Canto, la ferme !

Amis messins, bonjour ! Je vous écris toujours depuis la pointe Bretagne, mais dès demain, je m’en vais chez vous pour quelques jours, histoire de changer d’air. Mais avant de partir, j’aimerais donner mon avis sur ce que je n’hésiterais pas ici à considérer comme une sorte de « vache sacrée » des temps modernes ; je vous le dis tout de go, ce qui va suivre ne sera pas politiquement correct, mais vous êtes habitués, maintenant.

Je commencerais en vous disant que j’ai une sainte et légitime horreur des moralisateurs de tous bords, des donneurs de leçons en tout genre qui vous disent ce qu’il faut faire, ce qu’il faut penser. Les plus anciens d’entre vous ont peut-être suivi, à l’école, des cours de morale, ils savent donc de quoi je parle, de même que tous ceux dont on a gâché une partie de l’enfance en les envoyant au catéchisme. Les hommes politiques et les éditorialistes, de droite comme de gauche, se sont fait une spécialité de cette attitude condescendante consistant à tenter de bourrer le crâne d’autrui en lui disant ce qui est bon pour lui ; un bel exemple nous en a été donné par le député UMP (Ultralibéral-Medef-Patronat) Bernard Debré, fils de Michel et frère de Jean-Louis (quelle famille !) qui s’est déclaré étonné, à l’Assemblée, qu’alors que la jeunesse du monde entier participe à la compétition économique mondiale, la notre s’occupe déjà d’une retraite qui viendra dans 50 ans – je parle ici sous le contrôle de J. Bernardin qui a écouté la déclaration jusqu’au bout : mon collègue est un saint pour accepter d’entendre des âneries de cet acabit ; en ce qui me concerne, dès que je vois un homme politique de droite à la télévision, je coupe le son.

Cependant, ce n’est pas de Bernard Debré que je voulais vous parler mais d’Éric Cantona. Vous avez probablement eu vent de ses récentes déclarations sur la révolution ; tout le monde le loue pour ses propos, tout le monde l’écoute religieusement, tout le monde dit qu’il est génial…non mais ça suffit, à la fin, cette unanimité ! Quand tout le monde est tenté de penser la même chose, il faut se méfier. Que dire VRAIMENT de ces propos ? Déjà, Cantona a commencé à dire franchement que, de son avis, aller manifester dans la rue n’était pas efficace ; ah bon ? Je suis ravi d’apprendre qu’on n’a pas réussi, en 2006, à obtenir le retrait du CPE ! Manifestement, l’ancien champion connait mieux que moi l’histoire récente. C’est un peu facile, de critiquer ceux qui perdent plusieurs journées de salaire en manifestant leur mécontentement contre la politique gouvernementale quand on se fait des c******* en or en tournant dans des comédies pourries ou dans des spots publicitaires (on y reviendra). Sans compter qu’avec ce qu’il doit toucher avec ce retraite de footballeur international, il n’a pas de souci à se faire pour son avenir, lui !

Et que propose-t-il, lui, puisqu’il est si malin, avec son fameux air suffisant et faussement inspiré qui m’a toujours horripilé au plus haut point ? Il dit que le système est bâti sur le pouvoir des banques et qu’il suffirait qu’il y ait plusieurs millions de personnes qui aillent, dans la même journée, retirer tout l’argent qu’ils ont déposé à la banque pour que le système s’écroule. Déjà, je me suis toujours méfié de la formule « le système » qui cherche à résumer une vérité complexe, multiple de façon simpliste. Ce qui fait justement la force du capitalisme est qu’il n’est pas monolithique : il est fait d’une multitude de réseaux qui se complètent les uns et les autres, et comme l’hydre de Lerne, si l’on en coupe une tête, elle ne tarde pas à repousser – en tout cas, ça ne tue pas la bête ; de plus, comme le signale Denis Robert, le gros des revenus du capital provient d’une économie souterraine et invisible qui échappe au contrôle des États (paradis fiscaux, entreprises de blanchiment d’argent sale, etc.). Donc, est-ce que l’on peut admettre qu’il suffise que plusieurs millions de clients des banques retirent leur argent pour que le « système » s’écroule ? Incontestablement, cela embêterait les banquiers, mais l’argent que leurs clients ne leur donneraient plus, ils le trouveraient ailleurs… Cantona n’est pas Bernard Maris : malgré les grands airs qu’il se donne pour justifier ce qu’il croit être la portée intellectuelle de ses discours, ses « fulgurances » et « éclairs de génie » ne camoufleront jamais la réalité d’un personnage finalement très limité qui a traversé sa carrière sur les terrains de football avec un talent unanimement reconnu par les amateurs mais aussi avec une agressivité de voyou primaire.

