» Tu projettes ton énergie vitale quand tu te sens bien et quand tu aimes, tu la rétractes vers le centre de ton corps quand tu as peur »
Wilhelm Reich, Ecoute petit homme!
La peur est revenue, nous dit notre petit président. La peur de perdre notre souveraineté nationale et de ne plus avoir notre destin en main. Pendant que les clodos qui parsèment notre territoire font l’expérience du nucléaire ET de la bougie en mourant de froid faute de pouvoir payer leur facture d’electricité, pendant que la plus grande partie du monde se fait des trous dans la ceinture pour pouvoir se la serrer, nous sommes sommés de flipper notre race pour l’avenir de nos banques. Comme dit Sarko, son nouveau porte-parole de campagne nous intime d’être disciplinés pour sauvegarder la solidarité nationale. Tremblez, citoyens, la misère est à vos portes si vous ne renoncez pas à votre confort bourgeois de profiteurs des largesses de la sécurité sociale et si vous ne renoncez pas à vos privilèges de nantis assistés.
La peur, c’est le premier ministre caché de Sarko et de la plus grande partie de ses prédécesseurs depuis que l’Homme a besoin de se trouver des chefs pour être heureux. Roger Gicquel et ses avatars nous l’ont assez répété, l’ennemi est partout, et il a les canines acérées. Et en plus, il croit que c’est nous l’ennemi, c’est dire s’il est chafouin. Ainsi, c’est notre deuxième ennemi héréditaire, juste derrière l’Anglais fourbe et perfide que la nature a jugé bon d’éloigner de notre beau pays d’un bras de mer, c’est l’Allemand discipliné et francophobe qui s’est invité dans la campagne présidentielle. Loin de nous l’idée d’exhumer le casque à pointe de Bismarck ou le nez patatesque et raffarinesque de Daladier (d’autant plus que ce qualificatif irait bien mieux à Eric Besson). Mais on a quand même le droit d’affirmer qu’on préfererait que l’amitié franco-allemande ressemble plus à Arte qu’au couple Merkel-Sarkozy. Et pas besoin d’être un expert en économie pour savoir que la monnaie unique a été alignée à sa création sur le deutschmark, ce qui n’est sans doute pas pour rien dans la situation de bon élève de la zone euro qu’occupent nos cousins germains. Ces derniers ont également payé le prix fort pour rester les fayots de maîtresse Standard’s and Poor, entre allongement des carrières et du temps de travail, mais leur prédominance monétaire reste un atout non négligeable, et madame Merkel est bien ingrate en faisant semblant de l’oublier. Une économie très importatrice comme la Grèce est forcément pénalisée par une monnaie forte (et donc favorable aux économies exportatrices comme l’Allemagne), et le souhait d’harmoniser le budget européen sur ces bases est un voeu pieux, comme demander à l’Italie de surveiller ses comptes publics sans tenir compte de la puissance de la Mafia relève de la pure propagande. Ayez donc peur car nous naviguons à vue, et la racine grecque de phobie l’indique assez, le pouvoir compte sur notre ignorance supposée de la chose économique pour nous faire gober des boas constrictor, nous protéger de nous-même et du fascisme qui rode comme le loup quand un troupeau effrayé est livré à lui même, à cette exception près que le loup n’a pas de compte en banque sinon il serait déjà interdit de lui tirer dessus.
Mais on n’est pas obligé de marcher dans la combine. La peur a même un effet euphorisant particulièrement motivant. A l’instar des banquiers, les Vikings avaient la réputation d’être de redoutables soudards qui pillaient plus vite que leur ombre et laissaient une région exsangue en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. C’est évidemment un raccourci contre-historique à l’endroit des vrais découvreurs des côtes américaines, dont les sagas sont le plus éminent corpus littéraire de tout le Moyen-Age. Et c’est encore moins vrai aujourd’hui. Ainsi, en 2008, l’Islande était le premier pays occidental à passer à l’essoreuse de la crise de la dette. La couronne était à l’époque la monnaie la plus surévaluée du monde, comme l’euro aujourd’hui, et les banques ont multiplié les investissements hasardeux sur le continent. La crise était si profonde que le gouvernement britannique avait même placé l’Islande sur la liste des états terroristes afin de recouvrer les créances émises par un établissement de Reykjavik. Mais les concitoyens de Bjork ne s’en sont pas laissés conter: lors d’un premier référendum en mars 2010, ils ont refusé de s’acquitter de la dette d’Icesave, premier centre de margoulins du pays, et ce refus a été confirmé par un deuxième référendum un peu plus tard. L’Islande s’est doté d’un comité consultatif de citoyens pour réécrire sa constitution jugée trop favorable aux escrocs du marché, a renégocié sa dette directement auprès du FMI et de ses partenaires économiques, s’est appuyé sur sa Banque centrale (ce que refuse obstinément l’Allemagne aujourd’hui), et a choisi de faire supporter les pertes abyssales des banques aux actionnaires plutôt qu’aux citoyens. Mieux, la durée d’allocation des droits au chômage a été allongée, et le pays des volcans et des geysers (moi aussi je sais manier le cliché journalistique) redécouvre l’Etat-providence au moment où tout le monde trouve que Keynes est un péquenot gauchiste à la sexualité déviante si peu en accord avec le modèle paternaliste et riscophile qu’on a essayé de nous vendre à Toulon. Pas mal pour un pays qui était au bord de la banqueroute il y a trois ans et qui fait 3% de croissance cette année. Au moment où pour la première fois dans l’Histoire une campagne électorale se joue moins sur les cadeaux qu’on pourra offrir à chaque catégorie socio-professionnelle que sur la capacité d’un candidat à limiter le sang et les larmes, on s’étonne que l’exemple islandais rencontre si peu d’écho dans nos gazettes.
Dans un prochain épisode, et pour rester raccord avec nos article précédent, on aimerait bien bénéficier de l’aide des corbeaux d’Odin qui l’informent de ce qui se passe dans le monde sans l’aide du Figaro.