Vote utile, piège à imbécile.

« Voter utile, c’est comme se forcer à bouffer un truc qu’on n’aime pas ou à baiser une nana dont on n’a pas envie ! » (Siné)

« Les seuls qui soient vraiment sympas, qui soient un peu comme vous et moi, je n’parle pas du royaliste ni bien entendu du fasciste, c’est ceux qu’auront au bout du compte 2 ou 3 % des voix. Pourquoi ? » (François Béranger)

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! À moins d’être un facho de la pire espèce ou d’avoir des œillères en acier trempé (l’un empêchant rarement l’autre, d’ailleurs), on ne peut pas ne pas avoir été traumatisé par le séisme du 21 avril 2002. Et en se remémorant le choc provoqué par l’annonce de l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles, on se dit qu’on aurait pu y croire…

On aurait pu croire qu’après une aussi mauvaise surprise, les hommes politiques se remettraient enfin un minimum (ne leur demandons pas l’impossible non plus) en question et commenceraient à se poser la question de savoir s’ils avaient vraiment fait ce qu’il fallait pour empêcher le Front National de monter. On aurait pu croire qu’ils cesseraient de faire comme ils persistaient à faire depuis des années ; c’est-à-dire qu’on aurait pu croire qu’ils ne laisseraient plus à l’abandon des milliers de personnes sacrifiées sur l’autel du capitalisme sauvage et qui se tournent vers la bête immonde par frustration ; on aurait pu croire qu’ils arrêteraient de donner douze milliards circonstances atténuantes aux populos qui, aussi légitime leur frustration soit-elle, n’en font pas moins une connerie monumentale en votant pour l’extrême-droite néo-fasciste ; on aurait pu croire qu’ils réaffirmeraient les valeurs essentielles de la République et cesseraient de récupérer les thèmes de campagne du F.N. sur l’immigration et la sécurité.

IL – N’EN – FUT – RIEN !

Je ne vous apprends rien de nouveau, même la gauche n’ose plus dire que l’immigration n’est pas un problème et que la France n’est pas moins sûre aujourd’hui qu’il y a cinquante ans ; qui a-t-on accusé comme responsable de l’aberration du 21 avril ? Le gros con qui vote Front National ? Bien au contraire, on le respecte en tant qu’électeur, on le drague ! L’abstentionniste ? Même pas, on l’ignore ! Non, on a montré du doigt l’électeur qui vote pour les candidats de la gauche alternative ! Je veux parler de Laguiller, Chevènement, Besancenot, ou, pour être plus contemporain, de Poutou, Mélenchon et Arthaud : le fait que cette dernière ait sorti dernièrement qu’il serait préjudiciable pour la démocratie que Marine Le Pen ne puisse pas se présenter (depuis le massacre de Kronstadt en 1921, les trotskistes ont toujours eu une conception de la démocratie qui m’échappait un peu…) n’empêche que les électeurs de gauche qui n’ont pas voté PS sont moins directement responsables de la percée du FN que ceux qui ont effectivement voté pour cette milice fasciste. Et pourtant, ce sont eux qu’on accuse ! C’est en effet ce que font, peut-être sans en avoir bien conscience, ceux qui appellent à voter « utile » au premier tour…

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Cette rhétorique arrange bien les deux poids lourds de la politique. L’UMP parce qu’en  désignant l’électeur d’extrême-gauche comme le responsable de la montée du FN, il peut continuer à appliquer impunément les idées de Le Pen et à draguer ses électeurs. Le PS parce que ça le dispense d’avoir à argumenter pour convaincre les électeurs de gauche qui ne lui sont pas acquis, la peur du FN étant à elle seule assez puissante pour convaincre un « brave gens » un tant soit peu craintif de voter pour un candidat qu’il ne perçoit cependant pas comme étant plus à même de représenter ses convictions que celui pour lequel il comptait premièrement voter : quand le PS appelle à voter « utile », il montre par là qu’il se refuse à se poser la question de savoir si les idées qu’il prône sont de nature à fédérer toute la gauche et fait même preuve d’une arrogance extrême envers ses alliés potentiels en se posant comme le seul à pouvoir être au second tour.

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Le vote utile compte aussi parmi ses défenseurs indéfectibles les mass media qui, à grands coups de sondages effectués sur des échantillons « représentatifs » (comme si 40 millions d’électeurs, tous des individus dissemblables entre eux, pouvaient être représentés par le quarante-millième du corps qu’ils constituent !) et d’analyses sous vide assénées par des éditorialistes prétentieux, nous bourrent littéralement le crâne de la prévision d’un premier tour qui serait plié d’avance et rendrait inutiles les efforts des candidats autres que ceux de l’UMP et du PS : pour de plus ou moins bonnes raisons (plus moins que plus, d’ailleurs) ils se refusent obstinément à envisager qu’un candidat de droite autre que celui de l’UMP ou un candidat de gauche autre que celui du PS puisse accéder au second tour et réduisent la campagne à une pièce de théâtre où la majorité des candidats, et avec eux les formations politiques et les idées qu’ils représentent, doivent se contenter de faire de la figuration. Alors que la surprise du 21 avril, qui les avait pris de cours les premiers, aurait dû les inciter à plus de modestie, ils en ont fait un argument massue en faveur du vote « utile » ; ils disent aux électeurs de gauche : « de toute façon, c’est le PS ou Le Pen au second tour, allant autant choisir tout de suite la moins pire de ces deux possibilités et arrêter de faire des caprices ! » Et ça marche, tiens ! Plus c’est gros…

Bref : électeurs du PS, votez comme ça vous chante si le parti socialiste représente vraiment vos convictions, mais ne reprochez pas aux autres de voter eux aussi suivant leurs idées ! Si vous voulez être sûrs de la victoire de votre candidat, essayez d’abord de nous convaincre qu’il sera un bon président et que le gouvernement qu’il nommera sera tout aussi bon (je ne demande pas mieux que d’en être convaincu !), élevez le débat politique à un autre niveau que la culpabilisation de vos alliés potentiels ! Et vous, les électeurs des autres partis de gauche, ayez le courage de vos convictions ! On est en démocratie, oui ou merde ? Si on doit s’excuser d’avoir des idées qui ne sont même pas haineuses et xénophobes, où va-t-on ?

Remarquez, je ne suis pas complètement hostile au vote utile ; pas au vote utile contre Le Pen, puisque l’héritière du borgne ne gagnera sûrement pas – il est à peu près certains que si elle arrivait au second tour, la gauche et la droite républicaine feraient front derrière son adversaire – mais plutôt au vote utile…contre Sarkozy ! Allez, salut les poteaux !

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