« Ta langue, le poisson rouge dans le bocal de ta voix »
Guillaume Appolinaire
On avait promis dans un précédent article de revenir sur le programme de François Hollande. Comme le dit le proverbe immondain: chose promise chose bue. Ah non, ça c’est le proverbe assorti à l’ouverture de la première bouteille. Glou glou glou glou à la vôtre. Reprenons, comme le dit le proverbe immondain: chose promise chose lue. Autant vous le dire, François Hollande m’a beaucoup déçu. Voilà un homme qui veut inscrire la laïcité dans la Constitution en excluant l’Alsace et la Moselle de cette brillante initiative comme si nous étions des citoyens de seconde zone. Alors que l’évangélisme progresse partout en France aux détriments des sectes officielles, nous serons les seuls à subir encore le joug des punaises de bénitier. Au moins garderons-nous la consolation d’avoir deux jours fériés de plus que le reste de nos concitoyens. Quant à son programme économique, il est encore difficile de mesurer sa pertinence, et nous n’avons de toute façon pas les compétences pour le faire.
Revenons donc sur une citation qui a rencontré peu d’écho dans les commentaires des glosateurs, et c’est bien dommage. L’ami François affirme vouloir défendre « notre belle langue française ». Fi de la lettre de Guy Môquet, vive Maître Capello. Mais de quelle langue française parle t-on exactement? L’idiome que nous parlons tous quotidiennement est incroyablement protéiforme, et il est assez difficile d’en définir le cadre. Le français que l’on parle à Forbach diffère assez largement de celui parlé, disons à Biarritz ou à Nice. En effet, la langue a commencé à se formaliser en même temps que le pouvoir se centralisait dans le pays. A titre d’exemple, le vocabulaire de François Villon (le poète, hein, pas le premier ministre issu de la famille Adams) est quasiment incompréhensible en version originale pour nos contemporains, comme il devait l’être pour le notable bourguignon ou provençal de l’époque. Sans compter, j’allais écrire sans conter, que le bougre utilisait mille variétés d’argot de la canaille qu’il fréquentait et de régionalismes qui pouvaient le rendre obscur même à ses proches voisins. Progressivement, quand l’administration a requis qu’on utilise une langue compréhensible de tous pour garantir l’égalité devant la loi, on a mené une politique agressive à l’encontre des incalculables parlers qui fleurissaient sur l’ensemble du pays. Ainsi, tout le monde connaît le fameux panneau « interdit de cracher et de parler breton », et en Moselle, on a bien essayé de nous rendre schizophrène en interdisant le platt (qui est une langue francique et pas une variété d’allemand), puis le français puis l’allemand. Il est assez étonnant de constater qu’on se réjouit de la vigueur de la francophonie au Québec ou en Afrique, mais pas en métropole. On a juste le droit de cultiver des accents pour faire rigoler le reste du pays dans des films à faible quotient intellectuel.
Par ailleurs, quelle est la légitimité d’un homme politique pour parler de linguistique dans une campagne électorale? Comment des hommes et des femmes qui garnissent le journal officiel de textes ampoulés, alambiqués, à la cohérence approximative, peuvent prétendre défendre une langue vivante? Parmi le personnel politique, il y a deux catégories de rhéteurs: au mieux, les premiers d’entres eux véhiculent un langage technique certes habile mais assez peu lisible et peu pédagogique pour des élus qui s’adressent à des citoyens; au pire, la majeure partie entretient un discours fait d’images éculées qui font plus pour le cliché que Reflex et Kodak réunis, pour « faire peuple ». Il existe aussi une part marginale qui éructe des insanités comme un gang de charretiers bourrés comme des sangliers, sans la créativité de Villon et d’autres auteurs médiévaux pour l’injure poétique même aux abords de la scatologie, mais ils n’apportent en général pas plus à la politique qu’au langage. Certains ont même tenté de légiférer sur la langue pour la purifier de ses avanies venues d’outre-Manche, ou pour simplifier la vie de nos pauvres petits qui s’arrachent les cheveux sur l’accord du participe passé avec le sujet quand il est placé avant le pronom relatif ou sur le pluriel des mots composés. Outre que c’est ôter le pain du dentier des académiciens, c’est montrer du mépris à la fois pour le français, pour l’anglais et pour les enfants qui quand ils le veulent ne sont pas plus cons que les élèves des hussards noirs de la IIIè République nourris au lait de la dictée impitoyable et de la rédaction sur des sujets assez enthousiasmants pour se lancer dans le grand banditisme dès six ans. Quoiqu’en disent les contempteurs du « langage SMS », le français ne s’appauvrit pas, il évolue juste plus vite car ses influences sont plus larges et plus difficiles à appréhender pour ceux qui veulent absolument institutionnaliser la culture et l’art, et confisquer au tout venant ce qui n’est qu’une modalité de la vie.
D’ailleurs pourquoi refuser l’influence d’autres langages, au prétexte qu’ils seraient moins nobles que le français? Pour moi qui suis un obsédé de la linguistique, des grammaires exotiques, de la langue agglutinante, flexionnelle ou polysynthétique (on a les perversions qu’on mérite), l’ajout de mots ne peut que contribuer à la richesse du vocabulaire, et en conséquence de l’imagination. Partons de l’exemple de l’anglais, que le mal nommé Jacques Toubon a tenté d’extirper du Larousse. Quoique l’anglais soit une langue germanique, quasiment la moitié de son vocabulaire est issu du latin. Les rois normands ont contribué à intégrer à l’anglais nombre de mots d’origine latine, qu’on qualifie hâtivement de français aujourd’hui, et qu’on appelle honteusement des « faux amis » à l’école. Le frottement avec les vocables germaniques et scandinaves les ont conduit à une évolution phonétique et signifiante différente de celle du français, mais au final il ressortent du même fond commun. A titre d’exemple, les mots anglais « wardrobe » ou « warrant » (garde-robe et mandat en contemporary french), sous leurs faux airs de baragouin de la perfide Albion, sont devenus méconnaissables du fait de l’évolution du phonème « w » en « g » en français contemporain. Il est donc particulièrement injuste de qualifier une langue de belle, car celà sous-entend qu’il y en a de moins belles. Peut-être que le flamand guttural est plus difficile à appréhender pour une oreille habituée aux sonorités latines, mais derrière le langage, il y a une représentation du monde et un fonds culturel: juger une langue sur des critères esthétiques relève d’une panne de l’oreille aussi absurde que le refus d’écouter d’autres musiques au prétexte qu’on n’y comprend rien.
Aussi, François mon petit lapin, étais-je à deux doigts de te traiter de populiste par inadvertance, n’était la bonne humeur que me procure le sirop de Dionysos (le pinard en français classique). Je te suggère de te racheter en récitant la Princesse de Clèves en platt la prochaine fois que tu viendras à Metz