Vendredi 29 décembre 2017, 16h30. 2017 s’achève. Tandis que je noircis feuille sur feuille dans l’espoir de devenir un dessinateur digne de ce nom, une grande mélancolie m’envahit ; je ne peux pas m’empêcher de penser à une catégorie de gens malheureux dont on parle assez peu : les parents qui ont perdu leur(s) enfant(s).
La presse fait ses choux gras des meurtres d’enfants et des catastrophes routières qui tuent les gosses par dizaines mais, généralement, ça ne dure guère plus d’une semaine alors que la douleur des parents, elle, ne prendra jamais fin : et quid des enfants morts de maladie dont on ne parle pratiquement jamais, sans doute parce qu’on a pas de coupable à jeter en pâture à la vindicte populaire ?
Mais pourquoi, me direz-vous, me laissé-je envahir par des idées aussi noires ? C’est simple : j’ai eu la malencontreuse idée de lire, dans le numéro des Cahiers de l’Iroise sur la musique auquel j’avais modestement participé, l’article que Valérie Watel-Courtant et Hugues Courtant ont consacré à Eugène Trouboulic ; en effet, le petit Eugène était un compositeur en herbe dont on a retrouvé par hasard le carnet de partitions : la première était dédiée à sa « petite maman », le tout joliment illustré de dessins aquarellés évoquant ses jeux d’enfants… Il est mort d’hémoptysie à 18 ans et sa mère aura le malheur de lui survivre pendant 33 ans – on imagine aisément quelle souffrance cette pauvre femme a dû trainer jusqu’à ce que le destin daigne la laisser quitter cette vallée de larmes…
Bref, j’ai lu cette triste mais authentique histoire avant de me coucher et mes pensées vont à tous ceux qui, à l’heure où la plupart des familles s’égaient à l’ouverture des cadeaux de Noël, n’avaient guère plus que le souvenir d’un regard innocent trop tôt éteint… Pourquoi donc en parle-t-on si peu ? Est-ce parce qu’on ne peut rien y faire ? Leur rendre leurs enfants décédés, on ne le peut certainement pas : mais pourquoi ne pas leur tendre la main, essayer de leur apporter un peu de réconfort ?
A moins que ce ne soit un tabou ? On croit avoir vaincu la mortalité infantile : de phénomène récurrent, la mort d’un enfant est devenue, en un laps de temps relativement court à l’échelle de l’histoire, fait exceptionnel. Exceptionnel mais pas inexistant : les parents qui survivent à leurs enfants représentent pour nous, consciemment ou inconsciemment, les reliquats d’une époque qu’on veut croire révolue, la survivance d’un fléau que l’hygiène et la médecine seraient censés avoir vaincu à jamais. La mort de l’enfant est devenue un phénomène contraire à « l’ordre des choses » et c’est justement pour ça que la souffrance qu’elle génère dépasse toute mesure, à plus forte raison pour notre société policée et conformiste qui préfère ignorer ce qu’elle ne peut ni mesurer ni encadrer. Mais surtout, cette souffrance ne guérit jamais : elle n’a donc pas sa place dans ce monde obsédé par la vitesse et le rendement, où l’on passe d’un problème à un autre comme on zappe les chaînes de télé, où même les émotions se doivent d’être jetables et, surtout, de ne pas être une gêne pour le cycle de production et de consommation auquel le citoyen est astreint…
Je n’ai pas de mots pour soulager la peine des parents qui portent le deuil d’un enfant : mais j’ai envie de dire à ceux qui, pour x ou y raison, se plaignent de leurs enfants, de relativiser les déceptions que ceux-ci leur apportent. N’oublions jamais que nous sommes tous mortels et qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait : on se fâcherait peut-être moins facilement avec ses proches si on gardait cette idée en tête. J’ai dit peut-être.