Le King et les bouffons

 

« Je suis pas un homme. Je suis Cantona ».

Eric Cantona, dans « Looking for Eric » de Ken Loach.

 

Chouette, on a un nouveau candidat à l’élection présidentielle. Comme beaucoup d’autres vedettes on a du mal à le placer sur un échiquier politique, mais en général il est assez cavalier. Eric Cantona, l’ancien footballeur qui a un temple à Manchester, a écrit aux maires de France pour leur demander les 500 signatures indispensables pour présenter sa pomme devant les Français sous le feu nourri des questions subversives d’Arlette Chabot. Bien plus lucide que Bayrou ou Morin, il sait qu’il ne sera jamais élu mais tente de mobiliser l’opinion sur le problème du logement. Qui pense encore à l’abbé Pierre, l’un des rares curés supportables avec l’abbé Meslier, quand les frimas pointent leur museau glacé et que le clodo double sa consommation de pinard pour se réchauffer? Pas Martin Hirsch, l’ancien chef d’Emmaus, qui est allé fabriquer le RSA dans un bureau au chaud payé par Sarko, le tout juste pour embêter Wauquiez qui s’inquiète pour les métastases de la société qui mangent le pain de la classe moyenne.

Tenez-vous bien, pour la première fois de ma vie je vais prendre fait et cause pour un footballeur. Certes, personne n’est parfait, il persiste à faire de la pub à la moindre cochonnerie, mais même quand il était footeux il était attachant. A des années lumières des footballeurs aseptisés qui insultent les entraîneurs en chuchotant dans un vestiaire et qui couinent quand ça sort dans un journal, Canto traite le sélectionneur de l’équipe de France de sac à merde en direct devant les caméras. Il se frite avec les mafieux Tapie et Nicollin, il fait des bras d’honneur au public, il s’essaie au kung-fu sur un supporter désobligeant, et il arrête sa carrière à 30 ans parce qu’il en a plein le dos et qu’il a envie de peindre et de faire du cinéma. Et quand il arrête de tourner dans des navets (exception faite du film dont est extraite la citation en exergue), il réfléchit. Il avait déjà encouragé ses concitoyens à retirer leurs maigres économies des banques, ce qui ne sert absolument à rien sinon à faire faire une mini-dépression aux banquiers, mais imaginez le milliardaire Beckham appeler le Medef à interdire les licenciements économiques et vous mesurerez l’ampleur de l’évènement.

Or voilà que les foudres des pros de la politique s’abattent sur notre ami Eric. Si tous les sportifs professionnels se prenaient la tête à deux mains pour s’agiter le neurone métaphysique, et se mettaient en tête de n’être plus sous perfusion de produits dopants et abrutissants pour faire ce dont ils ont envie,  il n’y aurait plus de sport, donc plus de maillots et plus de stades, et les publicitaires seraient bien emmerdés pour placer leurs affiches débiles pour des produits inutiles. Les élus ont donc bien ricané de l’initiative du King, la qualifiant de « folklorique », ou de pas très sérieuse. Pire, la délicieuse Valérie Rosso-Debord, qui ne cesse d’honorer la Lorraine, a invité l’impétrant à prendre contact avec Benoist Apparu qui en deux ans a eu très peu de temps pour s’occuper du Logement et ne serait pas contre un petit topo sur le boulot. La démocratie, c’est le pouvoir au peuple mais au peuple spécialiste, et si les gueux prenaient le pouvoir ce serait la crise avant bientôt, alors que là tout va bien. Et le problème du logement, il est moins légitime parce qu’il est posé par un ancien footeux qui a remis la bure de l’abbé Pierre? Les miséreux qui supportent le PSG dont le président est quasiment exonéré d’impôt en France doivent-ils être mieux logés que les péquenots qui soutiennent Amnéville? Le logement est-il un sujet secondaire derrière la crise financière et l’appartenance politique de Jeanne d’Arc?

En l’espèce, les pros de la politique ne devraient pas trop la ramener, aussi bien à l’échelon national que local. La loi DALO sur le droit au logement opposable n’a pratiquement aucun effet, la loi SRU sur le taux de logements sociaux dans les communes est allègrement piétinée parce que les amendes ne sont pas trop contraignantes, et les squatters servent de défouloir aux CRS et de gibier aux rafles guéantesques. Les loyers explosent, de même que la fiscalité locale du fait de la décentralisation de l’administration des collèges et du RSA au bénéfice des départements. Le prix du gaz, de l’électricité et du fioul qui n’a pas échoué en Bretagne ou en Nouvelle Zélande  suivent une courbe inversement proportionnelle à la cote de popularité de Nicolas Sarkozy. Parallèlement, l’UMP tape à bras et à idées raccourcis sur la proposition de François Hollande de réformer le quotient familial, au motif que cela pénaliserait les classes moyennes et que « la politique familiale ne devrait être ni de droite ni de gauche ». Alors que couper les allocations familiales aux ménages dont les enfants s’ennuient à l’école est une politique de responsabilisation des parents dont la gauche laxiste est parfaitement incapable. Occuper des HLM quand on bénéficie d’une confortable indemnité parlementaire, c’est une mesure de salubrité qui vise à enseigner aux laborieux que la vie est un paradis pour les riscophiles des marchés et que seule la valeur-travail permettra à Dieu de nous pardonner pour le pêché originel. Bande de gauchistes dispendieux.

Eric Cantona n’a donc pour seule légitimité que sa petite notoriété et sa parole de citoyen qui vaut autant que celle de Dominique de Villepin ou Christine Boutin, et par solidarité nous levons notre col avec arrogance comme il le faisait avec son maillot. Mais il a également le mérite d’attirer l’attention sur un vrai problème de fond qui devrait soulever un débat (et surtout des mesures) plus important qu’une discussion technique sur une énième niche fiscale qui date d’une époque où il fallait enfanter à fond les ballons. Sarko avait promis, comme Jospin avant lui, que plus personne ne dormirait dehors à la fin de son mandat. C’est étonnant d’être autant à la rue et de ne pas voir que des gens dorment sur le trottoir.

Dans un prochain épisode, nous rédigerons une brillante dissertation autour de l’oeuvre de George Best, le plus illustre porteur du numéro 7 des Red Devils avant Eric Cantona. Il aurait notamment déclaré: « En 1969, j’ai arrêté de boire et de faire l’amour. Ce furent les 20 minutes les plus horribles de ma vie ».

 

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