Joyeux anniversaire Tonton Georges!

On a beau ne jamais être surpris par la cruauté du destin, on ne cesse tout de même pas d’en déplorer le cynisme. Alors que Didier Barbelivien et Michel Sardou coulent des jours heureux de poètes bêlants de bacs à sable et de bardes officiels du sarkozysme décadent, on s’afflige de ne pouvoir célébrer aujourd’hui le 90ème anniversaire de Georges Brassens en sa présence. Et comme tonton Georges était un homme organisé, il mourut une semaine après son anniversaire pour nous donner deux occasions de picoler en un court intervalle.

Afin de faciliter le labeur de mes futurs biographes et pour l’édification de nos lecteurs bien-aimés, je dois préciser que si j’ai l’honneur de vous infliger régulièrement ma prose éthylique et dégingandée, c’est à cause de trois personnes, dans l’ordre chronologique: François Cavanna, Pierre Desproges et Georges Brassens. Sans prétendre au génie de ces orfèvres du verbe, c’est à eux que je dois mon individualisme hystérique panaché de groucho-marxisme et de frank-zappatisme, et ce sont eux qui m’ont donné le goût d’aligner des épithètes, des verbes et des compléments après que l’Education Nationale avait fait de son mieux pour m’en dégoûter. Et c’est via Desproges que j’ai rencontré Brassens. Un jour donc, las de parcourir les rivages mille fois explorés de la gamme pentatonique et des chansons à quatre accords de quinte, je fis la connaissance du troubadour cettois, dont l’anarchisme et la simplicité de façade des mélodies m’agréaient. Et je m’étonne de ma propre perspicacité, car c’est bien là que je voulais en venir; c’est pourquoi , quoique le sujet ne soit pas dénué d’intérêt, cessons de parler de mon immodeste personne, et revenons non pas à nos moutons mais à notre monolithe. En effet, je sens venir le jour mauvais où notre télévision nécrophage va tenter de s’emparer de Brassens pour lui trouver un tombeau minuscule au milieu du cimetière de la médiocrité qu’on nomme la chanson française, en vendant vingt minutes d’espace publicitaire au passage.

Gardez-vous donc bien des hommages vulgaires qui risquent de fleurir à hue et à dia: Brassens était tout sauf un chanteur populaire, comme il le clame dans les « Trompettes de la renommée ». Alors qu’aujourd’hui, la compromission semble être la condition sine qua non pour vendre ses mugissements à une station de radio, le pornographe du phonographe n’a toujours fait que ce qu’il a voulu. Contre vents, marées et modes aussi éphémères que dénuées de goût, il a toujours assumé sa versification archaïque nourrie à l’hydromel de Villon et à l’absinthe de Verlaine, son immuable formation musicale qui met du jazz dans la mesure à quatre temps, son apparence bourrue sans autre artifice que sa moustache et sa pipe, et son anarchisme radical qui bouffait du curé et du pandore comme d’autres de nos jours sont plus auxiliaires de publicité qu’artistes. On peine à imaginer Brassens vanter les mérites des pingres taux d’intérêt d’une banque qui a contribué à la fortune de Bernard Tapie, comme on l’imagine mal se dispenser de tirer une bouffée de son calumet sur un plateau de TV parce que le tabac dans les lieux publics c’est le diable. On le voit encore moins faire son Benjamin Biolay et chanter la sérénade à François Hollande, ou crier son admiration pour Optic 2000 au son du « Gorille ».

Certes, le mauvais sujet repenti est aujourd’hui une référence connue de tous (quoique ses chansons les plus connues ne soient pas forcément les plus virulentes), fréquemment associée à Brel et Ferré. Il est cité même par les nouveaux tenants de la variétoche ignare, surtout quand ils besognent et se fracturent le neurone pour aligner trois rimes plus pauvres qu’un bidonville indien. On donne même son nom à des écoles, ce qui est quelque peu paradoxal quand on sait en quelle estime il tenait les dresseurs d’enfants. Mais la meilleure façon de rendre hommage à Brassens, c’est bien sûr d’écouter, de jouer ses chansons, et d’en écrire de neuves avec la même exigence pour le verbe que pour la note, mais surtout de faire vivre les valeurs qu’il chérissait par-dessus tout: la liberté, l’amitié et l’intégrité.

Dans un prochain épisode, nous inviterons l’ETA à reprendre la lutte armée si Sarkozy essaie de récupérer Brassens qui est l’exact contraire de notre Président fourbe, corrompu et démagogue.

 

 

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