« De même, en effet, que l’humour est la plaisanterie cachée derrière le sérieux, l’ironie est le sérieux caché derrière la plaisanterie. » (Arthur Schopenhauer)
Cruelle ironie : alors que la France commence à revivre, celui qui en était le dernier flambeau vient de mourir. Je n’exagère pas : bon nombre d’étrangers qui habitent en France m’ont assuré que l’une des choses qui les avaient attirés dans notre hexagone était justement cette tradition satirique qu’ils nous enviaient, dont ils déplorent l’état de déperdition avancée et dont IL était assurément l’un des plus dignes représentants. Sa mort, c’était encore un peu d’impertinence et de liberté qui disparaît : déjà qu’on n’avait plus les Guignols ni même Cavanna et ses copains du Charlie Hebdo des seventies… On sait qu’il ne faudrait pas être triste, qu’il n’aimerait sûrement pas ça, mais il n’empêche qu’à ce train-là, il ne nous restera bientôt plus que nos yeux pour pleurer et ce n’est pas Tanguy Pastureau qui va sécher nos larmes !
Ma seule consolation, c’est qu’il ait volé la vedette à cette caricature de politicien de droite qu’était Claude Goasguen ; s’il avait pu commenter cette coïncidence, il aurait probablement dit : « Sale journée, deux comiques qui meurent le même jour » ! Non, ce n’est même pas sûr : ancien facho, sarkoziste de la première heure, opposé au droit de vote pour les étrangers et au droit à l’adoption pour les couples homosexuels, Goasguen était tellement sinistre qu’il n’a sûrement jamais fait rire personne, même involontairement. En tout cas, la mort de ce gros réac est éclipsée, qui plus est par celle d’un humoriste qui avait toujours combattu ses idées ! Bravo, papa, tu as réussi ta sortie : tu les auras fait chier jusqu’au bout, ces sales cons de la « droite décomplexée », poussant l’élégance jusqu’à faire oublier la mort d’un de leurs plus gros abrutis ! Ils pleurent sur ton cadavre parce qu’il le faut bien, mais je sais qu’ils pensent « bon débarras » : ils le pensent même tous assez fort pour qu’on les entende, et c’est d’autant plus marrant de les voir se forcer à arborer une triste mine dont ils ne croient sûrement pas le premier mot !
Oui, vous avez remarqué, je l’appelle papa : car il n’y pas que le vaillant Nicolas et la mignonne Victoria – toutes mes condoléances à eux deux, au passage. Car nous tous qui, ici-bas, faisons de l’impertinence une profession de foi permanente, nous qui luttons avec les armes un peu dérisoires de l’humour et de la dérision contre la bêtise, la violence, l’injustice et tous les fléaux qui nous empoisonnent l’existence, nous qui, comme il le résumait lui-même, essayons au quotidien de « faire du drôle avec du triste » malgré les espaces d’expression qui se réduisent comme pot de chagrin sous les doubles coups de boutoir de la censure économique et de la frilosité du public, nous sommes tous plus ou moins ses filles et ses fils spirituels. Les départs prématurés de Coluche et de Pierre Desproges ne nous avaient pas laissés complètement orphelins : il était encore là pour nous montrer l’exemple, nous donner les ficelles du métier. Il va falloir apprendre à traverser la rue sans qu’il nous tienne par la main, à présent… On sait, il faut tuer le père pour devenir un homme : mais le meurtre du père laisse trop souvent une cicatrice.
Vous l’avez compris : Guy Bedos est mort et j’en suis triste. C’est bizarre, parce que quand Jean-Marie Bigard est mort, ça ne m’a rien fait !