« L’Homme est notre seul véritable ennemi. Chassez l’Homme de la scène, et la seule vraie cause de famine et d’exploitation est abolie ».
George Orwell, La Ferme des Animaux
Mais vivement qu’elle finisse, cette campagne présidentielle! Non seulement le nabot pourra aller se faire bourrer là où ça lui chante, pour reprendre l’élégante formule de Dominique de Villepin, mais c’en sera fini de ces candidats qui se gardent bien de prendre le moindre engagement, sinon pour draguer dans les marges les moins fréquentables de la société. On a eu la confirmation dimanche soir que Sarkozy était nul en économie, on supputait aussi depuis l’infameuse affaire de la criminalité, de l’homosexualité et du suicide qui seraient inscrits dans les gènes qu’il était fâché avec la science, et on en a eu l’absolue certitude depuis qu’il essaie de nous convaincre que les centrales nucléaires françaises sont moins nocives pour la santé que celles du Japon. Et voilà qu’avec l’aide du Sénat que je croyais de gauche, j’ai du mal comprendre, il prend les chasseurs pour des scientifiques.
Vous avez déjà vu un membre de feu Chasse, Pêche, Nature et Tradition, le lobby proche de l’UMP et de la FNSEA qui se prend pour un parti politique? Vous vous voyez lui demander d’expliquer sa méthodologie expérimentale et défendre le statut épistémologique de sa discipline? Et est-ce que je fonde un parti intitulé Piscine, Murge, Clope et Philosophie pour que mes passions privées attirent le chaland? Le Président a certes une circonstance atténuante: on lui a fait croire que Claude Allègre était un climatologue compétent, alors pourquoi les viandards n’auraient pas le droit de revêtir une blouse kaki et de tripoter des tubes à essai plein de mauvaise vinasse, me direz-vous. Les nouveaux fers de lance de la recherche fondamentale, qui ont bien souvent une carte d’électeur, vont pouvoir continuer à flinguer les oies cendrées jusqu’à 12 février « à titre scientifique », au mépris de l’avis du Conseil d’Etat qui préconisait l’arrêt des hostilités pour le 31 janvier, et au mépris des directives européennes sur la chasse qui curieusement ont l’air moins importantes que la règle d’or budgétaire. On sauve l’Europe, mais seulement ce qui nous arrange. Un député EELV estime qu’une cinquantaine d’espèces protégées vont faire les frais du clientélisme ambiant.
Quant au Sénat, quoique passé aux mains du PS, il a adopté la proposition du député UMP Jérôme Bignon qui vise à « moderniser » le droit de chasse. Entre autres saloperies, les assassins d’animaux ne seront plus limités à leur département mais pourront dézinguer le sanglier et l’oiseau migrateur sur tout le territoire; les quotas de gibier ne seront plus fixés par les préfectures mais par les fédérations elles-même. Pire, le texte reconnaît le rôle de ces abrutis dans l’éducation au développement durable, un peu comme si on demandait à Mc Donald’s de faire un audit sur le guide Michelin. Vu l’âge et la corpulence des sénateurs, on se doute que nos cacochymes élus redoutent de ne plus voir la cantine du Palais du Luxembourg approvisionnée en chevreuil sauce grand veneur, mais il faut garder à l’esprit qu’ils sont des élus locaux et craignent pour leur circonscription où la civilisation n’est manifestement pas arrivée partout. Ou alors dites toute suite qu’ils prennent leurs électeurs pour des veaux. En outre, moderniser le droit de chasse, c’est extrêmement pléonastique: on ne modernise pas un archaïsme barbare. D’aucuns rétorqueront que le droit de chasse est un acquis de la Révolution Française, à l’époque où seuls les aristos avaient le droit d’être de gros cons sanguinaires. Aujourd’hui, la majeure partie de la population peut tranquillement chasser son escalope dans les rayons du supermarché (quoique l’élevage soit souvent à peine moins dégueulasse que la chasse), et les malheureux qui seraient contraints de chasser pour se nourrir sont appelés braconniers. Ben ouais, fallait avoir la carte du lobby adéquat mon pote.
Mais il n’y a pas que Sarko et la maison de retraite de l’Etat qui branlottent de la carabine pour quelques voix de plus. Les lecteurs assidus du Graoully se souviennent peut être qu’à l’époque où François Hollande n’était encore que candidat à la primaire socialiste, je m’étais un peu énervé contre sa tiédeur sur le sujet de la tauromachie. L’alliance anti-corrida avait envoyé une lettre à tous les candidats déclarés pour leur demander de prendre position sur cette autre barbarie anachronique préservée au nom de la tradition. A ce jour, Hollande n’a toujours pas répondu, craignant sans doute de se mettre à dos quelques imbéciles qui à mon avis ne votent pas pour son parti usuellement. Peut être que si la personne qui l’a enfariné avait pensé à ajouter de la levure, l’ami François se serait un peu levé. Pourtant, des municipalités prennent l’initiative d’offrir des places gratuites aux enfants de moins de 12 ans dans les arènes. Il faut protéger les enfants de la violence des jeux vidéos, de l’éventuelle apparition subreptice d’un téton à la télévision, ou bipper les mots crus dans les chansons, mais massacrer un taureau c’est cool c’est la tradition. Je ne demande pas la queue et les oreilles du favori des sondages: les candidats proposant la moindre petite initiative en faveur des animaux, même la mesure la plus timide, ne sont pas légion. Même Mélanchon s’est trouvé un slogan digne de Séguéla sans cocaïne, « l’humain d’abord », qui trahit un léger mépris pour le reste du vivant qui est quand même largement majoritaire sur la planète. Quant à demander un moratoire sur les recherches sur des animaux en laboratoire, où une grande réforme des normes d’élevage des animaux destinés à l’alimentation, même EELV n’a pas osé.
Camarades loups, taureaux, veaux, vaches cochons couvée, oiseaux voyageurs qui revenez des tropiques pour vous faire casser la gueule dans ce pays de cons, chiens et chats abandonnés par des « maîtres » préssés de se faire chier en congés payés,espèces sauvages qu’on extermine parce que vous êtes sur le trajet de l’autoroute ou sur le chantier de l’immeuble, vous qui subissez l’opprobre du berger et du chasseur imbéciles, l’ambition du politicien inutile, et l’imbecillité du dogme de la supériorité de l’Homme sur le règne animal, je vous souhaite bien du courage. Moi j’en ai de moins en moins.