« Grouik grouik grouik grouik »
Marine Le Pen
La jeunesse emmerde t-elle toujours le Front National autant que le Front National nous emmerde? Certes, nous sommes de sales gauchistes qui rêvons, le couteau entre les dents, de faire du boudin de François Hollande pour revendre la France à vil prix à Pékin comme les prédecesseurs de la dynastie Le Pen l’ont vendue à Pétain, mais qu’en est-il des électeurs moins virulents? Difficile à dire. Retournons donc la question. Sur une chaîne info quelconque, Robert Ménard, l’ex-président de Reporters sans Frontières qui est devenu président de Zemmour sans Limites, vient de recevoir le vice-Grand Maître du Grand Orient de France. En effet, les francs-maçons ont invité tous les candidats à l’élection présidentielle à débattre dans la loge, sauf Marine Le Pen. Juste retour des choses envers un parti qui n’a cessé de déblatérer sur un fantasmatique lobby judéo-maçonnique ou crypto-communiste selon la dose de bile du propos. Robert Ménard, jamais à court d’une connerie, en a profité pour balancer les noms de tous les francs-maçons qu’il connaissait et pour taxer ceux-ci de sectarisme parce qu’ils refusaient d’essuyer les postillons haineux de la fille de son père.
La question qui se pose à présent n’est donc plus de savoir si la jeunesse emmerde le Front National, mais de se demander si le FN a vraiment acquis ses galons de parti comme les autres, et si on doit être poli comme Claire Chazal quand la Walkyrie mugissante se pointe pour un meeting, sous peine d’être poursuivi par le courroux de la Miviludes et de Bébert Ménard. Qu’est-ce qui a changé au FN? Si l’on en croit les analystes, Marine Le Pen aurait réussi à rendre sa formation respectable et moins sulfureuse qu’à l’époque de son daron. De fait, le Front a fait un petit virage idéologique, qui n’est pas exempt d’un certain opportunisme. Alors que Jean-Marie, pur produit du poujadisme, ne cessait de vociférer contre l’Etat qui opprime les petits commerçants et contre les étrangers qui viennent manger notre pain, Marine a adopté un positionnement plus « social » en matière économique. Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas du fruit d’une méditation ni de la lecture intensive de Keynes, mais en temps de crise le protectionnisme paie plus électoralement que le libéralisme boutiquier. Et comme Sarkozy lui a tiré la moitié de son programme, il fallait bien se démarquer. Si vous ne me croyez pas, regardez Anne-Sophie Lapix étriller le programme économique des fafs dans sa dernière émission, et vous verrez que Marine défend son programme comme Faurisson défend l’Histoire.
D’ailleurs, si le FN est un peu rentré dans le rang, ce n’est pas parce que le discours s’est adouci: l’UMP est allé si loin à droite (du discours de Dakar au 30000 expulsions de 2011 qui rendent Guéant si fier, en passant par les coups de pied à la laïcité et au retour de l’outrage au drapeau) qu’il devient difficile d’exercer son métier de facho sans prononcer les mots juif, communiste, et franc-maçon. Heureusement, la pauvreté ne cesse de pousser des malheureux à traverser mers et océans pour profiter de notre RSA et de nos emplois au noir qui sont le commencement du paradis terrestre. Quoiqu’une grande partie d’entre eux connaisse le même sort que les croisières Costa qui croisent trop près des côtes (heureusement sans la nuisance des chanteurs des années 80), ceux qui parviennent jusqu’à nos plages idylliques sont reçus avec le sens de l’hospitalité caractéristique de notre police républicaine et servent ensuite de bouc-émissaire à tous les problèmes, du point de vue frontiste (et d’une bonne part de l’UMP). Dans ce domaine, rien n’a changé du côté du paquebot de Saint Cloud: être français est censé être un honneur, et travail, famille et patrie sont les trois mamelles de Marianne, quoique les mammifères comptent en général des tétines en nombres pairs, mais on ne va pas tenter d’expliquer l’oeuvre évolutionniste à ces bourrins. Reste que la politique du Front est toujours basée sur la haine des autres et la haine de soi au profit d’une entité supérieure. Cette caractéristique est commune à la plus grande partie de la droite « décomplexée », mais il n’y a qu’au FN qu’elle sert de base de réflexion.
Dès lors, que penser des électeurs du Front National? Fachos ou benêts, salauds ou victimes? La question ne cesse de lanciner depuis que le PS et tous les avatars de l’UMP jouent avec la flamme tricolore à chaque fois qu’ils ont la flemme de pondre un programme cohérent (donc pratiquement à chaque fois). Disséquons un facho, assumé ou potentiel, là n’est pas le problème. Le premier pompier pyromane était Mitterrand, qui a soufflé sur les braises pour cramer Chirac. Les faits datent tout de même des années 80. Depuis, on a eu le temps de voir des manifs anti-facho, des condamnations pénales pour « incitation à la haine raciale » et autres joyeusetés (la jurisprudence reconnaît d’ailleurs à tout un chacun le droit de qualifier le FN de fasciste), le fameux 21 avril, et les débordements réguliers du Conducattore qui fait regretter que la médecine gériatrique progresse si vite. Même avec une culture politique aussi légère que l’électorat d’Hervé Morin, il est aujourd’hui impossible de ne pas savoir ce que réprésente le parti de Mme Le Pen. Alors, certes, la démagogie et le contexte économique peuvent faire tanguer des âmes crédules. Mais quand des syndicalistes, et d’autres citoyens qui ont une expérience du militantisme se présentent sous l’étiquette FN aux élections locales, on a le droit de penser que ce n’est pas le FN qui s’est normalisé, mais le populisme et le néo-fascisme qui progressent à grands pas par la faute de l’impuissance ou de la faiblesse assumée de dirigeants face à un système qui met le profit et l’individualisme cynique au dessus de la vie sous toutes ses formes.
En résumé, le FN n’est toujours pas un parti « ordinaire », et Robert Ménard est aussi journaliste que je suis blonde et copine avec des avocats médiatiques.
Dans un prochain épisode nous débattrons avec Eric Zemmour sur l’opportunité de vivre dans un pays grand comme la France alors qu’on serait si bien chacun dans sa région. Dans le monde de Marine, plus ya de garde-fous, et plus on rit.