Cet homme que voilà

C’est vrai qu’il est assez pittoresque Marcel ce lundi après midi. C’est la première fois que je le vois, j’ignore d’ailleurs son prénom à ce moment là. Mais son look ne laisse personne indifférent, du moins pas moi. Faut dire que la panoplie est complète. Juge un peu:

Le survet’, élimé et douteux, taché de cambouis, rentré dans une paire de santiags, le tout donnant à la silhouette quelque chose de clownesque, est surmonté d’un T-shirt grisâtre, qui a du être noir dans une autre vie, représentant un aigle royal entourant de sa majestueuse envergure, le visage de l’idole. Dans le dos, deux enormes initales, J et H.

Il passe devant moi, donnant la main à ses deux enfants. Il se dépeche, veut être le premier. Il ordonne à ses mioches:

« grouillez vous David et Laura … » Et oui, il a appelé ses rejetons du même prénom que ceux de son dieu.

Derrière lui sa femme, traine péniblement un sac à dos plein de sandwichs, sa cellulite et ses deux bichons obèses …

« Allez, Jade, Joy, dépéchez vous ! Faut qu’on rattrape papa … »

Oui, je sais c’est limite … mais comme il n’a pas les moyens d’acheter un bébé au Vietnam, il s’est débrouillé comme ça …

Moi, avec des pôtes, je traine à la buvette, devant le Stade de France. J’ai dans la poche un ticket de concert, récuperé gratuitement suite à désistement. Je ne suis pas spécialement client du bonhomme, je pars même avec beaucoup d’à priori. Il m’arrive d’ailleurs souvent de brocarder les fanatiques  du Elvis français, faut dire que beaucoup flirtent gentillement avec le mauvais goût le plus total.

Remis difficilement d’une soirée passée à écumer les bars de la rue de la Gaité, j’arrête mon apéro d’avant concert à trois barons de bière. Limite à laquelle, le besoin pressant de visiter l’urinoir ou le poteau le plus proche se fait sentir.

Une fois installé dans la tribune face à la scène, je me sens soudain très exité que cela commence. Après tout, qu’est ce que je risque ? De toute manière, ce type est un naze, non? Au pire, je pourrai me foutre de sa gueule, de la gueule de son public, de  ses admirateurs qui, à mon retour en Moselle seront jaloux de ne pas avoir assisté à ce show. Et puis, j’aurai quand même passé une bonne soirée à Paname, c’est toujours ça.

Je suis perdu dans mes pensées, lorsque soudain je me fais surprendre par l’extinction des lumières du stade. Les feux d’artifices, en rythme avec la batterie se mettent en marche, les guitares puis le groupe entrent à leur tour dans cette incroyable mise en scène.

Mouais… quelle débauche de moyens me dis-je après trois quatre minutes.

Puis, la lumière se fait sur lui … bof, il est pas tout jeune pensais-je. Et Boum ! Je stoppe immédiatement mes divagations, me voilà littéralement scotché sur mon siège. Les premières notes de l’artiste dans le micro m’ont vraiment fait reculer. Toute cette puissance était quasiment palpable … oh putain, balbutiais-je … mais qu’est ce que c’est que ce truc? Je me retourne, cherche de l’aide, des réponses.

Derrière moi, je vois Marcel les yeux pleins de larmes, serrant fort la main de sa fille. Tous deux chantent en choeur. Sa femme se balance, la tête légerement penchée, comme lorsque  les femmes veulent séduire sans rien dire. Sa main caresse la petite tête blonde de son David. Ce soir la star chante pour eux, rien que pour eux. Et c’est ce que se disent les 60.000 spectateurs du stade. Ils sont tous là, ceux de la première heure, la soixantaine bien entamée. Les purs et durs, ceux qui se coiffent, s’habillent et parlent comme leur idole. Les plus jeunes aussi sont là. Toutes les générations, toutes les catégories sociales. Moi, j’te dis qu’il doit y avoir un sacré bon nombre de politicards qui rêvent d’un tel rassemblement.

Depuis ce concert, je ne le vois plus de la même façon. Depuis ce soir d’été 1998, j’ose dire que j’aime Johnny, l’immense interprete, le monstre de scène. Johnny sur scène, c’est un dramaturge, un lion sauvage qui vit chaque chanson. Ses faiblesses, ses souffrances, ses excès, ses joies et ses peines sont les outils qui lui donnent le ton juste à chaque morceau.

Bien sur, ce n’est pas un prix Nobel, et alors, Einstein était sans doute un horrible chanteur ! Et la bombe atomique a fait plus de mal à l’humanité que le rock n’ roll.

Bien sur, ces dernières années, Johnny se fourvoye dans la musique commerciale et sirupeuse. Mais n’oublions pas que ce même homme a, par exemple, pondu en 1976, un double album nommé Hamlet. Un concept album magnifique, une adaptation musicale, profonde et noire de la pièce de Shakespeare. Inutile de préciser qu’une telle galette est impassable en radio.

Depuis, je suis retourné le voir en live, toujours au Stade de France, en 2009.

Le guitariste que je suis, est aussi extrêmement reconnaissant à Johnny d’avoir fait venir pour la première fois en France, Jimi Hendrix, c’était en 1966. Le kid de Seattle assurait la première partie. L’histoire raconte tout de même qu’Hendrix se serait inspiré du jeu de scène de Johnny pour soigner et revoir le sien.

Chapeau bas, l’artiste. Moi, je retourne cracher mon venin sur Noah, Obispo et cie. Avec ceux là au moins, je ne risque pas d’être ébloui par du talent brut, sauvage et sincère.

Voilà pis c’est tout.

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