A une remarquable connasse croisée au sortir d’un magasin

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Le premier que j’ai croisé, c’est ce matin en allant acheter des clopes. Il était affalé à l’entrée du passage Jürgen Kroger, baignant paisiblement dans une barbe hirsute et dans sa crasse, aussi à l’aise qu’un socialiste au forum de Davos. Le mec sonde sans trop y croire la générosité des passants, presque aussi bourré que moi quand je rentre le samedi matin, avec un sourire éclatant à chaque fois qu’on se dit bonjour. J’ignore de quel pays il peut venir attendu qu’il ne parle pas français, et que comme tous les citoyens pressés de ce pays de cons, je n’ai souvent à lui offrir qu’une clope, une piécette ou une marque de politesse. Le temps, dans ce monde, c’est hélas ce qui reste quand on n’a rien d’autre.

Le deuxième, c’était dans la rue Serpenoise, en allant rejoindre la manifestation pour le « pouvoir d’achat », comme disent les cons qui pensent qu’on n’à que ça à foutre de consommer (mais on en reparle après). La rue Serpenoise est justement, en période de soldes comme n’importe quand, la voie royale de la consommation dans notre bonne ville de Metz. Mon gaillard était nettement plus mal en point que le premier. Il était étique, avait des valises sous les yeux à payer une surtaxe dans un aéroport, et il tenait un carton rappelant en français et dans un allemand approximatif qu’il avait la dalle en pente et qu’il avait besoin d’aide. Il était assis à côté d’une boulangerie, les yeux baissés, pendant que des grognasses (mâles et femelles), chargés de sacs remplis de plus de fringues que nécessaire en cet hiver désespérément doux, s’offraient une friandise chocolatée pour se remettre de leurs émotions. Enfin, l’hiver désespérément doux, c’est pour ceux qui ont un abri et qui ont la chance de se pouvoir se projeter plus loin que la quête du prochain repas.

La troisième, c’était après le défilé, où je ne suis pas resté bien longtemps par inaptitude congénitale à marcher en troupeau et par l’absolue conviction de l’inutilité de ce genre de cortèges si on ne coupe pas la tête du premier comptable venu à l’issue de la promenade. Je sortais d’une enseigne qui se targuait autrefois d’agitation culturelle, et la pauvre femme arborait cette fois deux cartons: un qui précisait qu’elle aussi avait les crocs, l’autre pour ajouter qu’elle cherchait désespérément un travail. C’est à ce moment que deux pétasses de haute volée sortirent des Nouvelles Galeries, tout en débattant de l’achat de je ne sais quelle frusque et que l’une a conclu, dixit: « Vas-y, j’vais pas me mettre ça sur le cul, chuis pas une clocharde ». Clocharde, certainement pas, mais connasse de compétition, assurément.

J’en ai encore croisé un quatrième, un cinquième, une sixième avec des marmots, j’en croise tous les jours, partout, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit; des gens qui tapent la cloche et qui traînent leurs misères de par la campagne, de par la ville et de par le monde. A chaque fois ça me tenaille la tripe, ça me fout en rage, je ne peux pas faire semblant de ne pas les voir comme s’ils faisaient partie du mobilier urbain, et je n’y peux rien. Rien à talquer qu’ils soient clodos de souche ou migrants exotiques. Je vis dans une ville qui est réputée être une des moins endettées de France, qui comporte pléthore de logements vides, dans un pays qui, même s’il se la pète avec son roman national de mes deux, est un pays immensément riche, et donc, je ne peux me résoudre à l’idée qu’on puisse laisser des gens crever de faim ou froid sur le pavé.

Je me doute que même avec la meilleure volonté du monde, les pouvoirs publics ne pourront jamais empêcher qu’un ou qu’une quidam n’avale son bulletin de naissance (au lieu d’un bon repas) sur le trottoir, parce que l’action politique, ce n’est pas qu’une affaire de thunes. D’ailleurs, heureusement qu’il existe des associations qui vont faire le boulot là où les candidats à n’importe quel mandat ne trouveront pas d’électeurs potentiels.

Je me doute aussi qu’un SMIC à 1500 balles nets ou la réduction du temps de travail à 30h par semaine, s’ils seraient d’indéniables progrès sociaux, ne changeront rien au fait qu’il y aura toujours les déshérités et les rupins qui se payent sur le dos de la bête. Les manifestants d’aujourd’hui ont toutes les meilleures raisons du monde de lutter, que ce soit pour un meilleur salaire ou pour des conditions de travail décentes.

Mais quand même. Quand je lis Sarkozy prétendre que le travail libère; quand j’entends Macron déclarer que les 35 heures sont un obstacle à l’embauche et que le salaire minimum un obstacle à la « liberté d’entreprendre »; quand l’illustre Badinter, qu’on a connu plus inspiré, rend des propositions de réforme du Code du Travail qui fleurent bon le XIXe siècle, et rien que quand je vois la sale gueule de bourgeois cynique et goinfré de Gattaz, je me dis que Daesh choisit quand même bien mal ses cibles.

Le travail n’est pas une valeur, c’est une aliénation. Le salaire n’est pas une liberté, c’est des bouts de dignité, en forme de bons d’achats, qui te permettent de manger à ta faim, de te loger et de te payer quelques loisirs pour alléger tes chaînes, le tout pas franchement sainement s’il y a encore moyen de se faire de la thune sur le dos de la bête humaine. Ce qui a de la valeur et ce qui produit de la liberté, c’est l’activité humaine, qu’elle soit productrice ou non, et certainement pas le travail en soi.

Mitterrand, dont on commémore cette année le décès (ou c’était peut-être bien l’année dernière, j’en ai rigoureusement rien à foutre), aurait dit qu’après lui, il n’y aurait plus que des comptables et des financiers. Bien vu, l’aveugle. Il y a aussi plein de flics partout, des curés bêtes comme des frigos de toutes obédiences religieuses, des millions de gens qui marnent comme des cons pour rien, et comme toujours des clodos à tous les coins de rue. De temps en temps, pour affiner l’analyse, on rencontre une semi-pute qui a plus de compassion pour son cul que pour la miséreuse du trottoir d’en face, ou un blaireau qui roule des mécaniques avec ses pompes à 300 balles en pensant à sa prochaine séance d’abdos pendant qu’un mec gît par terre avec moins de 2% de graisse dans le corps, mais lui c’est juste parce qu’il n’a pas bouffé depuis une semaine. Comme quoi, les barbares ne sont pas qu’en Syrie et en Irak, en train de fomenter des attentats contre tout ce qui respire. On en côtoie tous les jours, ici et maintenant, et leur mantra est « c’est comme ça, chacun pour sa gueule ».

Heureusement, au milieu de tout ça, on trouve quelques compagnons d’infortune qui sortent du troupeau, qui donnent un peu de goût à la vie à force de solidarité, d’intelligence, et de bonté. Il y en a pas un pour cent et pourtant ils existent, comme disait l’autre.

En conclusion, et en vertu de tout ceci, votre hypocrite unité nationale, vos élections, votre plein-emploi et vos valeurs de la République, vous pouvez vous les foutre où ça vous chante.

Bonne année quand même, sauf à la connasse.

 

 

 

 

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