Tué par la connerie humaine…

« C’est pas seulement à Paris que le crime fleurit ; nous au village aussi l’on a de beaux assassinats. » (Georges Brassens)

 « Putain de foule anonyme, toujours prête à lyncher quelqu’un, à lapider ses victimes, à tondre la femme du voisin… » (Renaud)

« Si la connerie faisait mourir, tous les croque-morts auraient le sourire ; l’actualité me fait mentir, car la connerie, ça fait mourir…les autres. » (Yvon Étienne)

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! J’ai le triste devoir de vous annoncer qu’aujourd’hui, dans ma chère ville de Brest, déjà suffisamment ridicule actuellement en raison du douteux privilège qui lui échoit d’accueillir les candidates du concours Miss France, un homme est mort, tué par la connerie humaine.

Je vous raconte : à Bellevue quartier populaire de Brest, celui-là même où votre serviteur a fait ses premiers pas, vivait un septuagénaire, de son état retraité sans histoire, sans casier judiciaire, vivant sous curatelle. Pour un homme aussi âgé et aussi fatigué physiquement, les distractions étaient rares et telle était probablement la seule raison pour laquelle il venait, depuis une quinzaine de jours, assister à la sortie des classes de la maternelle Auguste Dupouy : quoi de plus légitime, quand les journées sont longues, que de vouloir déguster quelques miettes de bonheur devant l’attendrissant spectacle des petits enfants sautant joyeusement au cou de leurs parents ? Ainsi, pour mettre du ciel bleu dans ses mornes journées, chaque jour, à l’heure où sonnait le carillon, le vieil homme se postait sur le trottoir situé en face de l’école, ne voulant rater pour rien au monde son rendez-vous avec ce monde innocent qui lui était fermé…

Hélas ! Ce monde était loin d’être aussi innocent qu’il le croyait et il lui était encore plus fermé qu’il ne le pensait ! Ce monde n’était pas innocent car il n’était pas peuplé que par les enfants mais aussi par leurs parents, lesquels ont l’horrible défaut d’être des adultes et d’être, à ce titre, spontanément disposés à envisager quiconque ne rentre pas dans le moule comme un ennemi et à le soupçonner de n’importe quoi ; j’ai souvent entendu dire que les enfants étaient très normatifs, mais je crois que ça devient pire avec l’âge, une nouvelle preuve de cet état de choses étant les soupçons dont ce pauvre vieillard fut rapidement l’objet : les parents d’élèves, ces braves gens, l’ont pris pour un pervers sexuel, rien que ça ! De quoi n’accuserait-on pas celui que l’on considère comme un intrus ! Tout plutôt que d’admettre un « pas-comme-y-faut » dans le monde tout joli et tout sucré qu’on s’est construit ! Et un jour, tandis que la rumeur gonflait, il a même eu le malheur de vouloir se rendre utile en ramenant devant l’école une fillette que sa mère avait égarée : elle ne pouvait surveiller sa gamine, celle-là, non ? D’autant que c’est le vieil homme qui a payé le prix fort car, tout ce que les parents de la petite fille ont trouvé pour le remercier, c’est de déposer une main courante ! La suite, vous en avez sûrement entendu parler : l’homme est interpellé à l’entrée de son immeuble, menotté et installé dans un véhicule de police, à la suite de quoi, soit parce que les flics ont procédé avec la délicatesse qui leur est coutumière, soit parce qu’il ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait et a donc paniqué, soit à cause des deux à la fois, il est mort d’une crise cardiaque.

Il n’y avait aucun motif tangible pour l’accuser, il ne faisait de mal à personne et on l’a fait mourir. Involontairement, certes, mais le résultat est là. C’est la connerie qui l’a tué, la connerie des mémères qui considèrent leur rejeton comme la huitième merveille du monde et sont prêtes à appeler police-secours dès qu’on les approche mais qui leur inculquent probablement le sexisme, la frustration, la résignation, le respect de l’Église et de l’armée… C’est la connerie qui l’a tué, la connerie du bidochon moutonnier et routinier pour qui le seul bon marginal est un marginal mort, la connerie de ces personnes connes, bêtes, méchantes, médiocres dont Goscinny s’était sûrement inspiré pour camper ces gauloises qui accusent de tout les maux leur protecteur et sanctifient leurs tourmenteurs, la connerie des lâches qui n’auraient aucun scrupule à dénoncer des juifs aux SS… Vous pensez que j’exagère ? Lisez plutôt comment ces braves mères de famille ont réagi à l’annonce de sa mort :

« Il était là tous les soirs. Hier, il s’était appuyé contre le poteau et mangeait un yaourt avec une cuiller. Il n’avait pas l’air normal. »

« Il avait une attitude suspecte, il n’était pas net, on n’avait pas confiance. Moi je cachais ma fille derrière moi, j’avais peur pour mes enfants. Il était louche, il regardait les enfants. »

« On a appelé la police plusieurs fois, mais ils ne sont jamais venus. On a alerté le directeur. Il allait lui parler et lui demandait de ne pas rester ici. Mais personne ne s’en approchait. Il est mort, je n’ai pas de réaction. Je pense que c’est un mal pour un bien. Maintenant, je suis tranquille. »

C’est bien la peine de nous dire qu’il ne faut pas se réjouir de la mort des gens ! « Un mal pour un bien » la mort d’un homme qui n’était coupable de rien ! Oui, tu peux dormir tranquille, pauvre connasse ! Tu frémis chaque soir, devant le 20H, à écouter le récit de crimes horribles perpétrés par des pervers récidivistes, enleveurs, violeurs ou tueurs d’enfants, mais au fond de toi, ça te rassure, d’entendre parler d’individus que la société considère comme des monstres : ça te conforte dans l’idée que tu es du bon côté, qu’il y a des méchants et des gentils et que tu fais partie des seconds ! En fait, comme toujours, il n’y pas les bons d’un côté et les mauvais de l’autres : il y a seulement des millions d’individus ordinaires parmi lesquels quelques-uns auxquels il arrive de grièvement déraper et qui deviennent les boucs émissaires de la majorité. Toi, la maman si « tranquille », tu as grièvement dérapé en participant activement à la cabale dont un homme seul et sans défense a été la victime, sacrifiée sur l’autel de ta paranoïa, mais ton dérapage n’est pas puni par la loi, c’est la seule chose dont tu peux te vanter. Je me sens brestois et j’ai honte de mes concitoyens… Allez, kenavo !

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