Ce matin, en relevant mon courrier, j’eus l’heur de lire sur la couverture de Metz Mag que la Porte des Allemands allait bientôt rouvrir. La vie étant définitivement trop courte pour parcourir le reste de la publication et pour s’attarder sur la prose des élus municipaux, je me mis donc en route pour ma promenade citadine préférée. Si tu veux savoir, tu contournes la Porte des Allemands, tu t’arrêtes sur le belvédère en imaginant la gueule des envahisseurs des temps anciens se demandant par où et comment assaillir ces puissants remparts, tu passes en face de l’ancien entrepôt frigorifique, et tu longes la Seille jusqu’à ce qu’elle se jette dans la Moselle. Sur l’autre rive, c’est pas mal non plus, mais on court le risque d’y croiser des enfants qui perturberont immanquablement la méditation sylvestre et pédestre qui est à l’honnête chroniqueur immondain ce que la bouteille de vin du soir est à l’honnête chroniqueur immondain.
Làs, à peine arrivai-je au bout de ma rue que je tombai nez à nez avec mon proche voisin l’évêque de Metz.
« – Ah, vous voilà, mon cher ami, me fit-il en haletant. J’allais vous faire mander d’urgence!
– D’où tu me fais mander, gros? Tu m’as pris pour un de tes moutons ou bien? Vas-y bouge ton boule papy, faut que j’aille méditer ma race sur les bords de la Seille.
– Je vous en conjure, mon brave, c’est le saint-père Jean Paul II qui a laissé une lettre pour vous, et je dois vous la remettre sans délai ».
Après avoir négocié quelques litres de vin de messe et de Metz en réparation du préjudice subi, je suivis le fonctionnaire (et oui, on est en Moselle) dans son office. Il me remit une lettre cachetée, portant la mention « confidentiel ». Le vieux grigou ne m’avait pas menti, c’était bien l’écriture de ce bon vieux Karol. Il l’avait laissée aux bons soins de l’évêché quand il était passé à Metz en 1988. Voici le texte de la missive:
» Cher Jon,
comme tu le sais, les catholiques deviennent de plus en plus cons. J’avoue ne pas y être pour rien, mais c’est le Patron là-haut qui commande, et je me demande s’il n’a pas un peu la cafetière qui fuit de temps à autre. Bref, en vérité je te le dis, un jour va venir où nos frères en chrétienté vont s’élever contre la possibilité pour les hommes de porter des jupes, des robes et autres fanfreluches. Or, un pape sans sa robe et son chapeau, c’est aussi absurde qu’un St Esprit qui débarque chez Marie avec des capotes. Je n’ai eu qu’un regret dans l’exercice de mes nobles fonctions, c’est de ne jamais avoir été habillé par Jean-Paul Gaultier. Aussi, je te prie, enfin je te demande sinon le Patron va être jaloux, de bien vouloir révéler au monde l’évangile en pièce jointe quand je serai enfin canonisé par cette bande d’arriérés qui me sert de clientèle, pour qu’il ne soit pas dit que l’Eglise et la mode sont ennemies. Tu as le bonjour de maman et des gosses.
Jean-Paul Karol. »
L’évêque piaffait d’impatience derrière son bureau, me harcelant de questions sur la teneur de la lettre et de l’Evangile qui y était attaché. Je lui fis savoir que comme tout le monde, il attendra que ceux-ci soient publiés dans le Graoully Déchaîné. Dont acte.
[…] par un beau soir de mai, onze apôtres regardaient le soleil tomber sur la ville. Assis sur un mur qui protégeait la cité, comme tous les jeunes de leur génération, ils se lamentaient.
– Ca fait un moment que je n’ai pas Jésus, les gars, vous savez ce qu’il devient? lança Matthieu.
– Pas la moindre idée. J’espère qu’il n’est pas retourné dans le désert. Les soirées sont moins folles quand il n’est pas là, répliqua Luc.
– Et Pierre? Ca fait un bail aussi qu’il a disparu, s’interrogea son frère André.
Chacun y alla ainsi de sa question, mais on a beau faire tout ce qui est en son pouvoir pour répandre la gloire de notre Seigneur, c’est un peu chiant à retranscrire. Les onze amis décidèrent de donc de contempler les soldats romains qui gardaient les portes de la ville. En effet, le charme latin des militaires et les tenues courtes qui laissaient deviner leurs cuisses musclées ne laissaient pas les apôtres de marbre, et quand l’un des légionnaires jeta une oeillade engageante à Thomas, celui-ci manqua de défaillir.
C’est le moment que Jésus et Pierre choisirent pour faire leur apparition. Pierre arborait une longue robe immaculée et un chapeau doré de soie rouge, rehaussé de broderies et de pierres précieuses.
– Alors, les amis, qu’est-ce que vous en dites? Je te l’avais dit, tu t’appelles Pierre et sur cette pierre je bâtirai ma maison de couture!
– C’était pas une Eglise que tu devais fonder? s’étonnèrent les apôtres.
– L’un n’empêche pas l’autre, ma biche. Désormais tous les papes devront se fringuer comme ça les jours de fête. Bon, je vous laisse, j’ai un rencard urgent.
– Mais, tu devais nous accompagner au concours Palestinovision de la chanson! s’émurent les apôtres qui ne savaient vraiment rien faire par eux-mêmes.
– Oui ben vous me raconterez demain, je suis déjà à la bourre. Allez, Jesus says tchüss!
Les désormais douze apôtres se rendirent donc au centre des congrès qui recevait l’évènement musical de l’année. Quoique la compétition fut d’un kitsch achevé, tout le monde la suivait pour avoir un truc à raconter au bureau le lendemain. Chaque apôtre représentant une des tribus d’Israël, chacun avait son candidat favori. Les compétiteurs se succédaient, et le public s’efforçait de ne pas tomber dans les bras de Morphée car c’est un dieu païen. L’animateur de la soirée annonça enfin la dernière candidate, qui entra sur scène d’un pas assuré.
– Mesdames et messieurs, représentant Nazareth, je vous demande d’accueillir Conchita Falafel!
– Merci, merci. Je vais vous interpréter une chanson sur mon pélerinage dans le désert où j’ai été tentée par le diable. Cette chanson s’intitule « Rise like a Fennec ».
Malgré sa jupe à paillettes, tous reconnurent Jésus à sa barbe, à ses stigmates et à sa façon d’écarter les bras en chantant, comme quand il fut crucifié. La chanson fut un véritable carton, et même l’envahisseur romain succomba au charme de son interprète. La mode se répandit si vite que dès le lendemain, les tuniques des légionnaires raccourcirent d’une coudée, et l’essor du christianisme autour de la Méditerrannée s’en trouva nettement amplifié […]
A l’évidence, Jean Paul II était dans le vrai. Les membres de la Manif pour Tous qui voudraient empêcher les lycéens nantais de revêtir des jupes sont donc des pécheurs qui brûleront en enfer. Amen.
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