce une manière dissimulée de réprouver la construction d’une mosquée dans le village parce que la France est catholique, madame? Mon cul sur le beffroi, ouais: la religion chrétienne a été imposée par un empereur romain et des missionnaires psychotiques, sans quoi nous serions peut-être encore en train de célébrer Bélénos, Mithridate, ou la théière de Russell.

A mon sens, la vraie raison se situe ailleurs. Quand la sagesse populaire affirme que pierre qui roule n’amasse pas mousse et que gelée du vendredi saint gèle le pain et le vin, je veux bien parier qu’aucun protocole expérimental n’a été mis en place pour affermir l’assertion, que celle-ci n’a pas été soumise à l’approbation des pairs et vérifiée en bonne et due forme. Si la pierre qui roule n’amasse pas de mousse, c’est parce qu’elle doit être mue par une force quelconque pour rouler, et que la mousse pousse de préférence au pied des arbres qui stopperaient la rotation de la caillasse. Mais si c’est une très grosse pierre et qu’elle roule avec ses copines à la faveur d’une avalanche, elle peut très bien amasser de la mousse, des arbres et un skieur allemand distrait. Si le climat se la joue polaire un vendredi saint, le pain et le vin ne gèleront pas s’ils sont bien rangés. Faut arrêter les conneries, les sages populaires.

Tu pourrais aussi bien raconter que chat tondu se gèle les coussinets ou que mamie bouillue mamie foutue en faisant passer ça pour une tradition ancestrale que ça passerait crème. Le but n’est pas tant de décliner des vérités immuables que de se rassurer sur l’intangibilité des choses, sur le fait que demain sera exactement comme aujourd’hui et comme hier et comme tous les autres jours, qu’on continuera à couler la brasse dans une mer d’huile de morne conformisme, et que si l’église est toujours au milieu du village, c’est que tout va bien. Si tu t’emmerdes aussi bien à l’église qu’à la campagne, c’est que tu n’es pas du cru, autant dire que tu n’existes pas, sale métèque.

Ce long propos liminaire nous amène en droite ligne à une querelle de clocher qui serait risible si elle n’était pas signifiante à l’approche des élections de clocher du beau mois de mars, où je l’espère vous penserez bien à planquer le pain et le vin au cas où, parce que le dérèglement du climat n’attend pas vendredi saint. Dans le village de Boissettes en Seine et Marne s’est en effet joué un drame effroyable, une tragédie de village aussi poignante que  les meilleures pages de Guillaume Musso, une affaire qui ferait passer la quenelle pour une modeste anecdote.

Excédés par le bruit des cloches de l’église du patelin qui sonnait vêpres, mâtines et tout le tremblement à longueur de journée, un couple de riverains a saisi les tribunaux administratifs pour mettre un terme à ce bordel. Pas spécialement bouffeurs de curés, le couple était d’accord avec le maire pour n’arrêter le tocsin que la nuit, mais la cour administrative est allée plus loin et a ordonné l’arrêt pur et simple des cloches hors de leur usage civil.

Le bourgmestre, bien désemparé, se désole de la décision. Il a même réuni une pétition parce que, ma bonne dame, une tradition de 1967 autorisait les grenouilles de bénitier à faire du boucan quand ça leur chante. Depuis, les plaignants sont l’objet du courroux de leurs concitoyens, parce qu’on ne sait plus si l’église est toujours au milieu du village, et si des voyous ne vont pas profiter de son silence pour la déplacer nuitamment.

Sachez, monsieur et madame riverains, que je soutiens sans réserve votre action de tranquillisation de l’espace public. Demande au Français moyen s’il souffrirait d’entendre le muezzin lui rappeler cinq fois par jour que son dieu est grand, ou s’il tolérerait qu’une bande de skinheads en peignoir orange viennent faire des « Om » sous sa fenêtre toutes les heures. A mon avis, il appellerait promptement les roussins pour trouble à l’ordre public. Le Français de souche est bien peu mélomane, sans quoi Indochine et Florent Pagny seraient déjà en train de casser des pierres-qui-roulent-n’amassent-pas-mousse à Cayenne, aussi son oreille est rétive aux sons inhabituels. Il est également légèrement ethnocentriste, et ne laisse pas de s’étonner des croyances barbares des pas-de-chez-nous.