Passons sur l’efficacité réelle qu’aurait l’action qu’il préconise et demandons-nous s’il compte se donner les moyens de l’appliquer : a-t-il seulement, depuis qu’il a tenu ces propos dont tout le monde chante les louanges, organisé une action de ce type ? Non : il se contente de le suggérer aux syndicats, qui plus est de façon indirecte. A-t-il contacté les syndicats français ? Pas à ma connaissance. A-t-il appelé ouvertement à le faire ses nombreux admirateurs, en leur fixant un jour et une heure pour passer à l’action ? Non plus. Est-ce qu’il promet à ceux qui le feront qu’il les aidera à protéger leur argent ? Encore moins, et pourtant, il ne faut pas oublier que si on met son argent à la banque, c’est justement parce que c’est dangereux de le garder sur soi : j’ai beau penser sincèrement que ceux qui votent Sarkozy par peur de l’insécurité sont des paranos ou des imbéciles, je ne suis pas naïf au point de croire que je ne risquerai rien à me balader dans la rue avec toutes mes économies en liquide sur moi ! Et comme je ne gagne pas autant que Cantona, j’aurai vraiment tout perdu si on me les vole, sans compter que je n’ai pas les moyens de me payer un coffre-fort ! C’est facile de dire aux gens ce qu’ils doivent faire quand on a oublié que tout le monde n’a pas eu la chance d’être tiré de l’anonymat et de la vie ordinaire du français moyen grâce à une habileté à jouer au ballon ! En gros, la célébrité de Cantona lui donne les moyens de mettre en œuvre ce qu’il penserait être la vraie révolution, mais il ne le fait pas. Vous noterez que ne lui reproche même pas, comme l’ont fait certains imbéciles avec le défunt Balavoine, de profiter de sa popularité pour s’engager politiquement, je lui reproche plutôt de ne pas aller au bout de son engagement ; il est parrain de la fondation Abbé Pierre ? Oui et c’est louable, mais ce n’est pas révolutionnaire. Je veux bien croire que l’agent qu’il touche en tournant dans des pubs, il en donne une grosse partie aux pauvres, mais ce n’est pas ça, être Robin des bois : en faisant de la pub, il donne peut-être aux pauvres, mais il est surtout certain qu’il ne vole pas les riches mais, au contraire, leur rend service !

Car, je vous pose la question : au-delà même du contenu proprement dit de ses discours, comment prendre au sérieux des appels à la révolution contre le capitalisme quand ils viennent d’un homme qui s’est déjà vendu à ce que le capitalisme a créé de plus con et de plus parasitaire, à savoir la publicité ? Et je ne délire pas : les déclarations que je viens d’évoquer avaient fait le « buzz » peu avant que les rasoirs « Bic » recyclent une publicité que Cantona avait déjà tournée pour cette marque dans les années 1990 et qu’il a donc accepté de tourner à nouveau… Che Guevara aimait les cigares, mais vous le voyez faire de la pub pour les Habanos ? Vous croyez que les russes auraient pris Lénine au sérieux s’il avait de la pub pour la vodka avant de rentrer d’exil ? Est-ce que Aimé Césaire aurait acquis le statut de vieux sage respecté de tous les hommes politiques français d’outre-mer et de métropole s’il avait remplacé le tirailleur sénégalais de Banania ? Comment peut-on prétendre lutter contre le capitalisme quand on le sert aussi efficacement que le fait Cantona qui a vendu son image à Bic mais aussi (car c’est un cumulard dans le domaine !) à L’Oréal, à Sharp, à Renault et à Nike – et je vous signale que ces deux dernières boites sont connues pour l’exploitation qu’elles font de la misère du Tiers-monde ! Je ne sais pas comment Cantona arrivé à vivre avec cette contradiction majeure, mais j’espère que s’il veut m’expliquer, il ne le fera pas avec un coup de boule…

Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : Cantona ne dit pas que des conneries, mais il faut se garder de crier au nouveau Che Guevara chaque fois qu’une grande gueule prononce le mot « révolution ». Méfions-nous des maîtres à penser, d’où qu’ils viennent et aussi justes leurs intentions soient-elles, pensons par nous-mêmes. Amis de Lorraine, kenavo.

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