Mais si tu lui rétorques aimablement: « Dis donc, Français moyen, sais-tu qu’il existe des gens à la sensibilité artistique exacerbée comme l’auteur de ces lignes et ses innombrables lecteurs, que le bruit des cloches qu’on ne saurait éviter où que ce soit sur le territoire de notre beau pays, emmerde aussi profondément que cette manie de regarder sa montre, de compter les heures, de tolérer l’esclavage de l’emploi du temps et l’asservissement au réveil matin? As-tu déjà considéré que cogner ton dôme de cuivre à la volée tournante, en super-lancé ou à la volée rétrograde comme le culte qui va avec n’était pour nos ancêtres qu’une vaste action de surveillance et de recensement des bons chrétiens, par opposition à ceux qui voudraient se lever et se coucher quand ils veulent, sans crainte du retentissement du battant sur le métal? Sais-tu que notre respect pour la vie privée d’autrui nous commande de ne pas tendre l’oreille pour savoir qui se marie, qui se fait baptiser ou enterrer alors que le Républicain Lorrain fait ça sans bruit? »

Le gars ou la dame ne se demandent pas. Ça fait partie du paysage et du patrimoine, important ce mot parce que ça veut dire qu’on nous l’a légué, que c’est à nous et que si c’était pas là ce ne serait pas pareil, donc forcément moins bien. Si tu trouves les églises moches et stupides et le bruit des cloches aussi horripilant qu’intempestif, ben tant pis pour toi.

Ceci dit, je suis ouvert à la négociation. Si tous les curetons du pays voulaient bien s’acheter une montre au lieu de faire ça à l’ancienne, je suis tout prêt à retirer cette chronique.

 

 

 

One thought on “De la nuisance du clocher d’église

  1. Oui mais…. Quid du coq qui s’exprime avec délectation dès 5 plombes du mat’ où du tracteur du vigneron dans le sud qui réveille les tourissss qui roupillent encore à midi qui ont foutu le bordel toute la nuit dans le village alors que le vigneron dormait du sommeil du juste après une journée de labeur, certes coupée par une sieste entre 14 et 18h00 mais qui bosse dans les champs jusqu’à 21h00 pour éviter le surchauffe provoquée par le soleil ?

    Ou mêmeuuuuh : Le citadin, nouveau venu au village, qui gueule après le refuge de la SPA qui vient de se faire virer de son site précédent vu qu’un lotissement s’est installé et qu’on a tenté de réinstaller à la campagne où, théoriquement (je dis bien théoriquement), les habitant du coin sont tellement habitués aux animaux que ça ne les gêne pas qu’une bestiole aboie de temps à autres comme font tous les clébards ?

    Moi, qui suis un mécréant et un athée fervent après être passé par la case catho de base étant petit n’enfant poussé en cela par mes parents auxquels je n’en veux pas car ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient et que c’étaient mes parents quand même (Pffffff ! Tout ça d’un coup, j’ai soif !), bref ! J’aime bien le son des cloches dans la campagne et que ça ne trouble pas mon sommeil parce que j’ai travaillé en 3X8 continu pendant 25 ans et que mon sommeil à cause de ça est complètement bousillé et que je me réveille de toute façon toutes les 3 heures !

    Ha là là, ma pov’ dame !

    Mais bon, je n’habite pas dans le patelin où se passe ce Clochemerle et ça ne m’inquiète pas plus que ça.

    Ceci dit, a bas la calotte et vive la Sociale !

    Quoique, à propos de calotte, il y a de bons curés comme Bernard Alexandre, curé de Vattetot sous Beaumont (76), rebelle à l’évêché, tête de lard et contestataire, un des inventeurs du Cinéma à la campagne, écrivain et conteur cauchois renommé. Qu’il repose en paix ! (Métier d’cuai, métier d’berquier, è deux métiers foutus ©)

    A bientôt pour de nouvelles aventures 🙂

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